Bruxelles, de notre envoyé spécial. Alors que les inquiétudes se renforcent sur les effets d'un futur accord de libre-échange entre les États-Unis et l'Union européenne (« TTIP »), Mediapart a passé sur le gril les cinq candidats déclarés à la présidence de la commission européenne, pour connaître leurs positions sur ce dossier. Quel degré de transparence dans les négociations ? Quel avenir pour le mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, au cœur des crispations, parce qu'il permettrait à des entreprises étrangères d'attaquer des États en justice ? Quelles garanties pour la protection des données personnelles des citoyens ?
Chacun des cinq candidats a accepté de répondre aux cinq mêmes questions. Nous publions en intégralité leurs réponses (lire la boîte noire de l'article). Si l'esprit des traités est respecté cette année, c'est l'un d'entre eux qui pilotera l'exécutif européen. Or la commission est en première ligne sur le « TTIP », puisqu'elle a reçu mandat, de la part des États membres, en 2013, pour mener les négociations directement avec Washington. D'où l'importance de ces engagements – plus ou moins précis selon les candidats.
Qu'apprend-on ? Trois candidats y sont globalement favorables, avec des réserves plus ou moins fortes selon les cas : le socialiste Martin Schulz, le conservateur Jean-Claude Juncker et le libéral Guy Verhofstadt. José Bové, pour les Verts, et Alexis Tsipras, pour le parti de la gauche européenne, s'y opposent.
Tous s'engagent à davantage de transparence dans les négociations, à l'exception du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, pour qui il faut faire attention à « ne pas dévoiler ses cartes » pendant la négociation. Tous se montrent prudents sur les risques qui pèsent sur la protection des données privées. Et tous rappellent que ce sont les eurodéputés, en bout de course, qui auront le dernier mot sur le texte.
Mais d'importantes lignes de fracture apparaissent sur le mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, qui fait l'objet d'une consultation publique jusqu'à juillet du côté de la commission. Bové et Tsipras le rejettent sans détour. Juncker y est plutôt favorable. Verhofstadt, lui, ne l'exclut pas, tout en se disant « guère convaincu de la valeur ajoutée de tels mécanismes controversés ». Quant à Martin Schulz, il exprime clairement son opposition à ce mécanisme (il est, sur ce point, sur la même ligne que la coalition CDU-SPD au pouvoir à Berlin), mais ne va pas jusqu'à exprimer le retrait d'ISDS du TTIP (voir notre article).
Lire les réponses de :
- L'Allemand Martin Schulz, pour les socialistes européens (ci-dessous)
- Le Belge Guy Verhofstadt, pour les libéraux, dont font partie l'UDI et le Modem (page 2)
- Le Grec Alexis Tsipras, chef de file du parti de la gauche européenne, auquel est rattaché le Front de gauche (page 3)
- Le Français José Bové, candidat des Verts européens (page 4)
- Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, pour les conservateurs du PPE, auxquels est rattachée l'UMP (page 5)
Martin Schulz (socialistes) : « Il faudra un accord juste, transparent et sûr pour les citoyens »

Mediapart. Êtes-vous favorable aux négociations en cours, pour un accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis ?
M. S. Oui, je suis favorable aux négociations, et aux bénéfices potentiels que ces négociations peuvent apporter. Un bon TTIP pourrait stimuler de manière massive l'économie européenne. Mais pour qu'on puisse le qualifier de « bon », encore faut-il que cet accord respecte un certain nombre de critères essentiels.
Cet accord ne verra pas le jour s'il revient à abaisser les standards environnementaux, ou ceux qui encadrent la protection des consommateurs, la protection sociale et la protection des données personnelles. Nous devons également nous assurer que le processus de négociations qui mènera à l'accord sera le plus transparent jamais réalisé pour un accord de libre-échange conclu par l'UE.
En tant que président de la commission, je ne m'efforcerai pas seulement de conclure un accord quel qu'il soit. Il faudra un accord juste, transparent, symétrique et sûr, pour le bénéfice de l'ensemble des citoyens.
