Le minimum, c’est beaucoup trop. Voilà donc la dernière idée moderne. On ne peut pas dire qu’elle soit toute neuve, elle est même appliquée en Allemagne depuis longtemps, mais elle court ces temps-ci dans Paris, avec une vigueur nouvelle. Pascal Lamy, socialiste et proche de François Hollande, disait il y a quinze jours qu'« un petit boulot c’est mieux que pas de boulot du tout ». Pierre Gattaz, président du Medef, vient de lui emboîter le pas. Il propose aux partenaires sociaux et au gouvernement la création d’un « salaire transitoire au-dessous du Smic ».
Mais ne vous méprenez pas ! Il ne s’agit pas de recruter de la main-d’œuvre en la payant au lance-pierre, voire en ne la payant pas du tout. Le patron des patrons ne veut pas sur-exploiter les jeunes ou les personnes sans emploi. Son approche est économique, mais elle est d’abord altruiste et désintéressée. Moins on paiera les gens, plus on leur rendra service !
Il s’agit ni plus ni moins de mettre en œuvre une politique de civilisation, comme le disait Nicolas Sarkozy en 2008, en s’inspirant d’Edgard Morin. Quelque part, Pascal Lamy et Pierre Gattaz se réclament en effet d’une forme de préoccupation humaine, et même de générosité, en réclamant qu’on rétribue le travail au-dessous du salaire minimum.
Pierre Gattaz et ses amis sont des anti-cyniques par excellence, dont le cœur saigne à la vision des malheurs de leurs semblables. Pour un peu, ils arpenteraient le macadam en s’écriant : “Tous ensemble, tous ensemble, ouais !”
Car ce qui les désole c’est que tant de gens aient trop de mal à trouver du travail, et ce qu’ils constatent c’est que cette valeur inestimable, la valeur travail, est entravée par la valeur salaire. Il faudrait donc se pencher vers les personnes en difficulté, non pas pour les plumer mais pour les remplumer…
Comment ? En abaissant la rémunération à l'échelle de la personne concernée. Plus le “salarié” serait débutant, ou plus il serait à la rue, et plus la rétribution serait adaptée à son profil. On connaissait le travail du stagiaire, accompli pour la gloire du CV, il faudrait inventer le salaire inférieur au Minimum : il «permettrait de mettre le pied à l’étrier », dit Pierre Gattaz. Lequel ajoute : « Il vaut mieux quelqu’un qui travaille dans l’entreprise avec un salaire un peu moins élevé que le Smic, de façon temporaire et transitoire, plutôt que de le laisser au chômage. »
C’est beau comme de l’antique et c’est adapté au troisième millénaire. Il s’agit de dépasser « les doctrines démodées », par exemple ce dicton stupide qui soutient que tout travail mérite salaire, alors que le travail n’a pas de prix, et qu’il est un salaire en soi. L’exercer, c’est déjà s’enrichir !
Il y a donc du réalisme dans la proposition de Pierre Gattaz, et l’une de ses phrases le prouve : « Le niveau élevé du Smic est une marche d’escalier difficile à franchir en France. » C’est vrai que 1 100 euros net par mois, c’est terriblement “élevé” pour se nourrir, se chauffer, se déplacer, et payer son loyer.
Mais l’abaissement du Smic, au-delà de sa dimension philanthropique, serait également un acte de courage. Comme le dit l’ancien patron de l’OMC, l’organisation mondiale du commerce, « c'est l'état d'esprit des Français qui est le problème (...) C'est un état d'esprit défensif ». Et il ajoute : « Aussi longtemps que cette pédagogie ne sera pas faite, je pense que nous resterons, en quelque sorte, tétanisés, coincés, peureux. »
Il a raison Lamy, il a raison Gattaz, ils ont raison tous ceux que ne choquent pas les petits boulots à l’allemande. Il n’y a que cette sectaire de Laurence Parisot pour juger qu’il s’agit là d’une « logique esclavagiste ». Être « coincé, tétanisé, peureux », à l’idée que huit cents euros par mois c’est insuffisant pour vivre, c’est vraiment misérable !
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