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Portugal : José Socrates, le retour

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Passer deux années à Sciences-Po n’aura pas suffi à José Socrates pour apprendre les bonnes manières. À l’occasion de la publication de la « thèse » rédigée à l’issue de ce séjour rue Saint-Guillaume, l’ancien premier ministre socialiste portugais s’est montré à la hauteur de sa réputation bien établie de vulgarité en traitant, dans un entretien à l’hebdomadaire Expresso, de « fils de p… » le ministre allemand des finances Wolfgang Schaüble. « Schaüble, ce fils de sa mère, faisait paraître chaque jour des informations contre nous », a lancé littéralement Socrates, une expression dont nul n’ignore le véritable sens. 

Que Socrates ait pu préparer un « mastère » à l’Institut d’études politiques de Paris est en soi une curiosité. Nul n’ignore au Portugal que la « licence » qui lui permet de se faire appeler « Monsieur l’Ingénieur » est d’une validité des plus douteuses, ayant été octroyée par télécopie, un dimanche, par le recteur d’une dite « Indépendante », depuis dissoute par le ministère de l’Éducation nationale pour de nombreuses irrégularités et malversations. Quant à la thèse de « philosophie » (à Sciences-Po ?), consacrée à la torture dans le monde contemporain, il s’agit, selon l’historien et commentateur du quotidien Publico Vasco Pulide Valente, d’un « travail scolaire, sans une seule idée originale ou ombre de perspicacité, qui se résume à de longues citations ou paraphrases – allez, soyons généreux – d’une trentaine d’ouvrages connus de l’Occident tout entier, agrémenté de quelques fantaisies bien françaises (Sciences-Po oblige) », cette dernière parenthèse en français dans le texte. 

« Il est clair, conclut Pulide Valente, que ce "lancement" n’était pas celui d’un "livre". » De fait, depuis ce retour d’exil volontaire à Paris, où il a, de son propre aveu, dépensé intégralement les 120 000 euros empruntés à un banquier vraiment compréhensif (pas comme avec les patrons de PME-PMI), José Socrates se manifeste avant tout par une volonté de régler ses comptes, non seulement avec une Allemagne partie prenante du complot dont il a été « victime » mais avec le peuple portugais, qui lui a signifié son congé au printemps 2011, après six années d’un « règne » ayant conduit le pays au bord de la faillite et sous les fourches Caudines de ses créanciers internationaux. La chaîne de télévision publique RTP 1 lui a offert pour cela une tribune hebdomadaire rémunérée, dans l’espoir (déçu) de concurrencer « Marcelo » (Rebelo de Sousa), ancien dirigeant du centre-droit (mais authentique et respecté professeur de droit), qui officie, avec une audience considérable, sur une télévision privée concurrente.

José SocratesJosé Socrates © Reuters

Pendant que le « nouveau philosophe » Socrates pérore sur les antennes publiques pour se justifier ad nauseam, le peuple portugais se débat depuis bientôt trois ans avec l’héritage de ce « socialiste ». Un legs dont les pépites sont incontestablement des manipulations comptables qui n’ont rien à envier aux maquillages de sa situation budgétaire par la Grèce, les « swaps » et les « PPP » (partenariats public-privé).

Proposés par des banques d’affaires (les suspects habituels), les swaps de taux d’intérêt ont été utilisés massivement par des entreprises publiques lourdement déficitaires, notamment dans les transports en commun. Comme nombre de collectivités locales, en France et ailleurs, l’ont appris à leurs dépens, ces produits financiers permettent d’emprunter initialement dans de très bonnes conditions, au risque (pris en connaissance de cause ou pas) de voir les taux d’intérêts s’envoler plus tard et pour de longues années, mais éventuellement lorsqu'une autre équipe politique sera au pouvoir. Sous le régime tant décrié de la « troïka », le gouvernement de centre-droit, élu après la signature du mémorandum en échange d’une aide financière de 78 milliards d’euros, a non seulement réintégré la dette de ces entreprises dans les comptes de l’État mais s’évertue à réduire la facture des swaps, qui se chiffre encore en centaines de millions d’euros.