Les révélations sur l'espionnage des Européens par la NSA compliquent-elles ces négociations ?
Le scandale d'espionnage de la NSA est une alerte pour l'Europe. Il ne suffit pas d'obtenir des assurances de la part de nos partenaires, pour que les termes des accords passés avec les États-Unis soient respectés. Il nous faut obtenir les moyens permettant de s'assurer que les règles sont effectivement respectées – et mettre en place une législation spécifique. L'Europe aime parfois se décrire comme un "soft power". À mes yeux, elle est parfois un pouvoir naïf. Je veux changer cela.
Si vous devenez président de la commission, quelles garanties en matière de transparence vous engagez-vous à respecter, durant les négociations du TTIP ?
Sous ma direction, la prochaine commission sera accompagnée d'un groupe de conseil, qui rassemblera des membres de collectifs issus de la société civile, des experts et des syndicalistes, pour suivre les négociations. Il est possible – et il le faut – d'aller plus loin en matière de transparence, en impliquant encore davantage la société civile et le parlement européen, mais aussi en publiant le mandat de la négociation.
Êtes-vous favorable à l'inclusion au sein du TTIP du mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, pour lequel une consultation a été ouverte par la commission européenne jusqu'à juillet ? Quel est votre point de vue sur ces dispositifs dits « ISDS »?
Quand je serai président de la commission, les entreprises n'auront pas le droit de porter en justice des États devant une cour secrète, au détriment du bien-être des citoyens. C'est un obstacle majeur qu'il faudra dépasser si l'on veut trouver un accord.
Un accord de libre-échange entre l'UE et le Canada est sur le point d'aboutir après plusieurs années de négociations. Il devrait être présenté aux parlementaires européens bien avant le TTIP. Y êtes-vous favorable ?
L'UE est le deuxième partenaire commercial le plus important du Canada, après les États-Unis. Une fois en place, l'accord CETA permettra de renforcer le commerce bilatéral dans des proportions très importantes, ce qui renforcera là aussi la croissance et la création d'emplois.
Le parlement européen devra donner son feu vert, en bout de course, à CETA, et nous avons déjà fait connaître notre position dans une résolution sur le partenariat stratégique UE-Canada, adoptée à une large majorité en décembre 2013. L'accord est solide et, si l'on met de côté nos divergences sur le conseil de l'Arctique et les exemptions de visas, je le soutiens largement. Mais le dernier mot reviendra au parlement européen.

Mediapart. Êtes-vous favorable aux négociations en cours, pour un accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis ?
G. V. En tant que libéral, je ne peux que me féliciter des efforts entrepris pour renforcer le commerce et l'investissement transatlantiques. L'UE et les États-Unis sont les partenaires pionniers du commerce international et ce sont les deux plus gros ensembles économiques du monde. Des études indépendantes tablent qu'un large et ambitieux accord pourrait générer 120 milliards d'euros chaque année de chiffres d'affaires supplémentaires pour l'UE, en particulier grâce à l'ouverture aux PME européennes du marché américain, jusque-là chasse gardée des multinationales.
Les révélations sur l'espionnage des Européens par la NSA compliquent-elles ces négociations ?
La cybersurveillance des Européens, y compris de leurs dirigeants, par les services secrets américains est un problème qui dépasse largement le TTIP, et pose aussi et surtout des questions concernant notre diplomatie et notre défense européenne. Cela étant dit, je ne crois pas que le partenariat transatlantique puisse voir le jour si un accord solide et vérifiable n'est pas trouvé sur la protection des données personnelles sur Internet. Beaucoup de nos concitoyens sont très sensibles à cette problématique et les négociateurs doivent avoir conscience que l'état de l'opinion publique pèsera beaucoup sur le processus de ratification.
Si vous devenez président de la commission, quelles garanties en matière de transparence vous engagez-vous à respecter, durant les négociations du TTIP ?
