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Pérol renvoyé en correctionnelle : les secrets de l’enquête

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Cela devrait déclencher un séisme dans les milieux financiers français mais aussi dans les cercles dirigeants de la « Sarkozie » : le juge Roger Le Loire a pris une ordonnance renvoyant devant un tribunal correctionnel François Pérol, le président de la banque BPCE et ex-secrétaire général adjoint de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, pour y être jugé pour « prise illégale d’intérêt ». C’est l’AFP qui le confirme ce jeudi 5 février, en faisant état de sources concordantes.

De nombreux indices suggéraient en effet que le magistrat qui a conduit l’instruction prendrait cette décision : en particulier, le Parquet national financier (PNF) a pris, dès le 7 novembre 2014, des réquisitions en ce sens (lire Affaire Pérol : vers un procès pour prise illégale d’intérêt).

Pressentant que ce nouveau rebondissement judiciaire était imminent, nous avions consacré à la fin du mois de décembre dernier une très longue enquête à l’affaire Pérol, en trois volets, nourrie des nombreux éléments nouveaux que l’enquête judiciaire a mis au jour – enquête dont Mediapart a pu prendre connaissance des principales révélations.

Voici, pour mémoire, les principales révélations de notre enquête.

Dans le premier volet de note enquête, nous révélions d’abord à quel point l’instruction du juge Roger Le Loire avait tranché avec l’enquête préliminaire ouverte suite aux plaintes déposées par les syndicats CGT et Sud des Caisses d’épargne, quand François Pérol avait quitté l’Élysée pour prendre, au début de 2009, la présidence des Caisses d’épargne et des Banques populaires, puis la présidence de BPCE, la banque née de la fusion des deux précédents établissements. À l’époque, on était encore sous la présidence de Nicolas Sarkozy et la procédure avait été pour le moins expéditive.

En droit, il s’agissait d’établir si François Pérol s’était borné à avoir des contacts avec les différents responsables de ces établissements, pour éclairer les choix du président de la République, ou si, outrepassant cette fonction, il avait contribué à peser sur l’avenir de ces deux banques, en organisant lui-même leur mariage, pour ensuite prendre la présidence de la banque unifiée.

En clair, il s’agissait d’établir si François Pérol avait lui-même exercé l’autorité publique sur ces deux banques, avant d’en prendre la direction, ce que les articles 432-12 et 432-13 du Code pénal prohibent : « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

Or, l’enquête préliminaire s’est déroulée dans des conditions scandaleuses. À l’époque, un seul témoin a été entendu, François Pérol, comme si cela suffisait à la manifestation de la vérité. Et lors de son audition, le 8 avril 2009, devant la brigade financière – audition dont nous avons pu prendre connaissance –, François Pérol a pu expliquer sans être contredit qu’il s’était borné à éclairer les choix de Nicolas Sarkozy, sans jamais être impliqué dans la moindre décision. Ce qui a donné lieu à ces échanges étonnants :

« Avez-vous eu, en tant que secrétaire général adjoint de la présidence de la République, à suivre le rapprochement des deux groupes et/ou l'apport de 5 milliards d'euros par l'État ? lui demande le policier de la Brigade financière.

— Le rapprochement a été annoncé en octobre 2008, j'en ai été informé de même que les autorités de régulation et de contrôle, par les deux présidents de l'époque, Messieurs Milhaud [le président de l’époque des Caisses d’épargne] et Dupont [le président de l’époque des Banques populaires], la veille ou le jour de l'annonce officielle. J'en ai informé le président de la République. Dans le contexte de crise, ce que les autorités de régulation ont dit aux deux groupes, c'est qu'il fallait aller vite pour exécuter cette opération et que les discussions soient menées rapidement, répond François Pérol.

— Aviez-vous une mission de surveillance ou de contrôle sur ces deux entreprises ou leurs filiales ? insiste le policier.

— Non, répond le banquier.

— Avez-vous eu à proposer directement aux autorités compétentes des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l'apport de 5 milliards par I'État ?

— Non.

— Avez-vous formulé un ou des avis aux autorités compétentes sur des décisions relatives à ces entreprises, en particulier dans leur rapprochement et/ou à propos de l 'apport de 5 milliards par I'État.

— Non. Mes avis sont destinés au président de la République et au secrétaire général de la présidence. »

Le dialogue a ainsi duré quelque temps, sans que François Pérol n’en dise plus. Et peu de temps après, sans qu’aucun autre témoin ne soit entendu, sans qu’aucune perquisition ne soit conduite pour trouver les documents concernant l’affaire, l’affaire avait été classée sans suite par le parquet… Le patron de BPCE n’aurait donc jamais été rattrapé par la justice si les deux syndicats, ne se décourageant pas, n’avaient pas de nouveau déposé plainte, cette fois avec constitution de partie civile, ce qui a conduit à ce qu’un juge indépendant, Roger Le Loire, soit chargé du dossier Pérol.

L’enquête préliminaire s’est même passée dans des conditions encore plus scandaleuses que cela, car certains des acteurs de l’histoire ont secrètement eu connaissance de certaines de ces pièces, alors qu’elles sont théoriquement inaccessibles quand il n’y a pas de parties civiles. Ces fuites suspectes, c’est, ultérieurement, l’enquête du juge Le Loire qui les a fait apparaître.

Entendu dans le cadre de cette instruction le 12 décembre 2013 par un officier de la brigade centrale de lutte contre la corruption, Bernard Comolet – qui avait pris brièvement la présidence des Caisses d’épargne lors de la chute de Charles Milhaud avant d’être évincé à son tour par François Pérol – a été interrogé sur la présence d’un CD-Rom trouvé à son domicile, à l’occasion d’une perquisition réalisée le matin même. Car dans ce CD-Rom, les policiers ont retrouvé « des pièces de procédures relatives à l’enquête en préliminaire sur la nomination du président du groupe BPCE ».

Prié de dire comment il était entré en possession de ce document, Bernard Comolet a répondu : « J’avais demandé à l’un des avocats de la Caisse d’épargne d’Île-de-France s’il savait où en était la procédure à l’encontre de François Pérol. En réponse à cette demande, il m’a fourni ce CD en me disant que j’y trouverais les éléments de réponse. Je m’intéressais à cette procédure car je m’attendais à être entendu. »

Dans ce deuxième volet de notre enquête, nous révélions que la justice avait mis la main, lors de l’instruction, sur des courriers anonymes retraçant des échanges d’e-mails sur une très longue période, entre de très nombreux protagonistes de notre histoire. À Mediapart, nous avions aussi été informés de l’existence de ces mails, mais ne sachant pas dans un premier temps comment la justice allait les apprécier, nous n’en avions fait qu’une brève mention à l’occasion de l’une de nos enquêtes dès le 31 janvier 2011 (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée).

