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Loi contre la fraude fiscale: de belles avancées, encore du retard...

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C’est un pas en avant, mesuré mais incontestable, qui devrait passer un rien inaperçu en ces temps de reculades politico-fiscales. Juste après la suspension de l’écotaxe et l’abandon de la hausse des prélèvements sociaux sur les PEA et les PEL, le gouvernement pourrait pourtant se féliciter d’avoir mené à terme l’examen par le parlement de son projet de loi sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Annoncé dès le mois d’avril par un François Hollande pris dans la tempête déclenchée par l’affaire Cahuzac, le texte a été adopté définitvement ce mardi 5 novembre.

Bien sûr, la loi qui va entrer en vigueur dans les prochaines semaines comporte des travers criants, au premier rang desquels le maintien du « verrou de Bercy ». Mediapart a détaillé à plusieurs reprises pourquoi il est anormal qu’en matière de fraude fiscale, ce soit le ministère du budget qui décide de saisir le parquet pour déclencher des poursuites pénales. Notre analyse est ici, et le sujet est largement abordé dans notre récent entretien avec le ministre du budget Bernard Cazeneuve. La position de Bercy a encore été réitérée le 25 octobre par le ministre, lors d’un déplacement dans les locaux de Tracfin, le service de lutte contre le blanchiment, où Mediapart l’a une nouvelle fois interrogé sur ce thème.

Mais il faut aussi reconnaître au gouvernement de réelles avancées. Le texte voté à l’Assemblée vient clore une série de mesures de lutte contre la fraude fiscale, initiée dès l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Anecdotiques pour certaines, majeures pour d’autres, voulues par Bercy ou imposées par les parlementaires au cours de l’examen du texte, le ministère du budget en a décompté une cinquantaine.

Dès l’été 2012, dans son premier projet de loi de finance rectificative, le gouvernement a imposé quelques mesures signifiant qu’il entendait faire de la lutte contre la fraude un symbole. Ainsi, les sommes placées à l’étranger sur un compte sont désormais taxées au taux de 60 % (autant que pour les donations classiques entre personnes sans lien de parenté) si le contribuable ne peut ou ne veut pas en justifier la provenance.

Les entreprises ont été aussi immédiatement ciblées, dans une volonté de lutter contre le transfert de bénéfices entre filiales basées dans plusieurs pays, pour éviter de payer l’impôt en France. Il est devenu beaucoup plus difficile pour un grand groupe de réduire son bénéfice taxable dans l’Hexagone par le biais de subventions de filiales à l’étranger, ce qui était une astuce très répandue pour transférer des bénéfices à l’étranger. Et les sociétés disposant de filiales installées dans des paradis fiscaux doivent désormais démontrer au fisc que ces filiales ont une activité économique réelle, faute de quoi leurs bénéfices seront taxés en France.

Autre mesure d’apparence anecdotique, mais symbolique : lors d’un contrôle fiscal, il est devenu obligatoire pour l’entreprise de présenter sa comptabilité sous forme « dématérialisée », c’est-à-dire numérique. « Il arrivait régulièrement qu’une entreprise récalcitrante livre aux contrôleurs des caisses entières de comptabilité papier ! » souligne-t-on au cabinet de Bernard Cazeneuve.

Les députés ont poussé le gouvernement à durcir le texte

Dans la loi votée définitivement mercredi, le gouvernement a encore introduit une circonstance aggravante si la fraude est commise en bande organisée, ou en ayant recours à des comptes ou des sociétés écrans à l’étranger. Pour ces cas de fraude aggravée, il a aussi autorisé les techniques d’enquête dites « spéciales » : infiltration, mise en place d’écoutes, gardes à vue de quatre jours… Enfin, il a autorisé le fisc à exploiter les listes de fraudeurs qui pourraient être transmises par des employés de banques à l’étranger, quelle que soit la manière dont ils se les sont procurées. L’Allemagne n’hésite pas à acheter de telles listes. Et en France en 2009, Hervé Falciani, l’informaticien de HSBC Genève, avait fourni à Bercy la fameuse liste de 3 000 contribuables français disposant de comptes en Suisse (lire l’entretien que Falciani a accordé à Mediapart). Mais la Cour de cassation avait estimé en 2012 que les données, volées, ne pouvaient pas être la base de perquisitions menées par le fisc…

Durant l’examen du texte, le gouvernement a été bousculé par sa base. Plusieurs parlementaires socialistes ont tenté de durcir la lutte contre la fraude. S’ils ont renoncé à faire sauter le verrou de Bercy, ils ont réussi à imposer quelques-unes de leurs préconisations. D’abord autoriser les douanes elles aussi à recourir aux listes achetées à des informateurs, et à utiliser les techniques « spéciales » d’enquête. Les députés ont aussi fait passer l’amende dont est passible le détenteur d’un trust (qui permet de masquer l’identité réelle de son bénéficiaire) non déclaré de 5 à 12,5 % de l’actif rassemblé dans le trust.