Ce n'est pas la commission qui s'est opposée à la transparence la plus totale sur le mandat de négociation mais le conseil, ce que je déplore. Pour ma part, moi, président de la commission, je n'aurai de cesse que cette négociation soit la plus transparente possible. Certes, j'ai bien conscience que le succès d'une négociation doit passer par des phases discrètes, car les compromis ne peuvent sortir de confrontations trop publiques où des mots définitifs risquent de compromettre la recherche d'un consensus.
Reste que la commission que je présiderai fera tous les efforts pédagogiques nécessaires, engagera toutes les consultations utiles avec les parties prenantes et la société civile, dialoguera en permanence avec le parlement européen et les parlements nationaux car, à la fin, quel que soit l'accord négocié, il faudra qu'il soit ratifié, ce qui exige que l'information des parlementaires et de l'opinion publique soit complète et compréhensible.
Êtes-vous favorable à l'inclusion au sein du TTIP du mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, pour lequel une consultation a été ouverte par la commission européenne jusqu'à juillet ? Quel est votre point de vue sur ces dispositifs dits « ISDS »?
Je suis bien sûr content qu'un sujet de cette importance fasse l'objet d'une consultation publique même si je regrette que la vacance parlementaire empêche cette législature et la suivante d'y participer. Je n'exclus pas a priori l'inclusion de mécanismes de protection des investissements dans le futur traité afin de protéger les entreprises européennes d'un traitement déloyal aux États-Unis.
Mais je ne suis guère convaincu de la valeur ajoutée de tels mécanismes controversés alors que nos deux systèmes juridiques, de part et d'autres de l'Atlantique, reposent sur un État de droit ancien, solide, prévisible, où toutes les procédures d'appel existent déjà. En tout état de cause, si les investissements doivent être évidemment protégés, ce ne peut pas être au prix d'une remise en cause du droit souverain de l'UE et de ses États membres à légiférer de manière autonome.
Un accord de libre-échange entre l'UE et le Canada est sur le point d'aboutir après plusieurs années de négociations. Il devrait être présenté aux parlementaires européens bien avant le TTIP. Y êtes-vous favorable ?
C'est un accord très attendu et qui devrait être une grande opportunité pour les entreprises européennes, notamment dans les services et l'agro-alimentaire où il existe encore des limitations quantitatives. Par exemple pour les produits laitiers comme le fromage, le marché canadien est aujourd'hui très protégé. Je suis très confiant dans les résultats de cet accord qui va au-delà du commerce et aborde les investissements, la propriété intellectuelle et les marchés publics.
En ce sens, il est assez comparable à celui signé avec la Corée du Sud, lequel, au bout de deux ans d'application, s'est traduit par un retournement complet de notre balance commerciale, les exportations européennes progressant de 24 % et les importations coréennes régressant de 6 %. Mais évidemment pour profiter du libre-échange, il faut être compétitif et je dois bien constater que les seuls deux pays en déficit commercial de la zone euro sont la France et la Grèce, les autres, avec le même euro, sont tous bénéficiaires.
Alexis Tsipras. © Reuters.
Mediapart. Êtes-vous favorable aux négociations en cours, pour un accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis ?
A. T. Tout d'abord, il est inacceptable que ces négociations se déroulent en secret. Pour des raisons de principe, la gauche s'oppose à toute sorte de processus opaque, sans que les citoyens soient au courant.
Mais sur le fond, tout ce qui a filtré sur ces négociations entre Union européenne et États-Unis, au sujet du traité transatlantique, montre qu'il s'agit encore d'une tentative de soumettre la politique et les intérêts des citoyens aux diktats des multinationales.
Les révélations sur l'espionnage des Européens par la NSA compliquent-elles ces négociations ?
