
Déçus ! Les syndicats du Printemps ne cachaient pas leur désappointement en apprenant la décision du tribunal de grande instance de Paris, jeudi 8 août. Le jugement les déboute de toutes leurs actions, estimant que la procédure d’information-consultation des salariés dans le cadre de cession du Printemps a été parfaitement conforme à la loi. Leur demande de reprendre la procédure d’information et de suspendre la procédure de vente – démarche d’ailleurs illusoire car la vente définitive a été conclue le 31 juillet sans attendre le jugement – a été jugée dépourvue de tout fondement par le tribunal. Celui-ci a condamné l’intersyndicale aux dépens et à verser la somme de 2 500 euros à SCA Printemps (la société du Printemps), à la SCA Borletti Group Finance (principal actionnaire du Printemps qui a mené toutes les opérations de cession) et à SCA Divine Investments (la société écran luxembourgeoise derrière laquelle se cachent les intérêts de l’ancien émir du Qatar- il a abdiqué en faveur de osn fils le 25 juin-), qui a aussi tenu à se porter partie au procès.
Sortant du silence, le groupe Borletti se félicite de la décision du tribunal. « Cette décision confirme donc qu’aucune irrégularité n’a été commise dans le cadre de la procédure, qui s’est déroulée conformément à la loi », écrit-il. Une formulation qui est un modèle d’ambiguïté visant tant à conforter le processus d’information dans le cadre de cession du Printemps qu’à minimiser l’annonce de l’ouverture de l’enquête préliminaire décidée par le Parquet de Paris le 28 juin, suite au signalement des syndicats, sur les modalités de cette cession. « La direction du Printemps peut donc désormais consacrer toute l’énergie nécessaire à la réalisation de son plan de croissance et de développement, avec le soutien de son nouvel actionnaire, la société Divine Investments SA », conclut le communiqué.
Le comité d’entreprise du Printemps avait décidé de saisir en référé le tribunal de grande instance le 22 juin, pour faire constater le défaut d’information des salariés dans le cadre de la cession de la chaîne de grands magasins. Ils estimaient être tenus dans une ignorance telle des projets formés qu’ils avaient refusé de rendre un avis. À plusieurs reprises, la direction du Printemps a fait pression sur les responsables du comité d’entreprise pour leur arracher une signature. Que l’avis du comité d’entreprise ait été positif ou négatif, peu leur importait, puisqu’il n’était que consultatif.

Ne parvenant pas à ses fins, la direction a décidé de s’en passer. Dès le 13 juin, un accord de vente était signé au Luxembourg, comme Mediapart l’a révélé. Dans un mail interne, publié aussi par Mediapart, un des responsables du groupe Borletti, en annonçant cette signature, demandait à tous de garder la stricte confidentialité et de ne pas en informer les salariés avant l’avis de l’autorité de la concurrence (voir notre e-book qui regroupe toutes nos enquêtes depuis février).
Ces simples faits auraient pu amener la juge Claire David à s’interroger sur la sincérité de la démarche d’information de la direction du Printemps, tant les manœuvres de dissimulation ont accompagné cette vente. Mais celle-ci a considéré que le formalisme de la procédure avait été respecté, ce qui résume assez bien l’état présent de notre droit social (lire l’intégralité du jugement dans l’onglet Prolonger).
« Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le Comité (…) dispose d’informations précises et écrites transmises par l’employeur, d’un délai d’examen suffisant et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations », indique l’article L. 2323-4 du Code du travail. Le jugement rappelle d’ailleurs cette obligation d’informations précises et écrites.
Les élus du personnel en ont-ils disposé ? La direction du Printemps a tenu quatre réunions avec le comité d’entreprise et leur a remis des documents. Mais si les élus du personnel ont été informés du projet de cession, ils n’ont jamais été informés de l’identité du repreneur et encore moins de ses projets. « C'est par la presse et les médias – nos premières révélations sur la vente du Printemps à l’émir du Qatar ici – que le CCE et les OS ont appris la mise en vente du Printemps et c'est encore par la presse et les médias qu'ils ont découvert les dispositifs, montages, et pacte secret de cette cession », rappelle l’intersyndicale dans son communiqué.
