Pour l’entourage du gouverneur de la Banque de France, il ne s’agit que d’un hasard du calendrier. L’immixtion, néanmoins, de Christian Noyer dans le débat public à un moment où le gouvernement paraît perdre pied face à la vague de révoltes et de mécontentements, est lourde d’avertissements.

Dans un entretien publié par le Financial Times le 28 octobre, le gouverneur de la banque de France se montre très pressant sur l’accélération des changements en France. Alors que la contestation fiscale monte dans le pays, que les volte-face du gouvernement se multiplient sur le budget au point de rendre illisible la politique budgétaire, Christian Noyer, en tant que porte-parole du monde financier, entend marquer le point tout de suite. Ces mouvements apportent une justification nouvelle aux préconisations qu’il a faites de longue date. Ce qui se passe, semble-t-il sous-entendre, est bien la preuve que le redressement budgétaire ne peut plus passer par l’impôt, comme il l’a toujours soutenu.
Même s’il reconnaît que le gouvernement a diminué le déficit budgétaire et fait beaucoup depuis son arrivée, il estime qu’il faut changer de politique. « L’effort doit maintenant être entièrement concentré sur les dépenses. Il doit y avoir une accélération de la réduction des dépenses, ce qui signifie une réduction en terme absolu », insiste-t-il. « Il est crucial que la France augmente son potentiel de croissance à travers des réformes structurelles », poursuit-il.
Il y eut un temps où les avertissements du gouverneur de la Banque de France se faisaient dans le secret des cabinets ministériels. Il y eut une époque où les dévaluations, dans les moments de crise, se réalisaient par surprise pour prendre de vitesse la spéculation. Mais depuis l’euro, les règles ont changé. C’est publiquement que le gouverneur de la banque de France fait ses mises en garde. À défaut de parler de politique monétaire ou de dévaluation, qui soulagerait l’Europe du Sud y compris la France – l’euro qui a gagné 10 centimes en moins de trois mois face au dollar, fait perdre une partie de tous les efforts que mène l’Europe du Sud –, il appelle à une dévaluation interne, comme celles menées en Espagne, en Grèce, au Portugal. Car c’est bien ce qui se cache derrière les réformes structurelles et les recommandations du gouverneur de la banque de France.
« Beaucoup de choses ont été faites, même dans cette période de contrainte budgétaire », concède Christian Noyer. Mais, selon lui, les réforme des retraites, du travail, de la protection sociale, les aides apportées aux entreprises ne sont pas suffisantes. Il faut, assure-t-il, « accélérer les réformes du marché du travail et du coût du travail et réformer les marchés de productions et de services ». Tout le programme de la BCE et de la Commission européenne imposé à l’Europe depuis trois ans apparaît en filigrane.
Christian Noyer n’a guère été plus précis dans l’entretien au quotidien britannique sur les mesures à mettre en œuvre. Lors de conversations précédentes, il avait cependant esquissé des pistes. Dès le printemps, il chiffrait les besoins d’économie de l’État à 40 milliards d’euros en 2014. Dans la fonction publique, il préconisait ainsi de supprimer toutes les augmentations individuelles, le gel du point d’indice des salaires des fonctionnaires comme la suppression du nombre de postes ne lui semblant pas suffisants.
Pour les retraites, il souhaitait un gel absolu des pensions, et encore plus fortement sur les régimes spéciaux et les régimes de la fonction publique, qui, dans son esprit, auraient dû disparaître dans le cadre de la réforme. Il souhaite aussi un gel des prestations sociales. Un gel, ce n’est pas l’austérité : « L’austérité, ce serait baisser de 10 à 15 %, ce qu’ont fait certains pays », avait-il expliqué dans un entretien sur Europe 1.
Quant à la réforme du marché du travail, les dispositifs de l’ANI, qui lui semblaient suffisants au printemps, ne sont plus satisfaisants, selon lui, aujourd’hui. C’est bien à une totale flexibilité de l’emploi qu’il se réfère. Sans le dire, le salaire minimum paraît dans la prochaine ligne de mire.
L’avertissement de Christian Noyer n’est sans doute qu’une première salve. En novembre, la commission européenne, dans le cadre du traité européen de stabilité budgétaire (TESB) signé en 2012 et mis en œuvre pour la première fois cette année, va examiner les budgets européens et imposer ses mesures. Son attitude à l’égard de la France est déjà considérée comme un des gages de sa crédibilité future.
Sans attendre, le ministre néerlandais des finances, Jeroen Dijsselbloem, par ailleurs président de l’Eurogroupe, a déjà commencé à donner de la voix. Les délais qui ont été accordés aux pays européens cette année pour revenir dans les normes imposées de 3 % de déficit budgétaire – c’est le cas de l’Espagne, de la France, des Pays-Bas notamment – ne sauraient durer. « Ces facilités ont été données sans condition. À l’avenir, je propose de lier les aménagements des objectifs fiscaux définis par le pacte de stabilité et de croissance à la réalisation concrète des réformes. Un pays pourra obtenir que ses objectifs budgétaires soient différés seulement s’il a entrepris des réformes décisives. L’allégement des objectifs budgétaires doit être lié de façon plus concrète à l’instauration des réformes », a-t-il expliqué lundi.