Pour l'instant, la grande coalition informelle, au sein de l'UE, des chrétiens-démocrates et des sociaux-démocrates, fait tout ce qu'elle peut pour faire oublier les écoutes de la NSA, bien que la victime la plus connue soit la chancelière Merkel, écoutée sur son téléphone portable. Bien sûr, l'insistance des États-Unis à surveiller les communications téléphoniques et la correspondance électronique des citoyens – et entrepreneurs – européens devrait maintenir les Européens en alerte.
Si vous devenez président de la commission, quelles garanties en matière de transparence vous engagez-vous à respecter, durant les négociations du TTIP ?
Pour un président de gauche à la tête de la commission européenne, une absolue transparence dans toute négociation est une règle qui ne peut être transgressée.
Êtes-vous favorable à l'inclusion au sein du TTIP du mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, pour lequel une consultation a été ouverte par la commission européenne jusqu'à juillet ? Quel est votre point de vue sur ces dispositifs dits « ISDS » ?
C'est précisément cette clause qui est le plus gros problème de l'accord sur le traité transatlantique. Essentiellement cette clause, qu'on pourrait définir par « l'intérêt de l'investisseur fait loi », nuit à la démocratie et à la souveraineté nationale. Le progrès des sociétés ainsi que la possibilité d'exercer des politiques alternatives sont sacrifiés sur l'autel du maintien de la spéculation des entreprises. C'est une clause politique et non d'investissement. Elle s'efforce d'écarter des législations environnementales plus strictes, des règlements en matière de santé publique et de sécurité des aliments, des améliorations de la législation du travail, des renationalisations de biens comme l'eau et l'énergie électrique, et même des augmentations du salaire des travailleurs, via le recours à l'arbitrage. Et même par un arbitrage qui n'est soumis à aucun contrôle démocratique et public.
On voit déjà les conséquences des clauses de protection des investisseurs qui existent dans les accords commerciaux bilatéraux. Selon l'enquête « Profiter de la crise : comment les entreprises et les avocats d'affaires tirent profit de l'Europe en crise », menée par deux plateformes d'ONG (à lire ici), des investisseurs poursuivent des pays européens pour pertes de profits à cause de mesures de lutte contre la crise, dont beaucoup n'ont pas été décidées par les pays eux-mêmes mais imposées par la « Troïka » (l'association du FMI, de la BCE et de la commission européenne, pour intervenir dans les pays en crise de la zone euro, ndlr). Selon cette enquête, les dédommagements déjà réclamés par les pays en crise est de 1,7 milliard d'euros.
Dans un accord multilatéral comme le traité transatlantique, si on y inclut la clause ISDS, les investisseurs auront encore plus de puissance.
Un accord de libre-échange entre l'UE et le Canada est sur le point d'aboutir après plusieurs années de négociations. Il devrait être présenté aux parlementaires européens bien avant le TTIP. Y êtes-vous favorable ?
Nous attendons encore que la commission sortante rende public le contenu de cet accord. D'après ce qui a filtré de cet accord, la clause de protection des investisseurs y est incluse. De plus, nous avons le soupçon fondé que l'accord avec le Canada n'est pas seulement un test – secret, je le répète – pour le traité transatlantique, mais une brèche ouverte pour faire passer des règles et des règlements éventuellement exclus du traité transatlantique. Il est caractéristique que les camarades de Die Linke (formation allemande membre du parti de la gauche européenne, ndlr) n'aient pas reçu de réponse, quand ils ont interrogé officiellement, au sein de leur parlement, le gouvernement allemand sur la possibilité pour une entreprise américaine ayant une filiale au Canada de faire appel à la clause de protection dans l'UE (la clause dite « ISDS », ndlr), même si cette clause n'est pas incluse dans le traité transatlantique.

Mediapart. Êtes-vous favorable aux négociations en cours, pour un accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis ?
J. B. Depuis le début des années 1990, je combats la dérégulation des échanges imposée par l’OMC, car sa logique fait du commerce mondial une finalité en soi et refuse de prendre en compte les réglementations sociales et environnementales (voir notre publication de l’époque « Soumettre l’OMC aux droits de l’Homme »). Aujourd’hui, l’OMC est bloquée principalement par le volet agricole. Alors les grandes puissances, et en particulier les États-Unis et l’Union européenne, contournent l’obstacle en imposant une nouvelle génération d’Accords bilatéraux de libre-échange très exhaustifs.