Mais manifestement, l’identité du repreneur, les montages financiers, tout ce qui concerne les modalités de la vente, ne participent pas à l’information des salariés, à en croire le jugement. À aucun moment, le jugement ne s’arrête sur l’opacité qui entoure cette vente. La seule préoccupation de la juge Claire David est de savoir si « les projets envisagés par SAS Printemps ont des conséquences pour les salariés ».
Toute son argumentation repose sur le « plan Arthur 3 ». Or, là, miracle ! Alors que la direction du Printemps s’est cantonnée dans les généralités, le jugement feint de croire que l’information a bien été donnée par le groupe. Il se réfère pour cela à l’avis, établi fin mai, de l’expert accompagnant le comité d’entreprise dans ses démarches d’évaluation. Le tour de passe-passe est admirable.
Car c’est par nos révélations que les représentants élus ont découvert les véritables projets du groupe, sous le nom de code Arthur 3 (publié ici) de transformer la chaîne de magasins en centre commercial de produits de luxe, et les conséquences sociales qui en découlaient. Un projet datant de janvier 2013, jamais mentionné par le cabinet Deloitte censé donner à la même date les informations au comité d’entreprise, et volontairement dissimulé par la direction. Doit-on donc en conclure que désormais les informations révélées par la presse participent au processus d’information-consultation des groupes ? Si tel est le cas, c’est une première !
Selon les premières évaluations des syndicats, ce sont au minimum 226 postes qui paraissent condamnés par la première transformation du Printemps Haussmann, sans compter les emplois indirects dans les départements achats, logistiques, comptabilité.
Après avoir démenti l’existence de ce plan, la direction du Printemps a reconnu son existence et a agi comme s’il s’agissait d’un fait acquis, son PDG Paolo De Cesare en confirmant la réalité dans Le Figaro, comme le rappelle le communiqué de l’intersyndicale. Passant outre cette confirmation, après la dissimulation initiale, et surtout le fait que le plan de développement prévoit 270 millions d’investissement – exactement les chiffres retenus dans le projet Arthur 3 –, la juge Claire David, quant à elle, a préféré s’en remettre aux déclarations de la directrice adjointe du Printemps affirmant que le « projet n’était qu’à l’état d’ébauche ». La juge en conclut qu’un projet ne doit être présenté au comité d’entreprise que « si son principe est acquis ».
La suite mérite d’être citée : « Il résulte de tout ce qui précède que si le projet Arthur 3 fait l’objet de réflexion de la part de SAS Printemps, il n’en est manifestement qu’à l’étude préliminaire (…). Le projet n’est même pas arrêté puisqu’il résulte de la note communiquée que la SAS Printemps en est encore à la phase d’intention et qu’elle commence à peine à étudier le projet sur le plan technique et commercial. »
La juge poursuit, très inspirée par Pangloss et son meilleur des mondes : « L’absence d’informations précises qui pourraient être communiquées au comité central d’entreprises démontre à elle seule que la procédure d’information-consultation sur ce projet serait sans objet. » Avant de conclure : « Même s’il est certain que l’acquéreur a eu connaissance de ce projet (…), il lui appartiendra en temps utile de consulter le comité central d’entreprise lorsque le projet aura fait l’objet de toutes les études nécessaires et que son principe sera arrêté. »
Ainsi, toutes les informations dissimulées n’ont pas à être prises en compte. À en croire le jugement, les salariés n’ont qu’à attendre patiemment que la direction veuille bien les informer, au moment où elle l’estime opportun. On comprend mal, après un tel jugement, pourquoi le patronat se plaint de la lourdeur du droit social. Quelques réunions formelles suffisent à emballer le tout.
Dans sa démonstration laborieuse, la juge a omis – volontairement ? – un autre point de droit : « La consultation du comité d'entreprise s'entend comme une manifestation de volonté du chef d'entreprise comportant, dans les matières sujettes à une telle consultation, des effets obligatoires et concrets, le texte dont il s'agit visant évidemment à éviter que ne soit débattue par le comité de façon frustratoire, vaine et gratuite une question déjà unilatéralement tranchée », rappelle la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 1997. En d’autres termes, la consultation du comité d’entreprise doit intervenir à un moment où la décision définitive n’est pas encore irréversible de façon que l’avis des représentants du personnel puisse peser. Si le projet est irréversible, cela peut être considéré comme un délit d’entrave, dit la loi.