Or, ces mails – tantôt cocasses, tantôt stupéfiants – figurent bel et bien dans le dossier d’instruction du juge Roger Le Loire, qui s’est appliqué à vérifier s’ils confirmaient ou non l’implication directe de François Pérol dans les dossiers des Caisses d’épargne et des Banques populaires. Ce sont même ces mails qui ont visiblement servi au magistrat de fil conducteur pour conduire ses investigations, et lui permettre d’arriver à la conviction que François Pérol ne s’est pas borné à éclairer Nicolas Sarkozy sur les décisions qu’il devait prendre, mais qu’il a réellement exercé l’autorité publique sur les deux banques dont il a pris ultérieurement la présidence. Ces mails ont aussi souvent servi de trame à la police judiciaire pour conduire les auditions de témoin voulues par le magistrat. Et, dans la foulée, ce sont ces mêmes mails qui éclairent sous un jour cru les ressorts du fonctionnement du capitalisme parisien.

Une bonne partie de ces mails ont pour émetteur ou pour destinataire un avocat, Me François Sureau, qui joue dans cette histoire des Caisses d’épargne et de l’affaire Pérol un rôle singulier. Avocat des Caisses d’épargne du temps de Charles Milhaud, il est ensuite devenu l’avocat de François Pérol.

Dans ce volet de notre enquête, nous avons donc présenté les mails qui sont entre les mains de la justice et qui suggèrent une implication directe de François Pérol dans les dossiers des Caisses d’épargne, dès 2002 et jusqu’en 2007. Puis, à partir de 2007, de nouveaux mails viennent éclairer le rôle de François Pérol, qui officie désormais à l’Élysée comme secrétaire général adjoint. Sa mission, telle qu’il la conçoit, est-elle seulement d’éclairer les choix du nouveau président de la République, ou entend-il peser lui-même sur certains choix économiques et exercer l’autorité publique sur certaines banques ? Un premier mail de François Sureau à Charles Milhaud, en date du 29 mai 2007, juste quelques jours donc après la victoire de Nicolas Sarkozy, suggère clairement que la seconde hypothèse est la bonne. Dans ce mail, l’avocat raconte en effet qu’il vient de rencontrer longuement François Pérol et que ce dernier semble disposé à apporter son appui à une très grande opération engageant l’avenir des Caisses d’épargne, opération qui pourrait aller jusqu’à une « démutualisation totale ou partielle ». Ce mail est le seul que nous avions dans le passé déjà évoqué (lire La justice va décider si l’affaire Pérol sera ou non étouffée) et c’est sans doute, pour François Pérol, l’un des plus embarrassants.

Dans le troisième et dernier volet de notre enquête, nous nous attardions sur les révélations faites, lors de l’instruction judiciaire, par Bernard Comolet, l’éphémère patron des Caisses d’épargne, qui prend la présidence de la banque le 19 octobre 2008 quand, sous pression de Nicolas Sarkozy, son prédécesseur Charles Milhaud est poussé vers la sortie après la perte de quelque 750 millions d’euros sur les marchés financiers, et qui restera en fonction jusqu’au 26 février 2009, date à laquelle il est évincé à son tour, pour céder sa place à François Pérol.

Personnage effacé, qui n’a présidé les Caisses d’épargne que quatre mois, et qui n’était visiblement pas préparé à jouer le premier rôle, Bernard Comolet a été visé par une perquisition, à son domicile, le 12 décembre 2013. Et le même jour, il a été longuement entendu par un commandant de la Brigade centrale de lutte contre la corruption.

Cette audition constitue un événement à double titre. Au plan judiciaire d'abord, car le banquier a très précisément expliqué le rôle qu’a joué François Pérol et dans quelles conditions ce dernier a pris le pouvoir au sein de la banque. Événement sociologique aussi car, tantôt candide, tantôt naïf, le banquier a expliqué au policier dans quelles conditions d’autres proches de Nicolas Sarkozy l’avaient pris en main avant même que n’intervienne François Pérol, pour le parrainer dans la vie parisienne des affaires dont il ne connaissait pas les arcanes. D’autres proches, tel Alain Minc, le conseiller de Nicolas Sarkozy et grand entremetteur du capitalisme parisien ; ou encore René Ricol, l’expert-comptable le plus connu dans les milieux du CAC 40, que Nicolas Sarkozy nommera d’abord médiateur du crédit puis commissaire général à l’investissement.

Bernard Comolet raconte d'abord dans quelles conditions il est entré en contact avec Alain Minc – qui était déjà secrètement le conseil de son prédécesseur, Charles Milhaud : « Au sujet d’Alain Minc, rapporte-t-il, je dois vous dire que je suis issu de la banque et de la Caisse d’épargne et que ma nomination en qualité de Président du Directoire de CNCE [il s’agit de la Caisse nationale des caisses d’épargne, l’instance de direction de la banque] m'a projeté dans un monde dont je n'étais pas familier. Je vous précise que hormis mes connaissances de la banque, je ne fais pas partie de la haute administration et que je n'ai pas de réseau. C'est M. René Ricol qui est venu me voir après ma nomination (je le connaissais depuis qu'il avait été commissaire aux comptes de la Caisse d'épargne d’Ile-de-France en 1985) pour me dire qu'il fallait que je rencontre Alain Minc. J'ai donc rencontré une première fois Alain Minc en octobre-novembre 2008 en compagnie de René Ricol et d'Alain Lemaire [à l’époque, l’éphémère numéro 2 des Caisses d’épargne]. À cette occasion M. Minc nous a indiqué que compte tenu de l'ampleur de la tâche (la fusion avec Banques populaires) et de sa complexité, nous aurions besoin d'être conseillés. À ce titre, il accepterait de regarder notre dossier pour se déterminer s'il pouvait accepter d'être notre conseil. À cette occasion, M. Minc nous a indiqué que nous serions bien inspirés de nous choisir maintenant un inspecteur des finances pour nous aider, qu'aujourd'hui, on avait certainement encore le choix du nom mais que dans quelques mois le nom s'imposerait. »

Alain Minc, qui est le conseiller occulte de Nicolas Sarkozy et qui rencontre donc aussi fréquemment son ami François Pérol à l’Élysée, fait-il donc comprendre à Bernard Comolet qu’il aurait tout intérêt à enrôler ce dernier à ses côtés, faute de quoi l’intéressé risque fort de lui prendre sa place de force ? Bernard Comolet ne le précise pas, et poursuit son récit de la manière suivante : « Avec le recul, je décode ces propos ainsi : nous aurions eu bien moins de problèmes avec un inspecteur des finances à nos côtés, lequel aurait été familier dans nos relations avec les pouvoirs publics. »