Le TAFTA en est le dernier avatar. C’est un projet malsain, qui menace directement nos choix collectifs, surtout en matière d’alimentation. Car les droits de douanes sur les produits industriels sont aujourd’hui pratiquement nuls – il ne reste que les normes environnementales et sociales de production. C’est donc l’agriculture européenne qui sert de monnaie d’échange. Par exemple, les entreprises américaines veulent exporter leur viande bovine nourrie aux hormones en Europe. Ce serait la ruine pour des milliers d’éleveurs européens qui élèvent leurs bêtes avec de l’herbe. Les régions de montagnes seront particulièrement affectées. Les appellations d’origine contrôlées (AOC) sont également en danger.
Heureusement, l’opposition est sur les deux rives. Aux États-Unis, de nombreuses organisations de la société civile sont farouchement opposées à l’ouverture de ces négociations qui menacent les législations progressistes comme le Buy American Act, qui permettent de relocaliser l’économie.
Les révélations sur l'espionnage des Européens par la NSA compliquent-elles ces négociations ?
Elles les invalident : comment peut-on négocier avec un partenaire qui triche ouvertement ? En plus, l’espionnage de la NSA ne se limite pas à écouter les décideurs politiques européens. L’espionnage industriel est également une réalité. J’ai du mal à croire que les entreprises européennes qui travaillent dans des domaines innovants ne sont pas également étroitement surveillées. Nous avons besoin d’une enquête parlementaire approfondie avant de reprendre d’éventuelles négociations.
Si vous devenez président de la commission, quelles garanties en matière de transparence vous engagez-vous à respecter, durant les négociations du TTIP ?
La transparence doit être totale et la commission européenne doit impliquer et consulter l’ensemble des parties prenantes. Pour l’instant, elle a une fâcheuse tendance à ne prendre en compte que les avis et les souhaits émis par les conseils d’administration des grandes entreprises. Membre « suppléant » de la commission du commerce international au parlement européen, je n’ai même pas accès aux documents présentés par le commissaire De Gucht (le commissaire européen au commerce, ndlr), qui doit informer le parlement européen de l’avancée des négociations. La transparence s’arrête aux « coordinateurs » des différents groupes parlementaires, soit sept personnes en tout et pour tout. Il leur est d’ailleurs interdit de diffuser ces informations.
Êtes-vous favorable à l'inclusion au sein du TTIP du mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, pour lequel une consultation a été ouverte par la commission européenne jusqu'à juillet ? Quel est votre point de vue sur ces dispositifs dits « ISDS » ?
Ce mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et États est un danger pour la démocratie et les politiques publiques. Il offre la possibilité aux grandes entreprises d’attaquer les lois et les réglementations qui auraient, selon elles, un impact négatif sur leurs retours sur investissements, les bénéfices, qu’elles escomptaient. Par exemple, Veolia n’a pas hésité à attaquer le gouvernement égyptien lorsqu’il a revalorisé le salaire minimum. La société américaine Low Pine remet en cause le moratoire sur la fracturation hydraulique décidé par le Québec et demande 250 millions de dollars de compensation.
Composés de trois juges internationaux, ces tribunaux arbitraux fonctionnent dans la plus grande opacité. Leurs décisions sont sans appel. Je ne comprends pas que des hommes et des femmes politiques puissent ainsi se lier les mains en acceptant l’ISDS. La commission européenne a fini par comprendre le problème. Elle a décidé d’ouvrir une consultation publique jusqu’à la fin du mois de juin 2014. Mais si elle pense mettre ce débat entre parenthèses pendant toute la durée de la campagne pour les élections européennes, elle se trompe lourdement. On va vers des « affaires Tapie » à échelle globale.
