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Le Portugal dit adieu à la «Troïka» : la fin du commencement

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La sortie « propre » du programme d’assistance financière internationale de trois ans décidée par le gouvernement portugais le 4 mai n’est que la fin du commencement : si le pays, menacé de faillite à brève échéance en avril 2011, a retrouvé un accès aux marchés financiers à des taux normalisés, le travail d’ajustement structurel nécessaire pour reconstruire un modèle de croissance durable est loin d’être achevé. Mais le Portugal offre un bon terrain d’analyse sur ces programmes, instruments traditionnels du Fonds monétaire international, qui sont aussi violemment critiqués qu’ils sont mal compris.

Plusieurs remarques liminaires s’imposent. Tout d’abord, comme nous l’avions écrit dès janvier 2009 en annonçant la faillite de la Grèce (lire ici), l’intervention prédominante de l’organisation multilatérale basée à Washington dans les affaires d’un pays avancé membre de la zone euro était prévisible pour des raisons techniques et politiques. Ni la Commission de Bruxelles, ni le Conseil européen ne disposaient de l’expérience suffisante, de l’unité de vue ou de la détermination nécessaires pour gérer une telle situation d’urgence. Et encore moins des outils, transferts budgétaires, mutualisation des dettes publiques ou union bancaire, qui auraient permis une solution alternative. Instruments qui n’existent pas plus aujourd’hui. Alors que le FMI avait développé depuis des décennies les modèles et les références nécessaires au travers de centaines de cas. Si la Troïka UE-FMI-BCE était formellement présidée par le représentant de la Commission, il n’y a guère de doute sur l’origine des impulsions dominantes.

En dépit du discours lénifiant et vaguement démagogique sur « l’austérité » développé récemment par la directrice générale du Fonds, l’ineffable Christine Lagarde, la pratique sur le terrain du « staff » du Fonds a été très classique. Pour une raison simple : sauf à assumer le défaut de paiement et ses conséquences (choix de l’Argentine en 2001, par exemple), en l’occurrence la sortie de l’euro, un effondrement bancaire et un appauvrissement brutal, les options pour traiter une crise financière souveraine sont limitées. L’objectif prioritaire est nécessairement le rétablissement des « grands équilibres macro-économiques », balance des comptes courants et finances publiques, dans un délai assez court, généralement trois ans.

Enfin, les programmes d’ajustements opèrent sur deux échelles de temps : l’urgence et le long terme. D’abord éteindre l’incendie puis reconstruire la maison. Les mesures prises pour traiter l’un et l’autre problèmes peuvent être de nature différente. Et se révéler momentanément contradictoires. Cette contradiction est au cœur de la gestion des programmes.

Cela étant posé, il reste à définir le profil de la crise qui présentait des similitudes mais aussi des différences dans les pays de la zone euro qui ont été placés sous intervention (Grèce, Irlande, Portugal, partiellement Espagne, et finalement Chypre). Le Portugal était confronté à un problème permanent de déficit des comptes courants, à une crise bancaire, à un déséquilibre persistant des finances publiques, à de sérieuses carences dans les politiques publiques, à l’existence de rentes indues dans des activités essentielles à la croissance, à la fragilité de son tissu industriel.

Rien de tout cela n’était vraiment nouveau en 2008-2009, quand la crise financière mondiale a tiré les marchés de la douce négligence qui les avait conduits, depuis la création de l’euro, à éliminer pratiquement les primes de risque entre émetteurs souverains participant à la monnaie unique. Petit pays périphérique, le Portugal avait même été le seul à subir, jusqu’aux sanctions financières, la discipline du Pacte de stabilité et de croissance, traitement dont l’Allemagne et la France devaient s’émanciper ensuite en 2003 par un putsch contre la Commission européenne.

La crise était donc d’abord et classiquement une crise de balance de paiement, mais furtive parce que longtemps masquée par l’existence de la monnaie unique. Ce qui n’était pas classique, c’est que l’appartenance à la zone euro excluait le recours à la dévaluation monétaire pour rétablir l’équilibre, contrairement aux deux épisodes précédents d’appel au FMI, en 1976-1980 et 1982-1986. En 2010, au terme d’une décennie en régime de monnaie unique à accumuler des déficits extérieurs annuels de l’ordre de 10 % du PIB (10,6 % en 2010), la position internationale nette du pays était dans le rouge à hauteur de 107,2 % du PIB. Ce trou gigantesque a été financé par un triple endettement : des agents privés (entreprises et ménages), du secteur financier, de la sphère publique (État, collectivités locales, entreprises publiques). L’Eurogroupe, la Commission européenne et la BCE n’ont rien vu venir ou on fait comme si. En droit des affaires, cela s’appelle un soutien abusif et serait passible de poursuites.

