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Areva: une sombre affaire d'espionnage au tribunal

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Cela pataugeait sec au début de l’audience de la XVIIe chambre de la cour de Paris, vendredi 16 mai. Le tribunal devait juger une invraisemblable affaire d’espionnage contre le mari d’Anne Lauvergeon, Olivier Fric, organisée, selon l’accusation, par un responsable d’Areva à l’époque, Sébastien de Montessus, et l’agence de renseignement économique suisse, Alp Services.

Le fond du décor de cette affaire ayant entraîné une violation de vie privée était le dossier Uramin. Mais quelques jours avant l’audience, le pré-rapport de la Cour des comptes avait été dévoilé par la presse. Le dossier, qui a fait l’objet d’un signalement, est désormais dans les mains du parquet financier. Comment alors juger cette affaire d’espionnage sans parler du reste ? « Nous ne sommes ni la Cour des comptes ni une commission parlementaire », insista le président de la cour pour rappeler que la seule affaire à juger était celle de l’espionnage au détriment de M. Fric. Mais tout au long de la très longue audience, l’ombre d’Uramin plana.

Début 2011, Areva avait officiellement commandé une enquête sur le rachat suspect de cette société minière canadienne. Mais Pomerol IV, comme l’avait nommé le contrat signé entre Areva et Alp Services, détaillait surtout les activités de M. Fric, avant de conclure qu’il n’était pas mêlé de près ou de loin au rachat d’Uramin. « J’ai découvert qu’il y avait une officine contre moi. Un document qui nous a été transmis expliquait que j’avais été victime d’une enquête illégale sur ma vie privée, sur mes comptes, mon activité. Ce document ne pouvait provenir que de l’intérieur », expliqua en préambule Olivier Fric, avant de rester silencieusement assis pendant les huit heures d’audience.

Sur le banc des prévenus, Mario Brero, patron de la société Alp Services, poursuivi par le ministère public pour « complicité et recel de violation de secret professionnel », écoutait stoïquement. C’est lui qui avait été chargé de l’enquête.

« Il y avait déjà eu une première enquête sur Uramin. Selon ses conclusions, Areva aurait été victime d’une escroquerie et l’enquête nous incitait à prévenir nos autorités de tutelle. À l’époque, on parlait d’une possible enquête parlementaire. Et c’était la période de l’arrêté des comptes de 2010. J’avais informé ma direction de mes inquiétudes sur les actifs. Il y avait un risque de dépréciation d’actifs de 1,5 à 1,8 milliard d’euros. Le dossier devenait explosif », expliqua Sébastien de Montessus, alors responsable de l’activité mines d’Areva, pour justifier le recours à cette société d’intelligence économique. Celle-ci, dit-il, lui avait été recommandée par Eurocopter et EADS parce qu’elle avait de bons contacts avec la famille du président kazakh, pays où Areva avait aussi des problèmes miniers.

« Anne Lauvergeon était-elle au courant de cette enquête ? » demanda le procureur à Mario Brero. « Je ne me suis pas posé la question. J’aurais dû », répondit-il, avant d’expliquer longuement les rendez-vous qu’il avait eus avec plusieurs responsables d’Areva, et d’abord Sébastien de Montessus au siège même du groupe, à l’étage en dessous du bureau de la présidente.

Mais comment d’une enquête sur Uramin en était-il arrivé à enquêter sur le mari d’Anne Lauvergeon ? « Cela est venu au cours des discussions. Il n’y a pas de moment précis. Des noms ont été cités qui auraient pu avoir bénéficié illégalement de cette acquisition », répondit Mario Brero. « Mais est-il normal que vous vous procuriez des fadettes ? » insista la représentante du ministère public. « Ah non, je n’ai pas obtenu de fadettes », rétorqua Mario Brero, se plaignant des questions orientées de la procureure. « J’avais mes sources », dit-il, expliquant qu’il avait pu avoir communication des appels téléphoniques de M. Fric par d’autres moyens. « La question de la légalité n’est pas la même partout », insista-t-il.