Le gouvernement Socrates n’a pas inventé les PPP. Le modèle de ces opérations, une des plus ruineuses aujourd’hui encore pour le contribuable portugais, est celui du pont Vasco-de-Gama, la deuxième traversée du Tage à Lisbonne, lancé et accompli par les gouvernements de droite d’Anibal Cavaco Silva (aujourd’hui président de la République) comme « de gauche » d’Antonio Guterres (aujourd’hui haut-commissaire aux réfugiés de l’ONU), dans le cadre de la coûteuse (et émaillée d’affaires de corruption) opération Expo 98. Comme l’a souligné Paulo de Morais dans son livre De la corruption à la crise, les ministres des travaux publics des gouvernements en action pendant la mise en place de Luso-Ponte ont été recasés à la tête de ce consortium, ou chez son principal acteur portugais, le groupe de BTP Mota-Engil. 

Mais José Socrates a fait un usage surabondant des PPP, notamment pour alimenter le programme absurde de bétonnage du Portugal, qui a doté ce pays de taille modeste du réseau autoroutier le plus dense d’Europe, et dans le secteur de la santé publique hospitalière. Et à des conditions proprement scandaleuses au détriment du contribuable, tous les risques financiers étant assumés par l’État, tous les bénéfices étant garantis aux « partenaires » privés (notamment face à l’effondrement du trafic provoqué par la crise).

Le journaliste vedette José Gomes Ferreira y dénonce le résultat d’un raid délibéré sur les finances publiques mené par une coalition rassemblant la classe politique, les banques, les entreprises de construction, les consultants et les grands cabinets d’avocats de Lisbonne. Il souligne le « cynisme abominable » propre à José Socrates, puisque les clauses financières qui vont peser pendant plus d'une génération, pour des milliards d’euros chaque année, sur les comptes du pays, vont jouer à plein à partir de 2014, le système étant mis en place en 2005 quand l’ancien chef du gouvernement pouvait raisonnablement tabler sur deux mandats. S’ils ne sont pas dénoncés, renégociés et dans les cas les plus scandaleux expropriés, ces PPP pourraient contribuer à l’incapacité du Portugal à revenir sur les marchés financiers au printemps prochain, imposant un second plan de secours international, voire un défaut partiel sur la dette publique.

Il est évidemment plus commode pour Socrates d’accuser ce « connard » de Schaüble, autre amabilité destinée au grand argentier d’Angela Merkel, que de s’expliquer sur ce fiasco financier. L’ambassade de la République fédérale à Lisbonne s’est bornée à répliquer que le Portugal, comme dans le passé, « pourra continuer à compter sur l’Allemagne », qui a agi, tout au long de la crise à travers la crise financière, comme un « partenaire fidèle ».

Le 25 avril prochain, le Portugal célébrera le 40e anniversaire de la révolution des Œillets. En dépit des avancées considérables d’un pays qui était en 1974 épuisé par les guerres coloniales, ravagé par l’analphabétisme, embourbé dans l’autarcie salazariste et abandonné à son triste sort par l’Europe démocratique, la fête sera gâchée par le bilan d’une classe politique d’une insigne médiocrité, qui s’est avant tout souciée de sa prospérité personnelle, y compris par les voies les plus douteuses. Classe politique qui, comme ailleurs en Europe, aura réussi pendant la crise à préserver peu ou prou son train de vie, en dépit des années d’austérité infligées au reste de la population. 

Il aura fallu attendre le budget 2014 et les derniers mois du programme d’ajustement de trois ans négocié avec l’UE, le FMI et la BCE pour que le gouvernement Passos Coelho s’attaque à certains des privilèges exorbitants dont bénéficient les hommes politiques. L’application de conditions de ressources aux pensions de retraite à vie perçues (pour huit ou douze années de mandat) par 279 ex-titulaires de fonctions politiques (ministres, parlementaires mais aussi « dinosaures municipaux ») devrait conduire, croit savoir le Diario Economico, à la « suspension » de 70 % de ces subsides (cumulés avec d’autres prestations généralement d’origine publique), qui coûtent chaque année quelque six millions d’euros au budget de l’État. 

Mario SoaresMario Soares © Reuters

Il y aurait malheureusement une exception pour les anciens présidents de la République, ce qui permettra au géronte « socialiste » Mario Soares de maintenir un statut particulièrement dispendieux aux frais du contribuable. Ce cumulard des pensions à vie (plusieurs fois ministre et premier ministre, deux fois président), très largement responsable des pires dérives de la démocratie portugaise, bénéficie pour ses trois résidences d’un dispositif de sécurité fourni par l’État et fait subventionner sur fonds publics, à hauteur de centaines de milliers d’euros par an, une « Fondation Mario Soares » à l’utilité improbable. Ah si, elle a servi à appuyer financièrement la publication… de la « thèse » de José Socrates, présentée au tout Lisbonne politique dans les locaux cossus de la fondation.

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