Quantcast
Channel: Mediapart - Economie
Viewing all articles
Browse latest Browse all 826

Willy Pasche, déclencheur du scandale du CE lyonnais de la SNCF

$
0
0

« Tenez, vous avez vu ? Vous avez vu comme il m’a regardé ? » Sur un quai de la gare Lyon Perrache, où vient d’arriver le TGV de Paris, Willy Pasche, 59 ans, désigne un des trois agents de la SNCF qui le dépassent. « J’évite de traîner trop par ici maintenant… » Le pas preste, il emmène le visiteur dans un restaurant des environs de la gare où il avait ses habitudes. Pour revenir vers les bâtiments de la SNCF, il privilégie la fin de l’après-midi, « à 16 heures, la plupart des cheminots sont partis ». Moins de risques de faire une rencontre malheureuse et d’endurer moquerie ou regard menaçant. Et lorsqu’alors il fait visiter les lieux, c’est le port fier et défiant.

Willy Pasche.Willy Pasche.© LK

En portant plainte contre son employeur en 2004, cet ancien cadre du comité d’établissement de la SNCF de Lyon s’est fait beaucoup d’ennemis. En juin 2013, huit syndicats de la société de chemin de fer comparaissaient pour abus de confiance sur des faits de détournement de fonds. L’argent du comité d’entreprise aurait été détourné par les organisations pour assurer leur propre financement, et ce, selon les modalités d’un accord secret signé en 1995, sous l’égide de la CGT. En 18 ans, les sommes concernées pourraient se chiffrer en millions d’euros. Le jugement sera rendu en septembre.

Willy Pasche entame sa carrière à la SNCF comme professeur de gym dans l'un des centres de formation de l’entreprise. Lorsqu’en 1986 on lui propose de rejoindre le comité d’entreprise (CE) fraîchement créé, il est enthousiaste. « On organisait plein de choses pour les cheminots et leurs enfants : des journées au ski, des colonies de vacances. À l’époque, les syndicats essayaient vraiment de créer quelque chose pour améliorer la vie des travailleurs. » Structure indépendante, gérée par les syndicats et présidée par la SNCF, en plus de ses fonctions représentatives, le CE est chargée de développer des activités sociales pour les salariés. Il est financé par une subvention de la SNCF en fonction de la masse salariale.

Bibliothèques, cantine, salle de musculation, centres de loisirs, le CE est doté de moyens importants et se développe dans une franche émulation. Willy Pasche bachote pour passer les examens internes de la SNCF et devient cadre. C’est au début des années 2000 que les choses basculent. « J’ai commencé à me rendre compte d’irrégularités. On me demandait d’embaucher des gens sortis de nulle part, j’ai trouvé des chèques qui imitaient ma signature, on me faisait commander du matériel pour les syndicats. »

Pendant ce temps, les comptes du CE plongent. Des emplois sont supprimés et les activités peu à peu déléguées à des associations ou des entreprises sous-traitantes.

Il commence à se plaindre de la gestion du syndicat aux manettes, la CGT. « Je suis allé voir la SNCF et tous les syndicats. Ils étaient bien gentils, nous soutenaient de loin, mais rien n’a changé. »

Willy Pasche gère alors l’ensemble des activités sociales du CE. Un jour, il découvre que quelqu’un d’autre occupe son poste. « On avait oublié de me prévenir… » Il est muté mais continue avec quelques collègues à dénoncer les malversations dont ils sont témoins.

En 2004, ne voyant pas la situation s’améliorer, il porte plainte avec une collègue pour abus de confiance. Pour Willy Pasche, la situation est compliquée et paradoxale. Il poursuit l’un des rares soutiens dont un lanceur d’alerte peut disposer : les syndicats. De nombreuses personnes sont entendues par la police et confirment leurs allégations (voir l’article d’Owni). En surfacturant des heures de formation, par exemple, ou en achetant directement du matériel pour le compte de leurs organisations, les huit syndicats auraient prélevé une partie du budget de fonctionnement du CE pour se financer.

La CGT, syndicat majoritaire, décidait chaque année de la somme allouée et chaque organisation recevait une part proportionnelle à sa représentativité salariale. Ainsi pour la seule année 2004, les deux tiers du budget de fonctionnement du CE auraient été détournés, soit 339 500 euros, la CGT se taillant la part du lion avec plus de 140 000 euros.

