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Reprise ou pas, c'est toujours le PIB qui gagne à la fin

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Depuis le cœur de l'été, l'embellie serait en vue. Les plus optimistes veulent croire que la récession de la zone euro – la plus longue depuis la création de l'union monétaire – prendra fin à l'automne. Un indicateur très suivi par les marchés semble avoir confirmé lundi la tendance : pour la première fois depuis dix-huit mois, l'indice de l'activité des entreprises a fait état d'un mieux, pour les industries et les services, en juillet.

La progression de l'activité se révèle en fait extrêmement faible, et surtout inégalement répartie sur le continent (le repli se poursuit en France ou en Espagne). Mais il est tentant d'y voir l'un des signes annonciateurs de cette « reprise » tant attendue. Quelques jours plus tôt, Eurostat a révélé un frémissement sur le front de l'emploi : le taux de chômage a légèrement glissé en juin, à 12,1 % contre 12,2 % le mois précédent – même si plus de 19 millions d'Européens restent sans emploi. En Espagne, le nombre de personnes est en recul – infime – pour le cinquième mois consécutif.

Six ans après l'éclatement de la crise, le bout du tunnel serait-il enfin proche ? Cette batterie de fragiles statistiques fait écho à la sortie, le 14 juillet, de François Hollande, affirmant que la reprise économique « est là ». Le président, qui n'en est pas à sa première déclaration hasardeuse (il avait assuré, en décembre 2012, que la crise de la zone euro était « derrière nous », quelques semaines avant les secousses chypriotes), faisait référence à la production industrielle dans l'Hexagone, « qui repart ». Elle a certes augmenté de 2,2 % en avril par rapport au mois précédent, mais a reculé de 0,4 % en mai.

Quoi qu'il en soit, ces chiffres européens ont été reçus avec une relative prudence : si la sortie de récession, technique, semble acquise aux yeux de beaucoup, il ne faudrait pas s'attendre à une « reprise solide », préviennent plusieurs économistes interrogés par Reuters. Même constat pour un expert banquier cité par le Financial Times : « Les signaux sont variés, mais l'on se dirige plutôt vers une reprise plate, que vers un scénario de croissance forte. » À peine le quotidien financier s'autorise-t-il d'ailleurs à qualifier ces chiffres de « non atroces », ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils sont bons. En langage officiel, cela donne un « début de reprise », pronostiqué du bout des lèvres, début juillet, par Pierre Moscovici, le patron de Bercy.

Plus pessimiste, le think tank britannique OpenEurope doute qu'il s'agisse là d'un tournant macroéconomique dans le feuilleton de la crise. Il rappelle en particulier que cet indicateur de l'activité de la zone euro n'est qu'une moyenne à partir de situations extrêmement contrastées. « L'activité dans beaucoup de pays continue de se contracter, France comprise. Or, puisque la crise est bien plus l'affaire de divergences entre pays, que l'évolution d'un agrégat pris dans son ensemble, ces écarts restent importants. » En clair : le moteur de la crise économique –les déséquilibres structurels internes à la zone euro – est toujours d'actualité, et il n'y a donc pas de raison de se réjouir.

Preuve que les disparités au sein de la zone euro ne se sont pas résorbées, le « FT » rappelle ces chiffres assommants d'Eurostat, qui portent sur le dernier trimestre 2012 : « Si vous êtes chômeur en Allemagne, et que vous êtes candidat pour un poste, il n'y aura, statistiquement parlant, qu'un seul autre postulant pour ce même poste. Au Portugal, il y en aurait 89 autres. En Espagne, 71. En Irlande, 31. » Bref, l'Allemagne « disposera pour encore longtemps d'un avantage structurel », pour ne pas dire d'une mainmise sur la gestion de la crise, qui compliquerait la reprise de la zone euro dans son ensemble.

Alors fin de récession, reprise technique, ou reprise pour de bon ? Ce débat, relancé par François Hollande en personne mi-juillet, a de quoi déprimer. On dirait une caricature, à l'identique, des discussions macroéconomiques d'avant crise. À l'été 2009 déjà, c'était la même rengaine insipide, sur le retour-de-la-croissance (voir notre billet daté de septembre 2009 : « La reprise pour qui et pour quoi faire ? »). Comme si la crise n'avait rien changé, de la pertinence des modèles économiques, et des indicateurs que l'on utilise pour mesurer le bien-être, les yeux rivés sur un seul objectif : l'éternel Produit intérieur brut (PIB), qui pourrait repasser dans le vert à l'automne.

Pourtant, de la même façon que la reprise boursière et les records des dernières semaines ne disent rien de la santé de l'économie réelle (voir ici ou ), se concentrer sur le seul PIB reviendrait à répéter les erreurs d'antan. Sur ce front, la commission présidée en 2008 par Joseph Stiglitz, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, pour aller « au-delà du PIB », aussi ambitieuse fût-elle, n'a pas réussi, semble-t-il, à ne serait-ce que faire bouger les lignes du débat.

À leur manière, les déclarations de François Hollande comme de Pierre Moscovici révèlent une attention datée pour les soubresauts du PIB, qui ne dit rien des inégalités, des dégâts environnementaux de la croissance ou encore de la qualité de vie des individus. Ils ignorent au passage des pans parmi les plus passionnants de la théorie économique sur les mesures de la richesse, auxquelles contribuent, depuis des années, Jean Gadrey, Dominique Méda, ou encore, récemment, Jean-Marie Harribey (pour ne citer que quelques auteurs français – on trouvera sur Mediapart l'ensemble de notre dossier sur la commission Stiglitz et les indicateurs alternatifs de richesse).

En mai 2012, en plein débat sur le “bon dosage” entre croissance et austérité, Jean Gadrey affirmait, dans un entretien à Mediapart, que la croissance ne reviendrait « sans doute jamais », dénonçant sans détour « les dégâts du "libéral-croissancisme" ».

De son côté, le sociologue Alain Caillé a posé les bases, avec d'autres, d'un « manifeste convivialiste », pour un art de vivre qui favorise la « coopération » entre individus, « à la recherche de principes permettant aux êtres humains à la fois de rivaliser et de coopérer, dans la pleine conscience de la finitude des ressources naturelles et dans le souci partagé du monde ». « Sous la naïveté apparente d'une nouvelle forme d'utopie sociale bouillonne le pragmatisme d'une analyse politique vitaliste aux effets subversifs », lisait-on en juin dans les Inrockuptibles au sujet de l'initiative. Sans surprise, les socialistes au pouvoir ont choisi de ne pas même s'y intéresser.  

En soi, le débat sur les indicateurs de richesse n'est pourtant pas révolutionnaire. Il n'est pas question d'en finir avec le PIB. Mais d'en finir avec le PIB comme seul indicateur valable du débat économique, comme seul thermomètre capable de décréter le retour de la reprise. La crise en avait fourni l'occasion quasiment rêvée. En vain jusqu'à présent.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Contre l’Etat d’exception


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