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Europe: Barroso, il est impossible de faire plus mal!

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Si Jean-Claude Juncker devrait faire mieux que son prédécesseur à la tête de la Commission européenne, c’est qu’il est vraisemblablement impossible de faire plus mal que José Manuel Durao Barroso. Cette observation que l’on entend ou lit un peu partout en Europe, y compris au pays natal de l’ancien premier ministre portugais, donne une idée du niveau des espérances placées dans l’équipe qui prend le « pouvoir » le 1er novembre à Bruxelles.

Ces guillemets au mot pouvoir sont en effet le principal héritage du président sortant : ses deux mandats à Bruxelles, en tout une décennie, ont vu un affaiblissement fatal du poids de la Commission au sein du « triangle institutionnel » européen, au profit du Conseil et, en apparence surtout, du Parlement de Strasbourg. Si la cause européenne n’y a pas gagné grand-chose en légitimité « démocratique », elle y a beaucoup perdu en vigueur et en crédibilité.

Capable de sourire en trois languesCapable de sourire en trois langues © CE

Candidat de circonstance, Juncker, déjà pressenti, s’étant récusé pour respecter l’engagement pris auprès de ses électeurs luxembourgeois, le « fédéraliste » Guy Verhofstadt s’étant heurté au veto de Londres et Pascal Lamy à l’hostilité de l’ineffable Jacques Chirac, Durao Barroso allait incarner dans sa personne et son action ce « plus petit commun dénominateur » devenu le paradigme d’un projet sans souffle et sans vision. Toutefois, comme l’écrit justement dans l’hebdomadaire Expresso son compatriote Miguel Sousa Tavares, « il serait injuste de dire qu’il est le coupable principal de l’état dans lequel se trouve l’Europe après ses dix années de présidence. La dernière décennie européenne a révélé une génération de politiciens sans l’étoffe d’hommes d’État et sans pensée européenne, responsables de la défiance généralisée à l’égard de la politique et de l’idée même de démocratie qui s’est répandue parmi les peuples ».

Mais le moins que l’on puisse dire est que Durao Barroso aura servi les médiocres qui l’avaient fait roi avec une remarquable souplesse d’échine. De cette ductilité, l’ancien étudiant maoïste fera la démonstration dès son arrivée à Bruxelles, en accordant aux journalistes cette concession démagogique : « Appelez-moi José Manuel Barroso », alors qu’il était et reste aujourd’hui encore connu au Portugal comme « le Dr. Durao » ou « Durao », son premier nom de famille, voire « Durao Barroso ». Anecdotique mais révélateur d’une capacité certaine à tourner avec le vent.

Dans une carrière politique, vient toujours un moment clé, un « tournant » qui restera, pour le meilleur ou pour le pire, le révélateur d’une capacité à imposer, on non, son propre agenda, à orienter le cours des événements. On pense à Ronald Reagan mettant à pied les contrôleurs aériens ou Margaret Thatcher engageant, assez tardivement d’ailleurs, l’épreuve de force avec les mineurs. Ou, a contrario, à l’échec de Jacques Chirac face au mouvement social de l’hiver 1995-96 suivi d’une dissolution désastreuse le conduisant, selon une remarque assassine, à « inventer le septennat de deux ans ».

Dans le cas de Durao Barroso, dont les débuts face au Parlement européen avaient été marqués par une épreuve de force perdue (sur le cas du candidat italien à la commission Rocco Buttiglione), il ne fait pas de doute pour l’auteur de ces lignes – qui a vécu l’épisode en direct à Bruxelles – que cette heure de vérité aura été le bras de fer, au bout du compte perdu par l’exécutif européen, sur la fameuse « directive Bolkestein ».

Après tout, Durao Barroso n’était-il pas arrivé à Bruxelles porteur d’une réputation de «libéral» pour les quelques (pourtant modestes) réformes entreprises à Lisbonne ? En réalité, le « laissez-faire » du chef du gouvernement de centre-droit portugais s’était surtout manifesté à l’été 2003, quand il avait passivement regardé le pays brûler dans des feux de forêt monstres visibles depuis l’espace (430 000 hectares partis en fumée, record historique resté fort heureusement inégalé depuis).

Ayant saisi des mains de l’authentique libéral néerlandais Fritz Bolkenstein le drapeau de la libéralisation des échanges de services sur le territoire de l’Union, en fait le volet manquant pour l’achèvement du grand marché intérieur, Durao Barroso se fera des mois durant l’avocat passionné du « principe du pays d’origine », arguant à juste titre des millions d’emplois perdus et des énormes coûts induits que la protection des rentes à l’intérieur d’un marché fragmenté infligeait à l’économie européenne. Jusqu’à ce que le vent tourne, sous l’influence des intérêts en place coalisés (les notaires levant les premiers l’étendard de la révolte  "antilibérale») et que les capitales nationales, jusque-là tout à fait convaincues, ne tournent casaque sous la pression de «l’opinion».