« À l'issue de cette première rencontre, poursuit le patron par intérim des Caisses d’épargne, un deuxième rendez-vous a été programmé sans que je l'aie sollicité et pour lequel M. Lemaire n'a pas jugé utile de m'accompagner. Au cours de cet entretien, j'ai fait savoir à M. Minc que je n'avais besoin de rien. C'est après cela que j'ai eu la surprise de recevoir le petit mot d'Alain Minc que vous avez saisi, et qui est en fait une lettre de récriminations dans laquelle il se plaint qu'on se prévaudrait de ses services alors qu'il ne nous a point offert ses services. »

En quelque sorte, Bernard Comolet a été pris, si l’on peut dire, en sandwich. D’abord, il a été approché par deux intimes de Nicolas Sarkozy, René Ricol et Alain Minc. Puis, c’est avec un autre proche du même Nicolas Sarkozy qu’il aura affaire, François Pérol. Et cela se passera exactement comme Alain Minc le lui avait par avance suggéré : faute d’avoir appelé à ses côtés un inspecteur des finances, c’est ledit inspecteur des finances qui lui a finalement piqué sa place.

C’est cette seconde partie de l’histoire que Bernard Comolet raconte ensuite au policier, qui l’interroge pour savoir comment il a su que François Pérol serait le futur président de BPCE. « C’est le président de la République lui-même qui me l’a appris et je vais vous dire dans quelles conditions », raconte-t-il.

Bernard Comolet se lance alors dans un long récit, au cours duquel on a tôt fait de comprendre que tout a été organisé à l’Élysée : « Quelques jours avant le samedi 21 février 2009, j'avais été prévenu que François Pérol nous donnait rendez-vous à M. Dupont [le patron des Banques populaires] et à moi, à l’Élysée pour rencontrer le président de la République, ce samedi matin précisément à 11 h 45. À cette occasion le président de la République, Nicolas Sarkozy, nous a indiqué qu'il savait qu'on avait besoin de 5 milliards d’euros et que l’État avait pris la décision de les mettre à notre disposition. À cette réunion il y avait Pérol, Guéant, Dupont, le Président et moi. Le Président est ensuite entré dans les modalités selon lesquelles cette intervention pouvait avoir lieu, c'est-à-dire un prêt convertible en actions dans un délai de 3 à 5 années si des critères fixés dans un MOU (Mémorandum of Understanding) n'étaient pas respectés (conditions de remboursement). Il était précisé par M. Sarkozy que le prêt de 5 milliards d’euros ne serait attribué qu'à l'organe central une fois la fusion Banques populaires et Caisses d’épargne réalisée. »

Et le banquier poursuit : « Le président de la République nous indiquait ensuite, en rappelant que l’État prêtait 5 milliards, qu'il entendait que François Pérol dont il dressait le meilleur tableau, soit proposé comme futur directeur général exécutif du nouvel ensemble. Il nous a indiqué ensuite que le président du nouvel ensemble serait issu des Banques populaires et j'en ai conclu que c'était soit Dupont président du conseil d'administration avec Pérol directeur général, soit Pérol président du directoire et Dupont président du conseil de surveillance. »

En quelque sorte, Bernard Comolet raconte dans quelles conditions il a été prestement débarqué au cours d’une réunion à l’Élysée. Sans que les instances statutaires de la banque n’aient été réunies. Sans que le ministère des finances n’ait été associé en quoi que ce soit à la décision. Le fait du prince, ou un coup de force, comme on voudra…

Visiblement, le chef de l’État a transgressé toutes les procédures et il a congédié le banquier sans même se montrer courtois. « [Nicolas Sarkozy], conclut Bernard Comolet, a indiqué enfin que je devrais traiter avec François Pérol de mon rôle et de ma place dans le futur groupe. Cette annonce était sans appel et m'a été présentée comme une décision. À la fin de cette annonce, le Président s'est excusé du fait de ses occupations et nous a demandé d'en mettre en œuvre les modalités avec François Pérol, dont il disait regretter de devoir se séparer à l’Élysée. Puis il a quitté la salle de réunion. »

En clair, rien ne se passe normalement : Bernard Comolet est démis de ses fonctions, sans que les procédures légales ne soient respectées ; et François Pérol est intronisé patron de la nouvelle entité fusionnée de la même manière.

Et la fin de la réunion se déroule dans des conditions, pour anecdotiques qu’elles soient, qui révèlent les mœurs du capitalisme français de connivence : « La réunion étant dès lors terminée, François Pérol nous a proposé à Philippe Dupont et à moi-même de déjeuner dans un petit restaurant de la rue Gay-Lussac, proche de son domicile. C'était un repas convivial, où il s'est comporté avec moi comme un "patron souriant". Je me souviens qu'on a parlé au déjeuner de mon conseil en communication, conseil que j'ai indiqué ne pas avoir. Selon lui, c'était regrettable, me précisant qu'il avait Anne Méaux, d’Image 7 ; Dupont à son tour précisait avoir Stéphane Fouks, d'Euro-RSCG, comme conseil. »

Bref, l’affaire présente l’immense intérêt de révéler tous les codes du capitalisme de connivence à la française. Un capitalisme qui fait une grande place aux réseaux d’influence et qui tolère d’étranges mélanges des genres entre affaires publiques et intérêt privés, sans que cela ne soit jamais sanctionné.

Mais, pour une fois, la règle de l’impunité risque d’être battue en brèche : renvoyé devant un tribunal correctionnel, François Pérol y sera jugé des chefs de prise illégale d’intérêt. Dans le capitalisme de la barbichette qui est une marque française, c’est un dénouement peu fréquent.

Pour mémoire, on peut aussi se référer ci-dessous à l'« édito vidéo » que Mediapart avait mis en ligne dès le 19 mars 2009, et qui résumait à grands traits pourquoi ce « pantouflage » hors norme faisait débat :

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Evasion fiscale : le parlement européen ménage Juncker

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Jean-Claude Juncker peut respirer. Il n'y aura pas de commission d'enquête lancée au parlement de Strasbourg en réponse aux « LuxLeaks », ces révélations sur l'ampleur de l'optimisation fiscale pratiquée par le Luxembourg au bénéfice de multinationales, du temps où l'actuel patron de la commission dirigeait le Grand-Duché. Une majorité des présidents des groupes politiques du parlement ont pris la décision, à l'issue d'une réunion jeudi, de soumettre au vote des eurodéputés la création d'une simple « commission spéciale » dont les pouvoirs d'enquête seront limités.