Dernier exemple, et non des moindres, il reviendra désormais aux multinationales françaises de justifier elles-mêmes la justesse des prix de transfert qu’elles appliquent entre leurs filiales. Jusqu’à présent, c’est le fisc qui devait argumenter lorsqu’il avait un doute sur leur validité. C’est un point important : les prix de transfert sont un outil classique de l’optimisation fiscale, prisée de Google, Amazon et autres Starbucks. En attribuant des prix fantaisistes aux produits et aux services échangés entre leurs diverses entités, ces multinationales rendent facilement déficitaires (ou peu imposables) les succursales basées dans des pays à fort taux d’imposition, et engrangent les bénéfices réels dans des pays peu regardants en matière fiscale.

Autant de mesures qui permettent à Bernard Cazeneuve, tout comme son prédécesseur Jérôme Cahuzac d’ailleurs, d'expliquer qu’il a « fait de la lutte contre la fraude fiscale une priorité ». Lors de sa visite chez Tracfin, il soulignait qu’entre 2011 et 2012, le montant des sommes « mises en recouvrement » par les services de l’État (c’est-à-dire le montant des impôts non perçus et réclamés, les pénalités de retard et les amendes) est passé 16 à 18 milliards d’euros. Et pour cette année, le ministre se dit « raisonnablement optimiste » sur le fait de récolter 2 milliards de plus.

Le ministre est d’autant plus satisfait qu’il peut annoncer que les services chargés de régulariser la situation des Français détenant un compte à l’étranger voient affluer les dossiers, depuis la publication en juin de la circulaire indiquant les conditions dans lesquelles ces sommes pourraient être rapatriées légalement. « 4 000 dossiers sont arrivés depuis le mois de juin, c’est plus que lors des deux ans et demi passés », se félicite-t-il. Mi-octobre, le chiffre officiel était de 3 500 dossiers.

Mais l’administration peut-elle absorber cet afflux de demandes de régularisation ? Les sénateurs auteurs du tout récent rapport d’enquête sur le rôle des banques dans la fraude fiscale semblent en douter. Lors des auditions qu’ils ont menées, un avocat fiscaliste leur a assuré que le service chargé de gérer les demandes de rapatriement était totalement saturé. Dénégation du ministre, qui reconnaît néanmoins « avoir conscience des besoins de ce service » et avoir « l’intention de le conforter dans sa tâche ».

Tracfin ne « garantit pas qu’il n’y a pas de trous dans la raquette »

La faiblesse des moyens de l’État face à une fraude qui représente, selon ses propres calculs, de 50 à 60 milliards d’euros par an, est néanmoins une vraie question. L’exemple de Tracfin l’illustre bien. Chargé de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, ce service est peu doté en personnel, même si son directeur, Jean-Baptiste Carpentier, se félicite de l’attention que lui portent ses ministères de tutelle, économie et budget : « Cela fait cinq ans qu’on nous aide, et que nos effectifs augmentent, mais nous restons une toute petite équipe, reconnaît-il. Nous étions une soixantaine pendant longtemps, nous sommes cent aujourd’hui. »

Tracfin est chargé de recevoir les déclarations de soupçons de tous les professionnels qui voient passer des sommes d’argent suspectes (banquiers, assureurs, notaires, avocats, mais aussi agents immobiliers, commissaires-priseurs ou agents de joueur…). En théorie, le service doit aussi contrôler, depuis 2009, les professionnels « déclarants » qui s‘affranchissent de leurs obligations. Or, a justement noté la commission d’enquête sénatoriale, les avocats, les fiscalistes ou les commissaires aux comptes ne font pratiquement aucun signalement... Ils sont répertoriés, par catégorie, dans le rapport annuel de Tracfin, mais de façon assez générale.

Et pour l’heure, ils ne sont pas pénalisés. Le patron du service aimerait déjà parvenir à bien les identifier : « J’insiste bien sur le fait que nos effectifs augmentent, mais nous devons contrôler environ 200 000 déclarants. On essaye de détecter les anomalies, mais je ne vous garantis pas qu’il n’y a pas de trous dans la raquette. » Plus urgent selon lui, s’attaquer… aux billets de 500 euros. Jean-Baptiste Carpentier partage les idées des auteurs du récent livre Cache Cash, qui martèlent que ces billets de 500 euros sont utilisés dans leur immense majorité par des truands et des fraudeurs, et appellent à leur disparition.

Bernard Cazeneuve n’a pas répondu à cette nouvelle proposition de réforme, qui permettrait, assure le directeur de Tracfin, de lutter efficacement contre la fraude fiscale. Le ministre a en revanche pris en considération une proposition de la commission d’enquête sénatoriale. Interrogé par Mediapart sur la suggestion qui lui est faite par les sénateurs de créer un délit d’incitation à la fraude fiscale, qui pénaliserait les intermédiaires, avocats, fiscalistes ou notaires, il s’est montré plus que réservé : « Je ne dis pas que l’intention n’est pas bonne, mais il faut être très attentif à ne pas créer de délit dont les fondements juridiques ne sont pas caractérisés de façon très claire, a-t-il balayé. Il ne faudrait pas créer une zone supplémentaire d’opacité et d’incertitude juridique. »

BOITE NOIRECet article a été publié le 30 octobre, jour de la dernière lecture du texte au Parlement. La loi a été adoptée ce 5 novembre.

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