Si elle veut créer plus d’emplois, réduire son déficit énergétique ainsi que sa dépendance aux énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) et améliorer la santé de ses habitants, l’Union européenne doit se doter d’objectifs plus ambitieux d’essor des renouvelables et de réduction des gaz à effet de serre. Telle est la préconisation d’un rapport consacré aux politiques climatiques européennes. Il n’émane pas d’une ONG ou d’un think-tank écologiste, mais des services de la Commission elle-même.
Il s’agit de l’étude d’impact du « paquet énergie-climat 2030 », un ensemble de directives destiné à structurer la politique climatique de Bruxelles, qui doit être décidée l’année prochaine. L'effet de ce paquet sur les stratégies nationales est majeur, comme l’a montré la mise en œuvre du « paquet énergie climat 2020 » endossé en 2008 (voir ici). Le rendez-vous de 2014 mobilise d’ores et déjà tous les lobbies du climat et de l’énergie.
Mediapart s’est procuré le brouillon (« draft ») de ce document, une version provisoire établie par les experts des services de la Commission, avant son arbitrage politique. Nous le publions ci-dessous.
On y apprend d’abord (p. 18) que les politiques actuelles ne permettent pas de répondre aux objectifs de long terme de l’Union de lutte contre le dérèglement climatique : dans le cadre des négociations pour un protocole de Kyoto II (voir ici notre article), les pays industrialisés doivent diminuer de 80 à 95 % leurs rejets de gaz à effet de serre d’ici 2050. Or Bruxelles étudie un scénario de baisse de 45 % de ses émissions en 2030, étape intermédiaire trop basse pour respecter les ambitions de Kyoto II. Les grandes ONG environnementales s’en inquiètent depuis longtemps. Cette fois-ci, ce sont des experts de la Commission eux-mêmes qui le reconnaissent.
Ensuite, et c’est le principal enseignement de cette étude d’impact, les auteurs évaluent les coûts et les bénéfices de plusieurs scénarios de baisse des émissions de gaz à effet de serre et de part des renouvelables dans l’offre énergétique des pays. Il en ressort que plus ils sont ambitieux – la baisse des émissions comme la part des renouvelables –, plus ils permettent de créer des emplois, d’améliorer la santé des habitants et de diminuer les importations énergétiques.
Ainsi, baisser de 40 % la production de gaz à effet de serre en 2030 pourrait créer 678 000 emplois. Mais en couplant cette baisse à un objectif de 30 % de renouvelables dans le mix énergétique (contre 12,7 % en 2010), le nombre d’emplois créés double quasiment, à plus de 1,2 million. « Dépenser plus en capital peut créer des revenus et de l’emploi en Europe parmi les fournisseurs de technologies bas carbone et d’efficacité énergétique tant que se maintient le leadership industriel européen sur ce type de technologies », peut-on lire, contrairement à ce qui se passerait si les mêmes ressources financières servaient à payer les importations d’énergie.
Deuxième indicateur évalué par l’étude d’impact : l’effet sur la balance commerciale énergétique de l’Europe, et sa demande d’énergies fossiles. Si elle contraint de 40 % ses gaz à effet de serre en 2030, l’Europe peut espérer réduire de 7 % ses importations en 2030, et de 44 % en 2050. Mais si elle y ajoute un objectif contraignant de 30 % de renouvelables dans son mix, elle peut compter sur une baisse de 16 % de ses importations en 2030, et de 53 % en 2050. Quant à sa demande de fossiles, elle réduit de 11 % en 2030 avec le seul objectif de 40 % de baisse des gaz à effet de serre. Mais chute de 29 % si les gaz à effet de serre s’abaissent de 45 % et que les renouvelables montent à 35 % de sa production d’énergie. « Grâce à une forte pénétration des renouvelables, la dépendance aux importations augmente plus lentement que ce qui était prévu avant l’adoption du paquet énergie-climat », expliquent les auteurs de l’étude, pour qui c’est la montée en puissance des renouvelables qui « limite la dépendance à l’énergie extérieure » et donc « la réduction de la facture européenne ».
Le dernier critère étudié concerne la santé des Européens. L’étude tente de mesurer « les années de vie perdues » pour cause de pollution environnementale. Elle arrive à la conclusion, là encore, que les gains sont beaucoup plus substantiels en cas de plus forte réduction des émissions et de plus grand essor des renouvelables.
« L’effet des objectifs de réduction des rejets de gaz à effet de serre et de montée de la part des énergies renouvelables est très fort », analyse Cyrille Cormier, chargé de campagne climat-énergie à Greenpeace France. Il remarque un autre impact notable : l’effet sur la part du nucléaire. Quasiment nul avec seulement la baisse de 40 % de gaz à effet de serre, il diminue de 22 % la part de l’atome dans le mix en 2030 si l’Europe vise 30 % de renouvelables. La baisse du nucléaire est encore plus sensible en cas de diminution de 45 % des rejets de CO2 et part de 35 % de renouvelables : -59 % en 2030.
« Si l’Union européenne n’adopte que des objectifs de baisse de CO2 et de gaz à effet de serre, elle ne transformera pas son modèle énergétique, elle restera dépendante du charbon et du nucléaire, et les impacts positifs sur son économie seront limités », poursuit Cyrille Cormier.
Pour enclencher une véritable dynamique de transition énergétique, il faudrait donc cibler des objectifs ambitieux, y compris sur l'éolien, le photovoltaïque et la biomasse. C’est la conclusion (non écrite) de cette version provisoire de l’étude d’impact. La retrouvera-t-on dans sa version définitive ? Ce n'est pas certain. Greenpeace s’inquiète de la mobilisation des industriels de l’énergie contre les aides aux renouvelables en Europe. L’étude d’impact officielle doit être publiée dans les prochains jours. La Commission européenne se réunira ensuite début 2014 pour fixer les objectifs et les ambitions du paquet énergie climat 2030. Le conseil des ministres européens se prononcera à son sujet mi-mars.
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