« (Ils) ont décidé de bloquer la proposition pour des raisons strictement politiques », a réagi Philippe Lamberts, le patron du groupe des Verts au parlement. « Les masques sont tombés. Martin Schulz (le président du parlement, ndlr) et les présidents de groupe ont multiplié les manœuvres pour empêcher la commission d'enquête d'aboutir », renchérit l'eurodéputée écolo Eva Joly. Les Verts bataillaient depuis la fin d'année dernière, avec le soutien de la GUE (gauche unitaire, dont le Front de gauche) pour la création d'une commission d'enquête. Fin janvier, ils étaient parvenus à trouver le soutien du quart des élus du parlement, un seuil nécessaire pour valider la création de cette commission d'enquête (voir sous l'onglet Prolonger le détail des signataires).

© EU2014 - European Parliament.© EU2014 - European Parliament.

Mais pour que la commission d'enquête tant désirée voie le jour, les Verts devaient franchir une dernière étape : faire valider ce projet par les présidents de groupe, pour l'inscrire à l'agenda de la prochaine séance plénière à Strasbourg. L'affaire s'était compliquée depuis le début de semaine, avec la publication d'un avis négatif des services juridiques de l'institution. D'après ces experts, le mandat de cette future commission était mal rédigé, notamment parce qu'il ne fournit pas « suffisamment d'éléments qui permettraient d'identifier clairement les infractions et les cas de mauvaise administration allégués, ainsi que les États ou les entités considérés comme responsables ».

Dans la précipitation, mercredi, le groupe des Verts a transmis une nouvelle proposition de mandat. Mais Martin Schulz, un social-démocrate allemand à la tête du parlement européen, s'est appuyé sur ce vice de forme jeudi, pour reclasser la commission d'enquête en simple « commission spéciale » (télécharger ici son mandat). Pour Philippe Lamberts, l'avis juridique du parlement n'étant pas contraignant, Martin Schulz pouvait tout à fait « passer outre, vue l'importance du sujet », mais il n'en a pas eu « la volonté politique ». « L'Europe donne l'impression qu'elle a des choses à cacher. Ce n'est absolument pas un bon signal », regrette l'eurodéputé Hugues Bayet, un socialiste belge qui soutenait, lui aussi, l'initiative. De son côté, Martin Schulz fait valoir que les Verts peuvent tout à fait, s'ils le souhaitent, relancer la procédure de collectes de signatures autour d'un nouveau texte.

Quelle différence entre les deux types de commissions ? D'après le groupe des Verts, seule la commission d'enquête – celle qui a été écartée – peut exiger aux États membres de lui communiquer des documents administratifs confidentiels. Mais d'autres élus restent dubitatifs sur les compétences d'une commission parlementaire, quelle qu'elle soit : « Les Verts prennent leurs désirs pour des réalités. Nous ne sommes pas le congrès des États-Unis. Déjà, au sein de la commission des affaires économiques du parlement, on a du mal à faire venir des ministres des finances, on ne peut que les inviter, pas les obliger à venir », rappelle Sylvie Goulard, eurodéputée UDI-Modem.

Cette commission « spéciale », aux contours encore flous, est sur le papier une réponse tout de même plus ambitieuse aux « LuxLeaks » que les deux rapports sur l'« équité fiscale » mis en route en fin d'année dernière. Son mandat sera large, c'est-à-dire qu'elle ne s'intéressera pas seulement au Luxembourg, mais à tous les États membres susceptibles d'avoir observé ce genre de pratiques, par exemple les Pays-Bas ou la Belgique. Elle devrait aussi permettre au parlement d'exercer une forme de pression politique sur la commission européenne au fil des mois, pour s'assurer que l'exécutif européen – qui a le monopole de l'initiative – dépose des textes en temps et en heure sur le sujet.

Parallèlement, les Verts soutiennent aussi officieusement la pétition qui a été lancée pour que le Luxembourg abandonne les poursuites contre Antoine Deltour, le lanceur d’alerte à l’origine de la fuite des documents. Deltour est inculpé au Luxembourg depuis deux mois, notamment pour vol, violation du secret professionnel et des affaires. Il assume et s’est expliqué dans deux interviews, à Libération et France 2. Il risque jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et une très lourde amende.

Pour l'heure, c'est du côté de la commission européenne qu'on s'active fortement sur la question des « rulings », ces accords sur la fiscalité passés entre certains États et des entreprises étrangères. L'institution ouvre même de nouveaux fronts, ce qui ne devrait pas manquer de satisfaire certains eurodéputés. Dernier fer au feu : la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager vient d’annoncer qu’elle ouvrait une enquête sur les conditions très favorables que la Belgique réserve aux multinationales. Elle s’intéresse à un système inconnu jusqu’à des révélations de presse en décembre et janvier, dit des « bénéfices excédentaires ».

Ce curieux montage fiscal permet aux filiales belges de grands groupes internationaux de prétendre qu’une partie des bénéfices qu’elles réalisent en Belgique ne doivent pas être taxés sur place, parce qu’ils sont censés provenir exclusivement de leur appartenance à un grand groupe mondial. Par exemple, la recherche, les économies d’échelle ou la réputation, notions bien floues. La réduction des profits taxables en Belgique pour ces entreprises doit être validée par un « ruling » de l’administration fiscale.

Dans un long document à destination des investisseurs étrangers, qui a fuité dans la presse, le fisc belge se vante d’offrir de multiples moyens pour qu’une entreprise diminue ses impôts. Les bénéfices excédentaires, qualifiés « d’outil puissant » permettant d’atteindre un « faible niveau d’imposition réel », y figurent en bonne place. Selon Le Soir, ce système adopté en 2004 s’appliquerait à une soixantaine de sociétés. Le seul dont les détails sont connus concerne la filiale de British American Tobacco, qui a obtenu une réduction de… 92 % de son bénéfice taxable !

© EC/Berlaymont

En annonçant l'ouverture de l'enquête, Margrethe Vestager a reconnu avoir découvert cette disposition dans les journaux. « Si nos craintes étaient confirmées, ce système généralisé constituerait une distorsion grave de la concurrence, favorisant indûment un nombre limité d’entreprises multinationales », a-t-elle déclaré. Les commentaires accompagnant le lancement de l’enquête sont assassins, la commission craignant « une surévaluation importante des avantages réels que procure l’appartenance à un groupe multinational » et soulignant que « de telles décisions anticipées sont souvent prises en faveur d’entreprises ayant relocalisé une part considérable de leurs activités en Belgique ». Autrement dit, la Belgique aurait accordé ses faveurs de façon intéressée.

Cette enquête est une première : jusqu’à présent, la commission avait lancé des investigations sur des accords précis entre un État et une entreprise, mais pas sur un ensemble de pratiques. C'est un signal de plus montrant que Bruxelles est décidé à bousculer le paysage fiscal en Europe. Quitte à contourner le conseil européen, où siègent les 28 États membres, et où les règles de fiscalité sont très difficiles à transformer, car les décisions doivent être prises à l’unanimité. En juin 2013, la commission avait déjà demandé un aperçu des « rulings » accordés par six États membres (Pays-Bas, Luxembourg, Irlande, Royaume-Uni, Chypre et Malte). Un an et demi plus tard, Margrethe Vestager élargissait la demande à l’ensemble des États membres. Le scandale « LuxLeaks » était passé par là.