Alors que la situation financière du CE à la fin des années 1990 est saine, en 2012 il « a accumulé 900 000 euros de dettes et 900 000 euros de rappel de TVA », selon le mensuel Mag2Lyon, cité par Rue89 Lyon. En dix ans, une grande partie des activités a été cédée à des associations ou des entreprises sous-traitantes (« toutes proche de la CGT », relève Willy Pasche) et des dizaines d’emplois ont été supprimés.

La procédure traîne. Pendant ce temps sa carrière dégringole. Le cadre perd ses responsabilités. Des rumeurs courent à son sujet : « On racontait des choses sur mon comportement avec les enfants. C’était horrible. »

© LK

« Les responsables du CE voulaient se débarrasser de nous », témoigne son ancien collègue, Christian Plantin. Les deux hommes vont aux prud’hommes, accusant la CGT de harcèlement. En 2005, Willy Pasche candidate au poste de directeur technique, sans succès. « Je voulais changer les choses mais ils ont préféré prendre quelqu’un encarté à la CGT. » Pour ses détracteurs, c’est cet échec qui est à l’origine de son « acharnement ». Les plaignants sont mutés à des postes « coquilles vides » où ils n’ont rien à faire. « Ils m’ont d’abord mis dans un bureau sans fenêtre, raconte Willy Pasche. J’ai protesté alors ils ont fini par me déménager. On s’est retrouvés dans un bureau trop petit pour deux, dont on n’avait même pas la clef. »

Un jour, le ton monte entre les deux collègues et amis sur la suite à donner à leurs plaintes. « Willy voulait continuer les poursuites, raconte Christian Plantin. J’étais d’accord avec lui, au début et sur le fond de ce combat. Mais il a commencé à vouloir attaquer de tous les côtés, y compris la SNCF. » Les nerfs lâchent. La discussion dégénère en altercation. « On s’est arrêtés avant de se mettre des claques… », commente, elliptique, Christian Plantin. Le lendemain, ils sont tous deux arrêtés par les médecins du travail. L’amitié est consommée. Depuis, les deux hommes n’ont plus de contact.

Ainsi le cadre désœuvré va-t-il peu à peu perdre amitiés et soutiens. « Presque tous ceux qui ont été entendus par la police au début de la procédure ont vu leur emploi au CE supprimé et ont été mutés », affirme Willy Pasche. Quelques employés continuent à lui témoigner de la sympathie, voire l’appellent lorsqu’ils sont en difficulté ou pour lui rapporter de nouvelles malversations. Il a trouvé aussi des soutiens inattendus d’hommes qui ont partagé un sort similaire, comme Philippe Chabin en conflit avec le CE clientèle de SNCF Paris ou Jean-Luc Touly, qui a co-écrit le livre L’Argent noir des syndicats (voir notre portrait).

LKLK

Depuis cinq ans, Willy Pasche cumule les arrêts maladie, que son employeur commence à lui contester. Après s’être battu en vain contre sa réintégration forcée à la SNCF, il affirme que l’entreprise ne lui fait aucune proposition d’emploi sérieuse. Un litige avec le CE pour harcèlement est toujours en cours. La dernière fois qu’il a tenté de reprendre le travail, il a fait un malaise cardiaque. « J’étais convoqué à un bureau de la SNCF. En fait, j’ai passé la journée à attendre sur une chaise. Pendant ce temps, les syndicalistes passaient devant moi en se gaussant. Le lendemain, j’ai fini à l’hôpital. »

Sans travail, les journées sont longues. Il s’entretient, s’est occupé un temps d’un club de football de juniors, va voir les entraînements des joueuses de l’Olympique lyonnais, qu’il préfère à l’équipe masculine – « moins de gros sous et de simulation ». Mais la majeure partie de son temps, il s’occupe de son dossier, écrit à la SNCF. « Je tourne un peu en rond », admet-il. « Il ne pense qu’à cela, raconte sa femme. Il m’est arrivé d’espérer qu’il arrête, mais c’est son combat. Il a besoin d’aller jusqu’au bout. »

Il sollicite la presse, beaucoup ; les élus, quelle que soit leur couleur politique. Devant un café, dans un appartement impersonnel sur les hauteurs de Lyon, il peut parler pendant des heures de son histoire. De façon un peu anarchique à la manière de quelqu’un qui a repensé chaque scène, chaque lien, chaque injustice des centaines de fois et perd le fil. Les dates se confondent, les procédures aussi. Il raconte ses accidents du travail, l’angoisse de retourner à la SNCF. « Vous n’avez pas à me croire sur parole. Je vous enverrai les documents. » Et les .PDF affluent dans des dizaines de mails : procès-verbaux, attestations de médecins du travail, courriers de la SNCF… Les neuf dernières années de sa vie sont contenues dans des piles de documents entassés entre le petit canapé clic-clac du bureau et l’étagère. Une boîte de psychotropes traîne opportunément sur le meuble.