En trois ans, le programme d’ajustement aura permis au Portugal de rétablir sa situation extérieure, après des décennies de déficit. La balance des comptes courants est redevenue positive (+ 0,4 % en 2013) et devrait le rester durablement selon les projections du FMI qui s’étendent jusqu’en 2019. Contrairement à certaines idées reçues, la contribution de la hausse des exportations (passées de 26 % à plus de 40 % du PIB entre 2006 et 2013) a été beaucoup plus significative que celle du recul des importations (stables sur la période à 38 % du PIB). Par contre, le poids du passé demandera de longues années d’excédent, la position extérieure nette continuant à se dégrader jusqu’en 2015 avant de s’améliorer rapidement (à – 80 % du PIB en 2019), selon les mêmes projections.

Evolution exportations et importations 2006/2013Evolution exportations et importations 2006/2013 © FMI

La crise bancaire est en revanche loin d’être terminée, comme l’attestent les lourdes pertes encore affichées par les banques portugaises en 2013 (1,9 milliard d’euros de pertes cumulées pour les huit premières, contre 1,2 milliard l’année précédente). Le pourcentage des crédits non-performants est en hausse régulière, culminant à 11 % du total brut des engagements fin 2013. Les banques portugaises continuent à être de très bons « clients » de la BCE, dépendant encore pour 46 milliards d’euros de ses apports en liquidité en février 2014, soit plus de 10 % des actifs bancaires. De ce fait, le « credit crunch » (contraction du crédit) se poursuit pour les ménages et les entreprises, même si dans ce dernier cas la stabilisation est confirmée pour les entreprises exportatrices, qui ont moins souffert que les autres, surtout les PME.

À une moindre échelle qu’en Irlande, cette dimension bancaire de la crise trouve partiellement son origine dans des comportements frauduleux et même criminels de certains individus (cas BPN, BCP et BPP), la justice portugaise, dont les dysfonctionnements faisaient d’ailleurs l’objet d’un chapitre dédié dans le mémorandum du printemps 2011, ayant fait jusqu’à présent preuve de sa traditionnelle lenteur et d’une grande mansuétude dans la distribution des sanctions. Mais ce « credit crunch », qui ne prendrait fin qu’en 2016 selon le FMI, était la sanction du « binge credit » qui l’avait précédé. Sans atteindre les excès espagnol ou irlandais, cette inflation du crédit avait nourri un boom prolongé de la construction.

Les courbes d’évolution de l’emploi par grands secteurs attestent que c’est le retournement brutal dans le BTP qui a alimenté en grande partie l’envolée du chômage. La décrue s’annonce extrêmement lente, avec un taux de chômage qui repasserait sous les 13 % en 2019, ayant atteint un pic de 17,7 % au 1er trimestre 2013.

Emploi par secteur 2008/2013Emploi par secteur 2008/2013 © FMI


Le secteur de la construction offre d’ailleurs un bon exemple de l’articulation entre réformes structurelles et équilibres macro-économiques. Par incompétence ou intérêt, la classe politique portugaise a choisi dans les années 1980 un modèle de développement privilégiant les infrastructures physiques, au détriment notamment de l’investissement dans « l’intelligence » (éducation, formation, recherche). Des autoroutes souvent vides (réseau le plus dense d’Europe) aux ruineux et scandaleux PPP (partenariats public-privé désormais en cours de renégociation au bénéfice de l’État) en passant par les stades désertés de l’Euro 2004 (lire ici), cette politique a pesé lourdement sur la qualité de la croissance (avec une progression insuffisante de la productivité, notamment) et les comptes publics.

Et il aura fallu l’arrivée de la Troïka pour que les parlementaires modifient une législation qui avait permis un blocage des loyers perdurant dans certains cas extrêmes depuis un siècle (lire ici), provoquant une dégradation spectaculaire du patrimoine immobilier dans les principaux centres urbains – Lisbonne et Porto notamment, le pays comptant en 2011 quelque 700 000 logements dégradés, en ruine ou inoccupés. Or, la réhabilitation urbaine, qui enregistre désormais une accélération visible à l’œil nu, a un impact économique fort et diversifié : activité et emploi dans le BTP, tourisme, biens d’équipements, etc.

Les autres réformes structurelles préconisées dans le mémorandum signé en 2011 avec la Troïka n’ont pas encore eu le même succès, les intérêts acquis mis en cause ayant une autre capacité de résistance que les associations de locataires. Un cas d’école concerne la rente des secteurs « non marchands », notamment les industries de « réseaux » (voir ici le cas de EdP). « En dépit des réformes passées, l’évidence suggère que les rentes excessives dans le secteur non marchand, particulièrement les industries de réseau, continuent à peser sur les prix des ressources pour le secteur marchand », note le rapport d’avril 2014 du FMI. La réforme du statut des dockers (lire ici) n’a pas encore eu d’effets pratiques pour les utilisateurs des infrastructures portuaires, note encore le FMI.