La commission européenne compte aussi proposer dans les prochaines semaines une directive obligeant tous les États européens à échanger des informations sur les « rulings » fiscaux qu’ils accordent, si ceux-ci concernent une entreprise également installée dans un autre pays. La mesure est poussée officiellement par la France, l’Allemagne et l’Italie, et devrait être mise en musique par le commissaire à l’économie Pierre Moscovici, qui s’y est engagé début décembre.

C’est le président de la commission Jean-Claude Juncker lui-même qui a annoncé cette initiative, au sommet du G20 de novembre en Australie. Mais en faisant mine qu’il prenait l’initiative, il tentait peut-être de faire oublier que cette mesure serait de toute façon mise en place dans les années à venir, même sans Bruxelles. Car durant la réunion de novembre, les chefs d’État du G20 ont justement soutenu officiellement le plan d’action élaboré par l’OCDE pour empêcher « l’optimisation fiscale agressive » des multinationales. Un des piliers de ce plan, qui devrait être adopté d’ici fin 2015, est l’échange automatique d’informations sur les « rulings » fiscaux.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Les mésaventures d’une PME dépecée par des fonds vautours

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C’est une histoire très révélatrice des mœurs financières de certains fonds d’investissement : une grosse PME de la Sarthe, FPEE, est en passe d’être dépecée et sa direction décapitée par trois fonds financiers qui se comportent comme de véritables fonds vautours. Leur seul souci : faire « cracher » à leur profit le plus d’argent possible, quand bien même cela pourrait gravement déstabiliser l’entreprise.

L’histoire est même doublement révélatrice. D’abord parce que deux de ces fonds d’investissement ont déjà été mis en cause dans des jongleries financières, comme l’avaient révélé plusieurs enquêtes de Mediapart. Ils n’ont depuis jamais été rappelés à l’ordre ni sanctionnés. Cette nouvelle affaire vient donc éclairer l’absence quasi totale de régulation dans le secteur souvent opaque dit du « private equity », c’est-à-dire dans le secteur de l’investissement dans les entreprises non cotées. Ensuite parce que l’un de ces fonds est une filiale du géant Natixis, filiale de BPCE, ce qui donne du même coup une portée nationale à l’affaire. Qu'en pensent Laurent Mignon, le patron de Natixis, et François Pérol, le président de la banque BPCE ? Ignorent-ils les pratiques financières qui ont cours dans leur groupe ? Ou bien, les connaissent-ils et ont-ils laissé faire ?

L'histoire de FPEE est une belle aventure industrielle : créée en 1982 par un dénommé Marc Ettienne, l’entreprise, qui est spécialisée dans la menuiserie industrielle sur mesure et notamment les fenêtres en PVC, a grossi au fil des ans, au point d’englober 7 sociétés, d'employer 650 salariés répartis sur cinq sites de production, dont le principal est à Brûlon, dans la Sarthe, et de réaliser bon an mal an un chiffre d’affaires proche de 150 millions d’euros.

Dans la Sarthe, Marc Ettienne a souvent été cité en exemple comme un industriel qui a réussi, même s’il a pris désormais un peu de recul, abandonnant la présidence exécutive de la société à une jeune femme, Cécile Sanz, depuis de longues années dans l’entreprise, et ne gardant que la présidence de la holding de tête, la société Fenetria. Sa notoriété locale lui a ainsi valu de recevoir la Légion d’honneur, en février 2008, des mains du premier ministre de l’époque, François Fillon, originaire lui aussi de la Sarthe.

Mais progressivement, la société a basculé dans un autre univers, où les logiques industrielles ne comptent pas pour grand-chose et les logiques financières pour beaucoup. Marc Ettienne a en effet accepté une recomposition du capital de la société qu’il avait fondée. Ne gardant plus que 30 % de celui-ci, il a fait entrer au tour de table trois fonds d’investissement, contrôlant les 70 % restants, soit 40 % des parts détenues par les fonds revenant à une société dénommée Atria, rebaptisée Naxicap depuis son absorption par Natixis ; 40 % revenant à un fonds dénommé Pragma et 20 % au fonds Equistone, l’ancienne société de gestion de la Barclay’s dans le « private equity », dénommée Barclays Private Equity.

Cette restructuration du capital s’est faite progressivement. D’abord Atria (qui se rebaptisera donc plus tard Naxicap) entre au capital de FPEE en 2003, suivie par les deux autres fonds en 2008. Au début donc, le fondateur de l’entreprise peut penser que cette alliance avec les fonds d'investissement est bénéfique pour tout le monde. Pour l’entreprise qui est en fort développement, mais tout autant pour les trois fonds d’investissement, qui grâce à leur mise dans FPEE gagnent énormément d’argent.

Mais à l’évidence, les fonds sont insatiables et l’argent qu’ils gagnent ne leur suffit pas. Les trois fonds ont, au début de l’année 2014, une idée : organiser ce que dans le sabir financier anglo-saxon on appelle un « dividend recap » ou « dividend recapitalization » (ici la définition en anglais sur Wikipedia). En résumé, il s’agit d’une opération financière passablement tordue visant à endetter l’entreprise pour offrir sur-le-champ de gros dividendes aux actionnaires, sans attendre les dividendes qui pourraient leur être servis annuellement en fonction des résultats financiers de l’entreprise.

La pratique est-elle légale ? Selon les juristes consultés par Mediapart, sans doute l’est-elle si la saignée financière reste dans la limite de l’intérêt social de l’entreprise, car sinon il peut s'agir d'abus de pouvoirs sociaux, ce que la loi réprime. Et dans tous les cas de figure, c’est une pratique éthiquement stupéfiante, car cela met un pistolet financier sur la tempe des entreprises concernées, les contraignant à préempter pendant de longues années tous les bénéfices à venir pour rembourser une dette qui est devenue insupportable.

