Le « St. Petersburg International Economic Forum », c’est un petit peu le « Davos » russe : chaque année, grands patrons et hommes d’affaires du monde entier s’y pressent. Pour voir et se faire voir ; pour faire des affaires. C’est la règle du jeu de ce genre de mondanités planétaires : cela ne sert strictement à rien ; mais c’est très utile de s’y montrer. Tout juste tout ce petit monde a-t-il de la sorte l’occasion de se côtoyer et de nouer d’utiles et discrets contacts. Pour les lobbyistes, c’est aussi un terrain de chasse privilégié pour y exercer leur activité, celle de marchand d’influence.

La session de cette année, qui s’ouvre ce jeudi 22 mai et qui se poursuit jusqu’au samedi 24 mai (et dont le programme est présenté ici), va donc permettre à tout le gratin planétaire qui a des intérêts en Russie, ou qui aimerait y nouer des contacts, de se retrouver pour trois jours de rencontres et de colloque. On y trouve ainsi, pour la France, une belle brochette d’hommes d’affaires et de PDG du CAC 40, flanqués de nombre de leurs collaborateurs. C’est ce que Mediapart est en mesure de révéler. Nous avons en effet pu obtenir la liste, confidentielle mais très instructive, des personnalités qui se sont inscrites pour participer aux festivités. La voici :
On relève donc pêle-mêle les noms de Thierry Breton (Atos), Christophe de Margerie (Total), Yves-Thibault de Silguy (Vinci), Jean-François Decaux (Decaux), Patrick Kron (Alstom), Franck Riboud (Danone), Jean-Pascal Tricoire (Schneider) ou encore Antoine Frérot (Veolia).
Dans la liste des lobbyistes, on peut aussi relever le nom de Dominique Strauss-Kahn, qui est là en sa qualité de représentant de sa petite société personnelle, dénommée Parnasse communication. Dans le lot, il y a aussi un député de l’UMP, Luc Chatel, l’ancien ministre de l’éducation.
La liste des participants réserve une surprise de plus. On y découvre que le PDG de Veolia, Antoine Frérot, ne vient pas seul à Saint-Pétersbourg. Il est aussi flanqué de trois vice-présidents. Ou plutôt de trois faux vice-présidents, puisque les trois personnes qui ont été inscrites sous cette qualité n’apparaissent pas dans l’organigramme public du groupe (que l'on peut consulter ici). Il s’agit de l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, de l’ancien secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant (dont le prénom est mal orthographié dans le document) et de l’homme d’affaires et intermédiaire controversé Alexandre Djouhri.
Que font donc ces trois personnalités à Saint-Pétersbourg et pourquoi ont-elles été inscrites sous une fausse qualité ? En fait, leur présence est très révélatrice des règles de fonctionnement opaques du capitalisme parisien, et des réseaux d’influence complexes dans lesquels il se délecte à barboter – règles de fonctionnement que le groupe Veolia met en pratique d'une manière qui confine à la caricature, même si son principal actionnaire est la Caisse des dépôts et consignations, avec 8,9 % du capital (la répartition du capital est ici).
On savait ainsi de longue date que Dominique de Villepin, qui s’est reconverti en avocat d’affaires quand il a quitté Matignon, avait été enrôlé par Veolia, du temps où le groupe était présidé par Henri Proglio. Sans pouvoir en obtenir confirmation, on avait alors parlé d’honoraires astronomiques, de l’ordre de 500 000 euros par an, soit plus que la rémunération maximale autorisée pour le PDG d’une entreprise publique. Ce qui laisserait à penser que le carnet d’adresses d’un ancien premier ministre coûte immensément cher.
La présence dans cette liste d’Alexandre Djouhri constitue, elle, une surprise. Car l’homme d’affaires et intermédiaire s’applique à ce que l’on parle de lui le moins possible. Il fait pourtant parler de lui périodiquement, dans des affaires souvent sulfureuses. On l’a souvent présenté comme un rival de Ziad Takieddine, comme intermédiaire dans des contrats aussi colossaux que discrets. Dans une enquête en 2012, le magazine Challenges le présentait comme un personnage de l’ombre intriguant, naviguant entre les milieux du contre-espionnage français et les cercles dominants de la droite française, d’abord très proche de Dominique de Villepin, avant de se réconcilier avec Nicolas Sarkozy, et devenir l’ami de son principal collaborateur, Claude Guéant.
Le magazine rappelait que « le nom de l'homme d'affaires est aussi apparu fin 2011 dans le volet financier de l'affaire Karachi, autour des commissions de l'énorme contrat de frégates Sawari. L'intermédiaire Ziad Takieddine accuse Djouhri d'avoir piloté le basculement des commissions du réseau initial de sociétés bénéficiaires, réputé proche des balladuriens, à celui des chiraquiens à la fin des années 1990, ce que l'intéressé nie avec la dernière énergie ».
Depuis longtemps, on savait donc que le mystérieux Alexandre Djouhri travaillait discrètement pour le compte de Veolia. Le colloque de Saint-Pétersbourg vient confirmer que ce qui était vrai sous la présidence de Henri Proglio l’est toujours sous celle d’Antoine Frérot, dont le mandat vient d'être reconduit pour quatre ans, avec l'appui de la Caisse des dépôts. On a même souvent dit – sans pouvoir en obtenir confirmation – que l’homme d’affaires contrôlait indirectement près de 6 à 8 % du capital du groupe Veolia.
L’identité du troisième faux vice-président ne manque pas moins d’intérêt puisqu’il s’agit effectivement de Claude Guéant, qui est donc l’un des amis d’Alexandre Djouhri.
Sa présence, elle, est inattendue. On savait certes que l’ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy s’était, lui aussi, reconverti en avocat d’affaires en 2012, mais jusqu’à présent, on avait relevé sa présence surtout dans de nombreux pays africains. Le colloque russe révèle que ses clients sont, en réalité, plus nombreux qu’on ne le pensait et que Veolia s’est sans doute attaché aussi ses services. Pour quelles missions de bons offices ? En vérité, c’est cela le mystère : pourquoi un groupe comme Veolia a-t-il le besoin de chargés de missions aussi influents ? Et quelles sont précisément leurs missions ? Il ne faut évidemment pas compter sur le groupe pour le dire. Car la première règle du capitalisme de connivence à la française, c’est le silence.
Interrogé par Mediapart, le groupe Veolia fait valoir qu'il s'agit d'une erreur. Il indique qu'il a découvert cette liste mercredi et qu'il a demandé à plusieurs reprises aux organisateurs de la modifier, sans que cela soit encore fait. Selon lui, ces trois personnes ont été invitées directement par les organisateurs. Une autre personne proche de la direction fait valoir que si la relation entre Dominique de Villepin et Veolia est connue, il est faux en revanche que le groupe travaille avec Claude Guéant. Ce dernier en aurait fait la demande, mais le groupe n'aurait pas donné suite.
Ce qui est certain, quoi qu'il en soit, c’est que Claude Guéant ne s’attardera pas à Saint-Pétersbourg. Car il est attendu dès lundi, à la première heure, par la Brigade financière, pour être placé en garde à vue dans le cadre du scandale Tapie. Mais cela, c’est une autre histoire…
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : FSlint, supprimer efficacement les doublons sur votre disque dur