Son « bougisme » agace. Et certains – y compris d’anciens proches – ont l’impression qu’il réécrit l’histoire à son avantage. « Sans la presse, l’affaire ne serait probablement jamais sortie », se défend l’intéressé.

Au terme de neuf ans de procédure, le procès se déroule les 27 et 28 juin 2013. Dès le premier jour, des dizaines de militants CGT se réunissent devant le tribunal pour une démonstration de force, comme le raconte Lyon Capital qui a couvert le procès. Lorsqu’ils entrent dans la salle d’audience, ils occupent la majorité des places. « C’était une meute ! » se rappelle Willy Pasche, qui essuie ricanements et moqueries. Ses rares soutiens sont éparpillés dans l’assemblée cégétiste. Quant à sa coplaignante, elle n’assiste pas au procès.

Pour le procureur, « l’accord secret est un véritable droit de tirage, sous couvert d’une facturation de façade pour prétexter d’un lien avec les activités du CER. Tout simplement parce que les activités syndicales ne peuvent être couvertes par les seules cotisations. » Le CE est subventionné directement par la SNCF. Aussi le silence de la société de chemins de fer, qui ne s’est pas portée partie civile, a-t-il pu être interprété dans la presse comme particulièrement suspect. L’entreprise achèterait la paix sociale en finançant indirectement les syndicats.

Malgré les sommes qui auraient été détournées, le procureur ne réclame que des amendes : 80 000 euros pour la CGT, 30 000 euros pour l’Unsa, Sud-Rail et la CFTC, 15 000 euros pour la CFDT et FO (les autres formations ont depuis été dissoutes). Pour leurs avocats, le parquet fait le procès du syndicalisme, le budget de fonctionnement du CE servant de toute façon indirectement à financer les syndicats.

« Vous auriez dû les entendre à l’audience. C’était beau, vraiment ! La défense des travailleurs, les valeurs morales ! Seulement, quand ils deviennent les patrons ils se comportent tout à fait autrement », s’énerve l’ancien professeur de sport. Pour lui, les méthodes de management sont une trahison du syndicalisme. « Et le couplet sur la situation financière du CE et des syndicats… À la fin, j’avais envie de leur donner de l’argent. 

© LK

À 59 ans, avec son statut de cheminot, Willy Pasche pourrait prendre sa retraite. Ce qui arrangerait tout le monde. Mais il veut partir sur une victoire : voir les syndicats condamnés en septembre, être remboursé des salaires impayés et avoir un geste de dédommagement de la SNCF. « Le problème de Willy Pasche, c’est son empressement à viser le porte-monnaie, tacle un syndicaliste qui l’a côtoyé. Il s’est porté partie civile au procès des syndicats. Il aurait pu s’en tenir à l’euro symbolique, mais non, il demande 40 000 euros, alors qu’il gagne bien sa vie et que le CE est ruiné. » Attrait de l’argent pour les uns, juste compensation pour l’autre. Les motivations de l’ancien professeur de sport sont une question d’interprétation : affaire d’honneur ou orgueil mal placé, rigueur morale ou besoin de vengeance.

Sortir de ces conflits la tête haute et reconnu dans son bon droit serait aussi un moyen de protéger sa famille, affirme Willy Pasche : « Ma femme travaille au CE, mon fils aîné à la SNCF. Il est sourd. En dix ans il n’a jamais été promu et on le change régulièrement de poste. C’est très déstabilisant pour lui. Je ne sais pas si c’est lié à moi. »

Même si l’issue de ses conflits lui est heureuse, il ne se fait plus d’illusions quant à la perception de son combat : « les syndicats sont les gentils, ils défendent les travailleurs, offrent des cadeaux à Noël… Alors, même lorsqu’ils se comportent comme les pires des patrons, pour les gens, c’est la même chose : j’ai attaqué le Père Noël. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : GooglePlayDownloader 0.2


Viewing all articles
Browse latest Browse all 826