Or, dans le cas présent, ce qui saute aux yeux, c’est que précisément l’opération de « dividend recap » voulue par les trois fonds et organisée par une banques d’affaires, la banque Lazard et un cabinet d'avocats Mayer Brown, porte sur un montant absolument considérable, compte tenu de la taille de la société, comme en atteste le document ci-dessous, extrait d'un document établi par Mayer Brown :

                                          (Cliquer sur le tableau pour l'agrandir)

Ce tableau réalisé par Mayer Brown résume l’opération. Celle-ci vise à faire contracter un emprunt de 200 millions d’euros à l’entreprise, somme qui serait utilisée pour rembourser 67,1 millions d’euros de dette antérieurement contractée et pour servir sur-le-champ aux actionnaires un dividende de 132,9 millions d’euros. Alors que le contexte économique est désastreux, c’est donc une ponction que veulent mettre en chantier les trois fonds, puisque les 132,9 millions d’euros ainsi dégagés ne serviraient pas à l’entreprise pour leur racheter leurs titres. Non ! En termes d’actionnariat, l’opération serait neutre : pour les actionnaires, ce serait donc le jackpot immédiat ! C'est la nouvelle mode qui fait fureur dans le « private equity » : endetter les entreprises pour apporter tout de suite du… « cash » aux actionnaires. Aux goinfres, aurait-on envie de dire…

Comme nous l’a fait observer un banquier d’affaires, la formulation de « dividend recap », qui a cours dans ces milieux, est donc en fait inappropriée. Il s’agit plutôt d’une « decap » : une décapitalisation, ou si l’on préfère un brutal appauvrissement de l’entreprise.

Cécile Sanz et Marc Ettienne trouvent le projet contestable. Un premier « dividend recap » a en effet déjà été organisé en 2011 pour 119 millions d’euros ; et ils jugent injustifiable de ponctionner l’entreprise encore davantage. De surcroît, sur une longue période, les trois fonds ont gagné encore plus d’argent.

D’abord, Atria/Naxicap, qui est entré au capital de FPEE plus tôt que ses deux alliés, a gagné pas loin de six fois sa mise initiale de 2003 à 2010 : la société a apporté 12 millions d’euros à FPEE au début et est ressorti de la société avec un pactole de 60 millions. Une formidable culbute, donc. Et quand Atria, associé aux deux autres fonds, a aussitôt réinvesti en 2010, l’affaire a été tout aussi rémunératrice : Atria a apporté 30 millions d’euros, Pragma également 30 millions d’euros, Equistone 20 millions d’euros. Et moins de dix-huit mois plus tard, les trois fonds avaient déjà récupéré presque les deux tiers de leur mise, soit pas loin de 60 millions d’euros. Autrement dit, sur une petite décennie, les trois fonds ont déjà siphonné pas loin de 110 millions d’euros sur l’entreprise, avant même qu’ils n’envisagent de la rétrocéder. Et de faire une nouvelle culbute…

Dès lors, qu’ils envisagent par surcroît de faire cette nouvelle opération de « dividend recap », devant leur rapporter de l’ordre de 80 millions d’euros complémentaires, c’était à l’évidence pousser le bouchon bien loin. Dans un document confidentiel établi par la banque Lazard pour préparer le projet, que l'on peut consulter ci-dessous, la mise en garde était consignée noir sur blanc.

                                  (Cliquer sur le document pour l'agrandir)

« This would push FPEE's leverage well beyond historical levels and would require management to be confortable with this level », peut-on lire. Traduction : cette opération va faire basculer l'entreprise dans des niveaux d'endettement très au-delà de ses records et n'est donc envisageable que si le management de l'entreprise est d'accord avec cela.

Or, précisément, cela ne va pas être le cas, tout au contraire. Quand en avril 2014 les trois fonds demandent à la nouvelle patronne de PFEE, Cécile Sanz, de mettre en œuvre l'opération financière, celle-ci refuse de suivre l’injonction, estimant qu’elle plongerait l’entreprise dans une situation d’endettement trop dangereuse. La décision est courageuse car la jeune femme – qui n’a pas souhaité répondre à nos questions – n’ignore pas que son poste de PDG, c’est à ses actionnaires qu’elle le doit, et donc aux trois fonds, qui sont majoritaires. Pourtant, elle tient bon, et elle reçoit le soutien du fondateur de la société, Marc Ettienne, qui s’oppose à son tour fermement au projet. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas si fréquent dans la vie des affaires. Car le projet est ainsi monté que, contrôlant encore 30 % du capital de l’entreprise, il pourrait lui aussi réaliser une formidable culbute, en empochant pas loin de 35 millions d’euros de dividendes. Inespéré, non ? Quel patron refuserait, en période de crise économique, d’empocher un tel montant ?

Pour Marc Ettienne, c’est hors de question, et il s’indigne encore qu’on ait pu inventer un tel projet. « Je ne peux tout de même pas faire bosser des gens à 1 500 euros par mois et me prendre un chèque pareil ! », raconte-t-il à Mediapart.

Selon de très bonnes sources, les trois fonds sont alors furieux et somment Cécile Sanz de leur faire une proposition alternative. Peine perdue ! Cherchant une issue qui puisse satisfaire les fonds, le management travaille à une solution de rachat de l’entreprise, mais l’offre qu’il est capable de faire est jugée décidément trop faible par les trois fonds d’investissement.

Au terme de longs allers et retours, c’est finalement le coup de massue imprévu ! Au beau milieu de la nuit du dimanche 1er au lundi 2 février, vers 0 h 30, les dirigeants des trois fonds adressent par mail à Cécile Sanz et Marc Ettienne une convocation à une réunion du conseil de surveillance de Fenetria, qui doit se tenir le jour même, à 12 heures, à Paris. Ordre du jour de la réunion : « Révocation de M. Marc Ettienne, en qualité de président de la société Fenetria (…) ; autorisation donnée au comité de surveillance de la société Financière FPEE de révoquer Mme Cécile Sanz, en qualité de président (sic !) de la société financière FPEE. »

Quand il reçoit ce mail, Marc Ettienne en tombe à la renverse. De passage à Saint-Malo, cette nuit-là, il n’a pas même le temps de rassembler ses affaires pour aller aussitôt à Paris. Il demande donc, comme Cécile Sanz, un report du conseil, d’au moins une journée. Mais les fonds, qui veulent toutes affaires cessantes installer une nouvelle direction pour mettre au point leur « dividend recap » ne souhaitent pas en entendre parler. À la hussarde, ils tiennent donc leur réunion et démettent de leurs fonctions les deux impertinents qui ont eu l’audace de se mettre en travers de leur lucratif projet. Et dans la foulée, ils installent un nouveau PDG, un dénommé Olivier de La Morinière.

Que vient donc faire cet Olivier de La Morinière dans cette galère ? Ancien PDG de Fraikin, un leader européen de la location de véhicules industriels, utilitaires et commerciaux, il a été, voici bientôt deux ans, brutalement évincé par l’actionnaire de l’entreprise, le fonds d’investissement britannique CVC Parners. Motif, le PDG refusait de faire ce que lui sommait son actionnaire, qu’il jugeait un tantinet trop rapace : creuser brutalement… l’endettement de l’entreprise. Monde impitoyable que celui du « private equity » : voici donc Olivier de La Morinière enrôlé à FPEE pour faire, sans trop de scrupules, ce qu’il avait refusé d’appliquer… dans son poste précédent !