De la même manière, le problème du poids excessif de la sphère publique a été traité, urgence oblige, par l’usage indiscriminé du rabot (baisses de salaires et des pensions de retraite au-dessus d’un certain seuil) et par une hausse de la fiscalité touchant prioritairement les classes moyennes, et pas suffisamment par des modifications durables de périmètres et de structures, en dépit d’un programme actif de privatisations. L’agenda législatif prévu dans le mémorandum est en voie d’achèvement mais sa mise en œuvre commence tout juste – à l'instar de la nouvelle loi portuaire qui doit encore être transcrite dans des accords collectifs de travail.

Parmi les facteurs de risque pesant sur la suite du redressement figure au premier rang le fardeau de la dette. Même au niveau nominal actuel des taux d’intérêts, même en comptant sur les effets d’un gros travail de modernisation fiscale et de lutte contre la fraude, même en tenant pour acquis un excédent durable des comptes courants de l’ordre de 2 % du PIB, la dette publique, qui représentait fin 2013 128,8 % du PIB, serait encore à 114 % en 2019, avancent les projections du FMI. La sphère publique contient encore un certain nombre de « trous noirs » (hôpitaux publics, entreprises de transports, dettes aux fournisseurs privés des administrations nationale et locales) dont l’assainissement va peser longtemps sur les comptes de l’État. D’autant que le contexte européen de croissance molle et de faible inflation ne facilitera pas la tâche aux gouvernants portugais, les taux d’intérêt réels excédant de beaucoup le taux de croissance anticipé. À terme, c’est insoutenable. Quel que soit le vocabulaire choisi, effacement partiel, restructuration ou reprofilage, la renégociation de la dette publique sera tôt ou tard à l’ordre du jour de la zone euro. N’en parler jamais, y penser toujours.

Avec retard, les autorités portugaises s’attaquent seulement maintenant au problème clef du financement des entreprises, dans un contexte de crise bancaire persistante. L’insuffisance des fonds propres et le haut niveau d’endettement bancaire des TPE et PME (99 % des 350 000 entreprises portugaises, 80 % de l’emploi privé) constituent certainement le défi économique majeur du pays. De sa résolution dépendent la poursuite du redressement exportateur et le réinvestissement dans des activités négligées (industrie, agriculture, artisanat, pêche) dans l’euphorie spéculative postérieure à l’entrée dans l’UE puis dans la zone euro.

La sortie « propre » le 17 mai, sans filet de sécurité, du programme d’assistance financière internationale choisie par le gouvernement de Lisbonne n’est pas un point d’arrivée. Le pays va rester sous la surveillance de ses créanciers, publics et privés, et le retour à la « liberté de décision » évoqué par le premier ministre Pedro Passos Coelho est relatif. Lisbonne prépare d’ailleurs, comme hier Dublin, une lettre d’intention adressée au FMI qui suivra, en juin, la 12e et dernière mission d’évaluation de la « troïka ».

Il ne manque évidemment pas de bons esprits pour critiquer non seulement le détail de mesures, qui résultaient souvent de choix entre plusieurs moins mauvaises solutions, mais la logique même des programmes d’ajustement « modèle FMI ». D’autant que le gouvernement portugais a souvent dû faire face à l’obstruction des juges du Tribunal constitutionnel, juges et parties prenantes en flagrant délit de conflit d’intérêts. Comme chacun sait, dans l’extinction d’un incendie, les dégâts de l’eau s’ajoutent à ceux du feu. Aux partisans, avoués ou non, de la « voie argentine », on conseillera d’examiner comment se portent aujourd’hui le pays des Kirchner et ses habitants. Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

BOITE NOIREPour quelques contributions individuelles, parfois fantaisistes (le texte de Blanchard sur le multiplicateur keynésien vient à l'esprit), le FMI est devenu récemment la référence des économistes “atterrants”. Ce qui ne manque pas de sel. Dans la pratique, comme on le voit ici, le Fonds applique toujours grosso modo les mêmes recettes. Personnellement, et je m'en suis expliqué à de nombreuses occasions, je suis loin de trouver exemplaire le traitement appliqué au Portugal et aux autres pays “périphériques” de la zone euro. Je reste persuadé que les mêmes résultats auraient pu être obtenus à un moindre coût économique et social, à condition de s'attaquer plus résolument à la crise bancaire et au périmètre de l'État, d'agir beaucoup plus sur la dépense et beaucoup moins par la pression fiscale. Néanmoins, je crois qu'il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur un chantier encore largement inachevé.

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