Tout se met en place pour imposer au gouvernement français la remise en cause des normes sociales qu’il a tenté d’alléger ou de différer depuis son arrivée. L’Allemagne, qui ne cache pas son agacement face aux tergiversations de Paris, a bien l’intention de profiter de la faiblesse du gouvernement pour le pousser à aller dans le chemin qu’elle a choisi pour tous depuis la crise.
Si Christian Noyer prêche, en accord avec les Européens et la BCE, pour l’implantation du moins-disant social en France, il est un terrain en revanche sur lequel le souverainisme semble s’imposer, selon lui : ce sont les banques. Le projet d’union bancaire fait du surplace depuis des mois, et le dernier sommet des États européens, les 24 et 25 octobre, n’a permis aucune avancée.
En attendant, la BCE se prépare à prendre en charge le contrôle des 130 établissements bancaires jugés les plus systémiques en Europe. Dans les faits, cela ne changera pas grand-chose : le contrôle et l’appréciation de la solidité des établissements bancaires seront confiés aux organismes de régulation de chaque pays. La banque de France et l’autorité de contrôle prudentiel surveilleront les banques françaises, comme avant.
D’emblée, Christian Noyer se montre plutôt confiant sur le résultat des contrôles à venir. « Je ne suis pas particulièrement préoccupé. Pour le moment, je n’ai pas vu de preuve qu’il y avait eu une sous-estimation des actifs en France. Nous avons été plutôt intrusifs dans la façon dont nous avons vérifié les différents éléments du modèle de nos banques, mais naturellement, nous pouvons tous faire des erreurs », dit le gouverneur de la banque de France.
Sur le principe, il réaffirme qu’une banque en mauvais état doit augmenter son capital si nécessaire ou même pouvoir être fermée ou contrainte à diminuer drastiquement son bilan. Avant d’ajouter : « Mais si une banque a besoin de capital, et pour quelque raison, il n’y a pas de solution privée, alors il y a un besoin d’un concours public qui devra être fourni par les gouvernements et les budgets nationaux. » En d’autres termes, rien ne change : les contribuables devront toujours répondre de leurs banques. Le lien entre banque et État n’a pas été rompu.
Très soucieux de l’avenir de la « banque universelle à la française », il se dit totalement opposé au projet de taxation des transactions financières. C’est à peu près le seul texte européen qui se propose d’encadrer un peu la finance depuis le début de la crise. Mais manifestement, c’est trop. Les banquiers sont pour l’Europe, sauf quand elle touche leurs intérêts.
« Le projet de la Commission n'est pas viable et doit être entièrement revu », insiste Christian Noyer. « Je ne pense pas que cela ait été à un quelconque moment l'intention du gouvernement français de faire quelque chose qui déclencherait la destruction de pans entiers de l'industrie financière française, provoquerait une délocalisation massive d'emplois et porterait atteinte globalement à la reprise », explique-t-il dans l’entretien.
La France qui avait été en pointe sur le sujet depuis des années est en train d’instaurer les conditions de l’échec du texte. Dès juillet, le ministre des finances, Pierre Moscovici, qui avait auparavant jugé que le texte européen constituait une grande avancée, avait fait marche arrière (voir la France enterre la taxe sur les transactions financières). « La proposition de la Commission, je lui ai fait cette remarque, m'apparaît excessive et risque d'aboutir au résultat inverse si nous ne remettons pas les choses dans les rails. La taxe sur les transactions financières suscite des inquiétudes quant à l'avenir industriel de la place de Paris et quant au financement de l'économie française. Sa mise en œuvre rencontre de nombreux obstacles et de nombreuses questions », avait-il déclaré dans le cadre d’une réunion d’Europlace, où tout le lobby bancaire se retrouve pour assurer le rayonnement de la place de Paris. Depuis le gouvernement, qui a repris mot pour mot l’argumentaire des banques, se bat pied à pied pour faire capoter le texte (voir Taxe Tobin européenne : Bercy manœuvre pour un texte a minima).
L’argument est toujours le même : il ne faut rien faire qui nuise à « l’industrie financière française ». Ce terme lancé par le lobby bancaire pour faire croire que son sort est semblable à celui de l’industrie, voire de la sidérurgie, a fait son apparition au moment du projet de séparation des activités bancaires. Sans distance, le ministre des finances, Pierre Moscovici, s’en était emparé lors d’un colloque organisé par l’Autorité des marchés financiers. Il y avait réservé la primeur de son projet de loi aux banquiers, en justifiant une réforme minuscule au motif qu’il ne fallait surtout pas nuire à l’industrie financière, compte tenu des emplois et des richesses.
Même si l’on s’en tient au terme d’industrie, comme le souhaite le lobby bancaire – le poids des services financiers et des banques représentait près de 5 % du PIB français en 2008, selon l’Insee –, il serait bon de se demander pourquoi le secteur financier a pris une telle importance en France. Même Alan Greenspan, l’ancien pape monétariste de la Réserve fédérale américaine, se pose la question de cette inflation des services financiers et de leur réelle utilité.
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