Un accord de libre-échange entre l'UE et le Canada est sur le point d'aboutir après plusieurs années de négociations. Il devrait être présenté aux parlementaires européens bien avant le TTIP. Y êtes-vous favorable ?
Je suis opposé à la ratification d’un accord de libre-échange avec le Canada pour les mêmes raisons. Plutôt que de poursuivre dans l’impasse d’une libéralisation aveugle, l’UE aurait tout à gagner à proposer aux États-Unis et au Canada la mise en place d’un accord transatlantique pour lutter contre l’évasion fiscale. Car les multinationales utilisent toutes les failles existantes et inventent des procédures complexes pour payer le moins d’impôts possible. Nous ne pouvons pas accepter que certains pays (Irlande, Pays-Bas, Luxembourg) et certains États nord-américains (Delaware) jouent contre l’intérêt commun.

Mediapart. Êtes-vous favorable aux négociations en cours, pour un accord de libre-échange entre l'Europe et les États-Unis ?
J.-C. J. Les États-Unis et l'Union européenne représentent à eux seuls 50 % du PIB mondial, et le tiers des échanges commerciaux. L'accord commercial entre les États-Unis et l'Union européenne doit permettre d'intensifier les échanges de biens et des services, pour atteindre une valeur de 1,8 milliard d'euros par jour. Ce qui représente une hausse de 0,5 % du PIB de l'UE à l'horizon 2027. Cela représente aussi 120 milliards d'euros supplémentaires versés à l'économie réelle, chaque année. L'équivalent de 545 euros par an pour chaque famille en Europe ! Alors, oui, je suis favorable aux négociations en cours, en particulier celles qui visent l'abolition des droits de douane dépassés entre l'UE et les États-Unis.
Toutefois, il est aussi très clair à mes yeux que certains standards européens – en matière de sécurité alimentaire, de normes environnementales, de protection des données personnes, de social, ou encore de diversité culturelle – ne sont pas négociables.
Les révélations sur l'espionnage des Européens par la NSA compliquent-elles ces négociations ?
D'abord, il faut affirmer sans détour que des partenaires proches – ce que les États-Unis et l'UE aspirent à devenir au terme de ces très ambitieuses négociations commerciales – ne s'espionnent pas. De plus, les révélations d'une surveillance massive, par la NSA, des citoyens de l'UE prouvent que nous avons, de part et d'autre de l'Atlantique, des approches très différentes de la protection des données personnelles et de la vie privée. La conséquence de cela, c'est que la protection des données personnelles ne peut pas, d'après moi, faire partie du champ de la négociation.
N'oublions pas non plus que des négociations sont en cours entre Washington et Bruxelles sur un autre texte, depuis trois ans, qui concerne directement la protection des données personnelles des Européens. Je veux d'abord obtenir des résultats concrets et ambitieux dans ces négociations, qui formeraient une première base de travail, entre l'UE et les États-Unis sur ce dossier (il s'agit des négociations sur le « safe harbour », en particulier, ndlr). Nous devons aussi voir sur quoi débouchent les chantiers législatifs en cours, côté européen comme côté américain, pour mieux protéger les données et la vie privée des citoyens.
Une fois que les États-Unis auront adopté une nouvelle loi, qui donnera aux citoyens européens les mêmes droits qu'aux Américains, quel que soit leur lieu de résidence, alors il me semble que ce sera le moment de commencer à discuter de standards transatlantiques sur ce sujet. Mais la route est encore longue, et je suis très réaliste sur ce dossier. L'Europe va continuer, pendant de nombreuses années, à être celle qui définit les règles en matière de protection des données et de protection de la vie privée, et nous devons être fiers du rayonnement des valeurs européennes.
Si vous devenez président de la commission, quelles garanties en matière de transparence vous engagez-vous à respecter, durant les négociations du TTIP ?