 

Mais de leurs bureaux parisiens, ce que les trois fonds apprécient sans doute mal, c’est que l’éviction brutale du fondateur et de la patronne de l’entreprise suscitent dans la Sarthe un traumatisme, d’abord auprès des salariés de l’entreprise, qui ignoraient tout de leurs appétits financiers, mais aussi auprès des clients de l’entreprise et des réseaux de distribution ou encore des élus locaux.

Le vendredi 6 février, la nouvelle fait ainsi la « manchette » du Maine-Libre et une page entière. Le journal régional y donne la parole à des salariés traumatisés mais aussi au maire de la localité, Brûlon, qui dit sa stupéfaction : « Les salariés sont détruits ! »

Partout, l’indignation prend forme. Et dans la communauté de l’entreprise, des initiatives sont évoquées pour ramener les fonds d'investissement à la raison. D’après nos informations, François Pérol, patron de BPCE, et Laurent Mignon, patron de Natixis – les deux maisons mères de Naxicap –, ont même été saisis de la situation dramatique dans laquelle se trouve l’entreprise, du fait de ses actionnaires. Dans le réseau des distributeurs qui commercialisent les produits FPEE, notamment un réseau connu, Art et fenêtres, c’est aussi l’émotion : de nombreux responsables auraient décidé de faire front pour manifester leur solidarité à l’égard des dirigeants mis à pied de l’entreprise et des salariés. Des initiatives multiples étaient à l’étude, promettant un début de semaine agitée.

Deux de ces fonds au moins, Atria/Naxicap et Pragma, ont déjà dans un passé récent défrayé la chronique financière. Mediapart s’en était fait l’écho dans des articles qui avaient fait beaucoup de bruit dans le microcosme du « private equity ». Et si ces deux fonds avaient fait l’objet de controverses, c’est à cause de jongleries financières qu’ils avaient réalisées au détriment d’une société dénommée… FPEE !

Cette histoire que nous venons de retracer, nous en avions déjà raconté les premiers balbutiements, que l’on peut retrouver ici, dans ces différentes enquêtes :

Nous racontions dans quelles conditions Atria avait reclassé d’un premier fonds détenu par lui, dénommé APEF1, vers un autre fonds lui appartenant également, dénommé APEF3, ses parts dans FPEE. Or ce type d’opération de reclassement, qui peut générer une forte plus-value, n’est autorisée que si l’opération de rachat par le deuxième acquéreur ne se fait pas à un prix excessif, qui puisse nuire à un actionnaire minoritaire de ce même fonds acquéreur. En quelque sorte, en association avec un investisseur tiers supposé indépendant, Atria s'est vendu à lui-même sa participation dans FPEE, et c'est cette opération qui est à l'origine de la première plus-value du fonds dont nous parlions tout à l'heure, Atria apportant 12 millions d'euros en 2003, lors de son entrée dans FPEE, et sortant du capital en 2010 avec 60 millions en poche.

Or, un fonds dénommé Massena, détenant des parts dans le fonds APEF3, avait précisément fait grief à Atria de se vendre à lui-même à un prix trop élevé l’actif qu’il détenait dans APEF1 et de réaliser ainsi une considérable plus-value, en partie sur le dos des actionnaires minoritaires de APEF3. Atria avait répliqué à ces critiques, faisant valoir que la loi autorise ce genre d’opération à la condition qu’un investisseur tiers indépendant participe au rachat de l’actif. De la sorte, cela donne l’assurance que l'opération ne se fait pas à un prix surévalué. Ce qui était précisément la procédure qu’avait choisie Atria.

Mediapart a révélé à l'époque l’entourloupe : l’investisseur tiers qui avait participé au rachat des parts de FPEE aux côtés du fonds APEF3, et supposé garantir la sincérité du prix détenu par Atria, avait été secrètement intéressé au « carried interest » obtenu par le fonds vendeur APEF1, détenu par Atria. Le « carried interest », c’est le mode de rémunération des sociétés de gestion qui s'occupent des avoirs financiers que des investisseurs leur confient pour investir dans des PME. En règle générale, le « carried interest » est équivalent à près de 20 % des plus-values que les sociétés de gestion font réaliser aux investisseurs qui leur font confiance.

L’entourloupe avait révélé au grand jour l’absence totale de régulation encadrant l’activité des sociétés de gestion. L’autorité des marchés financiers (AMF) a en effet délégué à l’Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC – l’association qui regroupe les professionnels du secteur) le soin de s’autoréguler. Résultat : dans un premier temps, c’est la société de gestion qui avait dénoncé les turpitudes de ses homologues, Massena, qui avait été sanctionnée par l’Afic, au motif qu'elle aurait donné de la publicité à l'affaire. La loi du milieu en quelque sorte.

Or, quel est l’investisseur tiers qui avait épaulé Atria dans le rachat de FPEE et qui était supposé garantir la sincérité du prix ? Nous y voilà : c’est Pragma, qui avec beaucoup de retard a été traduit devant la commission de discipline de l’Afic. Le même Pragma que l'on retrouve aujourd'hui dans cette affaire de « dividend recap ».

Les jongleries financières actuelles autour de FPEE ne sont donc que le prolongement de celles que nous avions révélées en 2011. Pour la petite histoire, les avocats qui avaient défendu le fonds Massena, victime des agissements d'Atria et de Pragma, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi et Me Alexandre Merveille, sont aujourd'hui les conseils de... Cécile Sanz et Marc Ettienne.

Du début de l'histoire jusqu'à sa fin, rien n'a donc changé. Pourquoi Atria, passé dans l’intervalle sous l’orbite de Natixis, et Pragma se comporteraient-ils différemment, puisque le gendarme des marchés est totalement déficient ? Et pourquoi se montreraient-ils plus respectueux des logiques industrielles, si leurs actionnaires ne les rappellent pas à l’ordre ? Nous avons posé la question à Laurent Mignon, le patron de Natixis, et à François Pérol, le patron de la maison mère, BPCE. Ils nous ont fait savoir que seuls les fonds de gestion seraient habilités à répondre à nos questions ; lesquels fonds n'ont pas souhaité nous répondre dans un premier temps, avant de se raviser deux jours plus tard, et publier un communiqué qui contredit la version que nous donnons de l'histoire (on peut lire sous l'onglet « Prolonger » associé à cet article les questions que nous avons posées à ces différents acteurs de l'histoire et le communiqué publié par les trois fonds deux jours après la mise en ligne de cet article).

