Quantcast
Channel: Mediapart - Economie
Viewing all articles
Browse latest Browse all 826

La mauvaise utilisation des IRM pèse sur les malades du cancer

$
0
0

Au CHU de Strasbourg, devant « l’inertie » de l’administration, le professeur Christian Marescaux a pris la décision rare de s'exprimer publiquement pour dénoncer « la mise en place d’une pénurie organisée d’IRM » – cet examen d’imagerie par résonance magnétique – au détriment de certaines urgences (lire notre précédente enquête ici). Depuis, il compte ses soutiens dans la communauté médicale : « huit médecins », dit-il, l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et la CGT médecins.

Il n’est pourtant pas le seul à s’interroger sur les priorités d’accès aux IRM en France. En langage tout juste diplomatique, Agnès Buzin, la présidente de l’Institut national du cancer (Inca) a confié sa « surprise devant les délais d’attente dans certaines régions. Les IRM ne sont pas forcément utilisées de façon hiérarchisée ». Selon elle, ce sont autant de « pertes de chances » pour les malades, et une source d’« inégalités » géographiques autant que sociales face à cette maladie qui fait 150 000 morts par an. La présidente de l’Inca s’est ainsi exprimée, mardi 4 février, à l’occasion de la présentation du 3e plan cancer (2014-2019).

Un peu plus tôt, le président de la République François Hollande avait présenté ce nouveau plan cancer, construit autour d’un objectif de réduction des inégalités sociales. Les chiffres sont cruels : « Le risque de mourir d’un cancer entre 30 et 65 ans est deux fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres. C’est inacceptable », a rappelé le président de la République. Les Français les plus modestes sont davantage exposés à des risques (professionnels, ou liés au mode de vie). Ils ont aussi un moindre accès au dépistage et aux traitements.

Pire, ces inégalités ne cessent de se creuser, et elles sont clairement perçues par la population, comme le montre le récent baromètre de la Drees : 6 Français sur 10 pensent que la qualité des soins baisse selon les revenus et le lieu où l’on habite.

Les difficultés d’accès aux IRM sont l'un des rouages des inégalités de survie au cancer. L’IRM est devenu l’examen de référence pour dépister les cancers, suivre leur évolution, et même les traiter. Le 3e plan cancer fixe un objectif de baisse à 20 jours du délai moyen d’attente pour une IRM de surveillance d’un cancer (en 2013, ce délai est de 25 jours).

Les IRM sont-elles en nombre suffisant en France ? Non, martèle, études à l’appui, l’association ISA (Imagerie santé avenir), financée par les industriels de l’imagerie : avec près de 600 IRM, la France serait deux fois moins équipée que les autres pays d’Europe de l’Ouest, trois fois moins que l’Allemagne ! En matière de santé, les comparaisons internationales sont toujours délicates. La référence en la matière est l’OCDE, qui publie chaque année un « Panorama de la santé ».

Les chiffres de l’OCDE sont sensiblement différents : la France est sous-équipée par rapport à la moyenne de l’OCDE, mais réalise un nombre important d’examens (voir graphiques ci-dessus). « Le nombre d’examens est l’indicateur le plus pertinent. La France a la particularité d’avoir de gros appareils IRM polyvalents, sollicités pour de multiples pathologies », explique Jérôme Viguier, directeur du pôle santé publique et soins de l’Inca.

Cette agence nationale a réalisé sa propre étude, centrée sur les « délais de rendez-vous pour une IRM ». La dernière date de 2011. Apparaissent de fortes inégalités régionales dans les délais d’attente, et aussi des incohérences entre ces délais et le niveau d’équipement des régions. Ci-dessous, le graphique de l'Inca :

La Basse-Normandie est sous-équipée (moins de 8 IRM par million d’habitants, contre 9 en moyenne nationale) et a un délai d’attente moyen très important, supérieur à 40 jours. Mais la Picardie, encore moins bien équipée, a un délai d’attente de 15 jours seulement. Quant aux régions les mieux équipées, leurs délais sont tout aussi variables : moins de 20 jours pour l’Ile-de-France, mais plus de 30 jours pour l’Aquitaine ou la Lorraine.

L’Inca a relancé cette enquête à l’automne 2013. Les résultats, pas encore publiés, montrent que « certaines régions très bien équipées continuent à afficher des délais d’attente anormalement longs, comme Midi-Pyrénées ou la Lorraine », explique Jérôme Viguier, de l’Inca.

Comment expliquer ces incohérences ? Jérôme Viguier avance plusieurs hypothèses : « Les horaires de fonctionnement des IRM, les personnels qui leur sont affectés. » Patrick Pelloux, le président de l’Association des médecins urgentistes de France, confirme : « Certaines IRM fonctionnent aux heures ouvrables, faute de manipulateurs, de radiologues pour les faire fonctionner. » Il met en garde contre « le lobby des industriels : ce n’est pas en mettant des IRM dans chaque service qu’on va résoudre un problème de fond d’organisation ».

La crise que traverse actuellement le CHU de Strasbourg met aussi en lumière l’existence de « coupe-files », via les clientèles privées des radiologues. Une ancienne urgentiste du CHU dénonce même une discrimination sociale dans l’accès à l’imagerie médicale : « Les VIP ont droit à tous les examens ! »

Vanessa Ruhlmann décrit un système clientéliste. Elle a fondé l’association Optim’AVC – qui dénonce les dysfonctionnements actuels de la filière AVC – lorsqu’elle a compris qu’elle faisait partie « des privilégiés » de ce système. Elle est suivie au CHU depuis dix ans pour des problèmes neurologiques, connaît tous les médecins, leurs assistantes, les infirmières : « Moi, j’ai un IRM dans les deux jours. Mais j’ai rencontré d’autres patientes, avec des maladies aussi graves, qui attendent plusieurs mois pour avoir un rendez-vous. Est-ce que c’est normal ? » Jouant de son entregent, elle parvient même à avancer les délais de rendez-vous des patients qui contactent son association.

Dans le troisième plan cancer, l’équipement en IRM des régions sous-dotées est une priorité, mais le président de la République a dévoilé un budget dérisoire : 15 millions d’euros, de quoi acheter dix IRM tout au plus. La présidente de l’Inca, Agnès Buzin, assume : « Avant de dépenser toujours plus d’argent public, nous avons un devoir d’optimisation de l’utilisation des machines. » Dans le cadre de ce troisième plan cancer, « les Agences régionales de santé (ARS) doivent suivre les délais d’attente aux IRM et mettre le nez dans l’organisation des hôpitaux et dans les priorités d’accès », explique Jérôme Viguier. Au CHU Strasbourg pourtant, la prise de parole du professeur Christian Marescaux n’a suscité aucune réaction officielle de l’agence régionale de santé d'Alsace ou du ministère de la santé.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pulseaudio partagé sur le LAN


Viewing all articles
Browse latest Browse all 826

Trending Articles