Il nous faut trouver le juste équilibre entre, d'un côté, une exigence de transparence pour le public, et de l'autre, la nécessité de ne pas dévoiler toutes nos cartes, en plein milieu de la négociation. Il existe déjà un niveau élevé de transparence dans la négociation d'accords commerciaux bilatéraux. En amont des discussions par exemple, la commission mène des consultations publiques, et entretient un dialogue avec des représentants de la société civile. La même commission publie aussi le texte des accords provisoires, avant leur adoption, pour alimenter le débat public – toutes ces garanties doivent être maintenues.
Nous devons aussi nous rappeler qu'aucun accord commercial ne peut être ratifié sans le feu vert du parlement européen, conformément aux traités internationaux. Ce qui entraîne une implication forte de plusieurs eurodéputés dans les discussions, lesquels entretiennent des contacts réguliers avec la commission européenne. Les eurodéputés auront donc un rôle décisif à jouer, pour l'avenir de ces négociations. Cela souligne une fois de plus l'importance des élections européennes à venir. Tous les citoyens qui se sentent concernés par ces négociations commerciales, devraient utiliser leur droit de vote, pour s'assurer que des parlementaires actifs et compétents les représentent à Bruxelles sur ce dossier.
Êtes-vous favorable à l'inclusion au sein du TTIP du mécanisme d'arbitrage entre État et investisseur, pour lequel une consultation a été ouverte par la commission européenne jusqu'à juillet ? Quel est votre point de vue sur ces dispositifs dits « ISDS » ?
Si l'on peut trouver le bon équilibre, ce type de mécanisme d'arbitrage pourrait marquer une avancée vers un type d'accord d'investissement amélioré. D'un côté, on s'assurerait que les gouvernements peuvent conduire leur politique au nom de l'intérêt général. De l'autre, ils s'engageraient aussi à donner des garanties pour la protection des investissements. C'est, à mes yeux, un objectif précieux. Pour autant, ce type de mécanismes ne doit jamais interdire l'accès des citoyens à des tribunaux ordinaires, au même moment.
Un accord de libre-échange entre l'UE et le Canada est sur le point d'aboutir après plusieurs années de négociations. Il devrait être présenté aux parlementaires européens bien avant le TTIP. Y êtes-vous favorable ?
Le Canada est le 11e partenaire commercial de l'Union européenne, tandis que l'UE est le deuxième partenaire commercial du Canada, après les États-Unis. Les négociations pour cet accord se sont ouvertes en mai 2009 et sont maintenant entrées dans leur phase finale. Un compromis équilibré a pu être trouvé sur l'ensemble des sujets clés, compromis qui protège les valeurs et les standards européens. Cet accord pourrait doper nos relations commerciales avec le Canada, à hauteur de 25,7 milliards d'euros chaque année, et pourrait donc être bénéfique pour tous. Mais c'est désormais le parlement européen, et les 28 parlements nationaux, qui donneront le feu vert définitif au texte. C'est leur évaluation du texte qui permettra de savoir si les citoyens européens profiteront, ou non, des retombées d'un tel accord – ce que j'espère sincèrement.
BOITE NOIREJ'ai envoyé voilà plus d'une semaine le même questionnaire aux cinq équipes des candidats à la présidence de la commission européenne. Jean-Claude Juncker et Martin Schulz ont répondu en anglais (j'ai traduit en français les deux textes), José Bové et Guy Verhofstadt en français et Alexis Tsipras en grec (la traduction du grec au français a été assurée par Frédérique Bouvier).
J'ai limité la consultation aux cinq partis européens qui se sont lancés dans la bataille pour présider la commission (c'est elle qui chapeaute les négociations avec Washington, au nom de l'UE, à partir du mandat donné par les 28 États membres en 2013). J'ai donc fait l'impasse sur certaines formations qui, en France, évoquent le traité de libre-échange dans leur campagne, comme le Front national, Nouvelle Donne ou encore les listes de Corinne Lepage. Mediapart reviendra dans les jours à venir, de manière plus globale, sur le contenu des programmes de chacun. L. L.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : USB dumper