Plutôt que de retirer le texte, ce que les traités lui permettaient et que la dignité lui commandait, le président de la Commission accepta qu’il soit détricoté et vidé de sa substance au Parlement européen par une coalition baroque allant de la gauche extrême aux démagogues chiraquiens.

Dès lors, comme le reconnaîtra tardivement Jean-Pierre Jouyet, seulement après avoir rendu son tablier de secrétaire d’État aux Affaires européennes de Nicolas Sarkozy, la commission Barroso se transformera en «secrétariat général» du Conseil, ayant de facto perdu le « monopole de l’initiative » législative que lui confiaient les traités. Et Durao lui-même, comme l’écrit peu charitablement « MST », en « maître de cérémonie » de l’Europe, capable « de sourire en trois langues ». Mais Durao Barroso y gagnera, en pleine crise financière globale, la prolongation pour cinq ans de son règne au 13e étage du Berlaymont, par la bonne grâce de « Merkosy ».

La crise, justement. Dans la défense de son bilan, publiée en portugais dans Expresso, Durao Barroso s’enorgueillit que l’Union européenne et la zone euro lui aient survécu. Et il s’attribue notamment le mérite d’avoir combattu le « Grexit » (sous-entendu, face à l’Allemagne), la sortie de la Grèce de la zone euro. L’alibi de la crise est évidemment à la mode chez les gouvernants européens, très peu de ceux qui étaient en place au moment de son déclenchement en 2007 ayant survécu aux épreuves électorales postérieures. Il suffit d’écouter le « revenant » Nicolas Sarkozy évoquer avec des trémolos dans la voix « la pire crise qu’ait connue le monde ». Mais c’est parce qu’ils ont raté leur crise, qui comme chacun sait et comme l’écrit la langue chinoise comporte des dangers mais offre aussi des opportunités.

La commission Barroso, en grande partie du fait de l’apathie initiale de son président, a connu une bien mauvaise crise. Les preuves abondent. Ainsi, si la monnaie unique a survécu jusqu’à ce jour, elle le doit avant tout à la Banque centrale européenne, dont les présidents successifs Jean-Claude Trichet et Mario Draghi ont pris bien des libertés avec les traités et résolu de faire « tout ce qu’il faudra » pour sauver l’euro. Et quand il a fallu intervenir dans trois pays (et demi avec l’Espagne) pour les sauver de la banqueroute (Grèce, Irlande, Portugal), c’est vers le Fonds monétaire international que se sont tournés les dirigeants européens, incapables d’y faire face seuls et trop contents de se cacher derrière l’institution multilatérale basée à Washington.

Enfin, si l’Union européenne et la zone euro émergent de la crise avec une architecture de régulation financière renforcée (au terme d’un processus qui s’étalera jusqu’à la fin de cette décennie), elles devront autant sinon plus à une petite phalange déterminée de parlementaires européens qu’à la Commission (et au sein du collège, à Michel Barnier).

Dans l’héritage de Durao Barroso, il n’y a pas plus de politiques européennes communes qu’il n’y en avait à son arrivée à Bruxelles dix ans plus tôt. L’Europe, constate encore Miguel Sousa Tavares, « n’a pas de politique extérieure commune, pas de politique de défense commune, pas de politique énergétique commune, pas de politique économique commune ni de politique financière commune ». Et, mauvaise excuse de la crise oblige, Durao Barroso s’est fait imposer par les grands États membres, une réduction du déjà misérable budget de l’Union dans les perspectives financières 2014-2020.

Il est fort peu probable que Jean-Claude Juncker, « élu » tout juste après avoir été remercié par les électeurs luxembourgeois, parvienne à modifier le rapport de force imposé par les grandes capitales, et d’abord Berlin, au terme de la « décennie perdue » constituée par le « règne » de Durao Barroso. On ne voit pas ce vétéran du Conseil européen, dont il fut longtemps le doyen, renverser la table pour rendre au collège le rôle « exécutif » que lui accordent pourtant les traités.

Néanmoins, pour citer encore « MST », « c’est un grand réconfort de savoir que Durao Barroso ne dirige plus là-bas et qu’il va entrer dans la très profitable activité de conférencier poursuivie par les grands de ce monde ». Parfaitement trilingue en effet, il pourrait même y réussir mieux que le futur président de l’UMP, qui « parle » l’anglais comme une vache espagnole.

De fait, après avoir nourri, selon les rumeurs successives, de grandes ambitions (un troisième mandat à Bruxelles, la présidence du Conseil européen, le secrétariat général de l’ONU, voire celui de l’Otan), le « Dr. Durao » a confié à la BBC qu’il allait faire une pause au terme de trente années de carrière politique presque ininterrompue. La vérité, comme l’écrit méchamment Nicolau Santos dans Expresso, c’est que « personne ne veut de lui. C’est le résultat de ce qu’il n’a pas fait pendant dix ans ».

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