Que s’est-il passé au Printemps ? Dès le 21 décembre 2012, un accord secret de négociations exclusives sur la cession du Printemps était signé entre le groupe Borletti et French Properties, société de droit français représentant des intérêts de la famille de l’émir du Qatar. Tout était déjà acté : la création d’un special vehicule purpose – une entité ad hoc qui sera créée en février sous le nom de Divine Investments – pour apparaître en tant qu’acheteur, le prix, le maintien des représentants du groupe Borletti comme conseillers opérationnels, les commissions qu’ils peuvent en attendre, et le projet de transformation du Printemps. L’affaire a été conclue le 13 juin exactement dans les termes arrêtés le 21 décembre. Seul, le prix a été revu à la hausse, l’obtention de l’agrément de l’Autorité de la concurrence avant le 31 juillet donnant lieu à quelques primes supplémentaires dans cette affaire où manifestement on ne compte pas, quand il s’agit de récompenser les différents intermédiaires.
Dès lors, alors que tout était déjà acquis, ne peut-on pas estimer que le comité a débattu « de façon frustratoire, vaine et gratuite une question déjà unilatéralement tranchée » ? Bien que parfaitement informé – puisque la vente a été annoncée le 31 juillet, soit huit jours avant le jugement–, le tribunal a estimé que tout était parfaitement normal.
Pour faire bon poids, la juge a estimé qu’il « était équitable » – la juge ne précise pas ce qu’elle entend par équitable car elle ne donne aucun motif – de condamner les syndicats à payer 2 500 euros non seulement à la direction du Printemps, mais aussi à ses actionnaires anciens (le groupe Borletti) et ses nouveaux propriétaires qataris (Divine Investments). Sans doute les Qataris ont-ils besoin de quelque dédommagement.
Dans son communiqué, l’intersyndicale souligne les engagements pris par la direction : celle-ci a promis de ne « recourir à aucun licenciement collectif pendant deux ans sauf circonstances exceptionnelles ». Le rachat réalisé par le Qatar tel qu’il a été monté ne va pas être gratuit : loin de remettre du capital, il met surtout de la dette – 600 millions d’euros au taux exorbitant de 8 % quand le taux monétaire est à moins de 1 %. Pour la deuxième fois en moins de six ans, le Printemps doit se racheter lui-même, sans compter le prix des loyers, puisqu’on lui demande de payer des murs qu’il a acquis depuis plus de cent ans ! Le premier LBO a coûté 1 370 emplois : 50 seulement ont été supprimés dans le cadre d’une procédure collective. Combien coûtera le second ?
« Dans cette opération, on a tout vu : des prix d’acquisition démentiels, des montages opaques, des montagnes de dettes, des commissions dans tous les sens. Mais à la fin, ce sont toujours les salariés qui paient », dit Bernard Demarcq, porte-parole de l’intersyndicale. Le tribunal de grande instance n’a manifestement pas voulu s’arrêter à ces considérations.
Pourtant, rarement une vente comme celle du Printemps n’a été conclue dans des conditions aussi opaques. Rarement, les soupçons de fraude fiscale, de commissions et de rétrocommissions, de corruption ont été aussi pesants, comme l’ont documenté nos enquêtes depuis février. À considérer la réponse du tribunal de grande instance, tout cela paraît ne pas être du ressort des syndicats. Le jugement paraît leur conseiller de s’en tenir à ce que veut bien leur dire la direction. Il conviendrait que les syndicats et les salariés ne se préoccupent pas des circonstances de leur vente, ferment les yeux sur tout et ne demandent pas ce qui les attend.
Les représentants du personnel du Printemps, qui attendent de connaître les suites données à l’enquête préliminaire décidée par le Parquet, assurent qu’ils ne regrettent rien. « Il appartenait à l'intersyndicale de tout mettre en œuvre pour faire la clarté tant dans le domaine social que financier et dénoncer ces comportements répréhensibles par la loi française qu'il convient de faire respecter dans sa totalité », rappelle-t-elle dans son communiqué.
L’intersyndicale a décidé de faire appel.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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