Face aux questions insistantes de la procureure, il finit par répondre péremptoire : « Dans l’affaire Areva, il y avait la protection de la vie privée d’un côté, quatre milliards d’euros de risque pour les contribuables de l’autre, on se permet quelques écarts. »

« En quoi les conversations de M. Fric, ses relevés d’hôtel ont-ils à voir avec le rachat d’Uramin quatre ans avant ? C’est une opération d’espionnage, de déstabilisation pure et simple. Il s’agissait de faire tomber Anne Lauvergeon sur n’importe quoi, son mari ou autre chose », accusa Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, avocat d’Olivier Fric. Tout au long de l’audience, il s’anima, objecta, fit le show. Sa conviction est arrêtée, tout cela relève d’un complot pour faire tomber Anne Lauvergeon. La preuve pour lui ? Le rapport de la Cour des comptes. « Il n’y a rien de neuf dans ce rapport, sauf l’appréciation des doctes magistrats de la Cour des comptes sur la façon dont il faudrait conduire une entreprise », clama-t-il.

La cabale, selon lui, a été montée en partie par Sébastien de Montessus. « Mais la question à laquelle le tribunal ne répondra pas est qui est derrière Montessus ? » expliqua-t-il au tribunal. « Pourquoi ? Dans quel objectif ? » répliqua en défense, Me Patrick Maisonneuve, avocat de l’ancien responsable des mines d’Areva.

Poursuivi par la partie civile mais pas par le ministère public, Sébastien de Montessus avait été très présent tout au long de l’audience, intervenant de son banc, précisant les faits ou objectant des réponses, dès qu’il lui paraissait important de corriger. Sûr de lui, un brin cassant parfois, l’ancien membre du directoire d’Areva laissa, pourtant au fil de ses explications, s’installer une curieuse impression. Ses propos parfois sonnaient faux, comme une vérité reconstruite.

Sa démonstration, pourtant, se voulait impeccable. Une enquête sur Uramin était logique compte tenu de la situation. Il fallait préserver le groupe, sa présidente, rappela-t-il à plusieurs reprises. Cette enquête, poursuivit-il, il ne l’avait pas commandée seul. « Elle a été menée à la demande conjointe de Jean-Michel Chéreau (responsable de la sécurité d’Areva) et de moi-même », expliqua-t-il, avant d’insister sur le fait que tout s’était passé selon les procédures du groupe.

Avait-il suggéré d’enquêter sur les activités d’Olivier Fric ? Jamais, au grand jamais, jura-t-il. « Il s’agissait de réaliser une contre-expertise, après la première enquête sur Uramin qui parlait d’escroquerie », dit-il. Mais le cabinet Alp Services, qui devait faire cette contre-expertise, n’a eu que très tardivement une version parcellaire de cette enquête.

Sébastien de Montessus semblait pressé de récupérer le rapport d’Alp Services sur le sujet. En septembre 2011, il se fit porter par voiture de Genève le rapport inachevé. Il y avait les comptes, la dépréciation des actifs à venir, le climat d’inquiétude dans le groupe, les demandes de nouvelles avances par Alp Services, expliqua-t-il en substance pour justifier son impatience. « Mais quand j’ai vu le rapport, j’ai tout de suite décidé de mettre un terme à leur mission et je ne les ai pas payés », dit-il.

Sa présentation des faits se heurta au récit tout en raideur de Jean-Michel Chéreau, ancien général, et responsable de la sécurité d’Areva. « À l’époque, j’étais préoccupé par d’autres problèmes de sécurité comme celle de nos otages au Niger. Je n’étais pas demandeur du rapport sur Uramin, c’est une commande de Sébastien de Montessus », affirma-t-il. Les avocats d’Olivier Fric commençaient à s’agiter de plaisir. « Je pense, poursuivit-il, qu’Anne Lauvergeon était au courant, un conseiller auprès de la présidente m’a dit qu’elle était au courant. » Il dit en avoir lui-même parlé au responsable de la sécurité personnelle d’Anne Lauvergeon. Accalmie sur les mêmes bancs. L’ancienne présidente a toujours dit qu’elle avait découvert l’existence de cette enquête à la suite d'un envoi anonyme à son domicile. Le témoin renvoyait les parties dos à dos.

Cette audience n’a guère permis de faire la lumière sur l’histoire embrouillée d’Uramin. Elle révéla en revanche par bien des détails l’atmosphère empoisonnée d’un groupe où l’état-major semblait ne plus se faire confiance, s’entre-déchirait et s’épiait. Au point d’avoir recours à tous les moyens, même les plus tordus ? La question n’a pas été tranchée à l'audience.

Le ministère public a requis contre Mario Brero une amende dont le montant est laissé à l’appréciation du tribunal. Le jugement est renvoyé au 20 juin.

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