Pour l’heure, nul n’a donc jugé utile de rappeler les trois fonds d'investissement à l’ordre. Ils ne connaissent donc toujours qu’une seule loi : la loi de la jungle. Question : qu'en pense le ministre de l'économie Emmanuel Macron qui, pour avoir été associé gérant de la banque Rothschild, connaît les abus fréquents dans ce milieu ?

BOITE NOIREMis en ligne samedi 7 fevrier, cet article a été amendé lundi 9 fevrier, pour intégrer le communiqué publié par les trois fonds.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Les Européens jouent l'escalade face à la Grèce

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L’Europe paraît vouloir faire plier le gouvernement grec dans les plus brefs délais. Elle vient d’adresser à la Grèce de nouveaux ultimatums, après celui lancé par la Banque centrale européenne (BCE) mercredi 4 février. Avant la tenue du sommet européen, prévu mercredi prochain, où Alexis Tsipras doit faire sa première apparition, les responsables européens ont annoncé vendredi 6 février une réunion exceptionnelle des ministres européens des finances afin d’arrêter leur position sur la Grèce. Elle aura lieu le 11 février, soit la veille du sommet européen. « Le gouvernement grec doit remettre son plan d’ici au 11 février », a exigé l’Eurogroup. Cela donne moins de six jours au gouvernement grec pour établir un plan de redressement.

Irritée par la tournée européenne des responsables de Syriza, qui ont tenté pendant toute la semaine de plaider leur cause dans d’autres capitales, l’Allemagne a réagi très vite. Afin de prouver qu'elle n'est pas isolée dans la gestion du dossier grec, l'Allemagne espère obtenir un alignement total des autres capitales sur sa position, lors de cette réunion. 

Wolfgang Schaüble et Yanis Varoufakis le 5 févrierWolfgang Schaüble et Yanis Varoufakis le 5 février © Reuters

Tout de suite après l’annonce de cette rencontre imprévue, le ministre italien des finances, Pier Carlo Padoan, a déclaré que les ministres de l’Eurogroup se fixaient comme but d’arrêter une « position unifiée » sur la Grèce. Le gouvernement français, qui avait semblé un moment vouloir se poser en négociateur entre la Grèce et l’Allemagne, paraît avoir par avance renoncé à sa prétention, au nom de l’amitié franco-allemande. « C’est la Grèce contre tous les autres, 18 contre 1 », a déclaré à Reuters un conseiller européen assistant aux réunions préparatoires.  

Pour accentuer la pression, le président de l’Eurogroup, Jeroen Dijsselbloem, a annoncé, quelques minutes avant la clôture des marchés internationaux pendant le week-end, que l’Europe donnait à la Grèce jusqu’au 16 février pour obtenir une extension de son plan de sauvetage. « Le temps sera très court si la Grèce ne demande pas l’extension du plan de sauvetage », a insisté le président de l’Eurogroup, encore humilié par son voyage à Athènes le 30 janvier. Il justifie ce délai aussi court par la nécessité de faire approuver l’extension de ce plan par les parlements de certains pays. Il faut savoir respecter le formalisme démocratique, à défaut de son essence.

Accepter l’extension du plan de sauvetage, c’est souscrire sans conditions aux mesures de rigueur, aux réformes imposées par ce plan, c’est revoir la troïka revenir à Athènes et contrôler toutes les décisions du gouvernement, mettre son veto quand les dispositions ne lui conviennent pas. C'est donc l’inverse de tous les engagements pris par Syriza pendant sa campagne. Le gouvernement grec a déjà indiqué qu’il refusait de céder. Des milliers de manifestants ont défilé jeudi à Athènes pour apporter leur soutien au nouveau gouvernement, lui demandant de ne pas plier face au coup d’État financier enclenché par la BCE.

Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement grec a fait savoir qu’il mettait un terme à ce plan de sauvetage et refusait les crédits qui allaient avec. « La Grèce ne demande pas le versement des tranches restantes du plan de sauvetage en cours, à l’exception du 1,9 milliard d’euros que la BCE et les États membres de l’Union européenne doivent lui reverser », a déclaré le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis.

Lors de leurs rencontres européennes, les responsables grecs ont plaidé pour obtenir du temps et un crédit relais pour renégocier le sauvetage de la Grèce, mettre en place de véritables réformes, notamment sur la lutte contre l’évasion fiscale, et pour construire enfin un État moderne digne de ce nom. Ils demandent aussi une révision de l’excédent budgétaire fixé aujourd’hui à 4,5 % du PIB, pour permettre le remboursement des dettes du pays, et de le ramener à 1,5 %, afin de regagner des marges de manœuvre permettant de financer des mesures sociales et de soutien à l’économie. Les Européens ont décidé de lui refuser ce délai, et exigent une soumission à leur politique. 

« Notre élection ne vous fait pas plaisir, mais utilisez-nous », a plaidé Yanis Varoufakis face au ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, totalement fermé. Le désaccord est si grand que le ministre grec a défié le ministre allemand, estimant qu’« ils n’étaient même pas d’accord sur leur désaccord ». Pour montrer que le dialogue est totalement inutile, le ministre allemand a refusé que le ministre britannique des finances, George Osborne, donne son numéro de portable au ministre grec, selon la presse britannique.

La BCE vient prêter main-forte aux Européens dans cette stratégie d’étranglement financier. Deux jours après lui avoir retiré un de ses principaux canaux de financement, la Banque centrale a refusé vendredi la demande du gouvernement grec d’émettre 5 milliards d’euros de dettes à court terme. Syriza ne cache pas que la situation financière de la Grèce est extrêmement tendue, alors que les rentrées fiscales ne sont pas au rendez-vous et que la fuite des capitaux s’accélère. De 8 à 10 milliards d’euros ont été retirés des comptes bancaires en janvier, selon les autorités grecques. Les retraits se sont sans doute accélérés depuis la décision de la BCE, mercredi, de ne plus accepter en garantie les titres de dette grecs.

Le premier ministre grec Alexis Tsipras le 5 février Le premier ministre grec Alexis Tsipras le 5 février © Reuters

« La Grèce a besoin de 4 à 5 milliards d'euros jusqu’en juin, le temps de négocier un nouvel accord avec ses créanciers », a expliqué le ministre grec de l’économie, Georges Stathakis, au Wall Street Journal. Il dit espérer que la raison l’emportera. « Si ce n’est pas le cas, la Grèce sera le premier pays à faire faillite pour 5 milliards d’euros », conclut-il, laissant entendre que le gouvernement est prêt à aller jusqu’au bout de l’épreuve de force. 

Les financiers, qui jusque-là ont assisté en tant que spectateurs aux scènes européennes, commencent à s’alarmer de la situation et en tirent les premières conclusions. Vendredi après-midi, Standard & Poor’s a abaissé la note de la Grèce de B à B-, avec surveillance négative. « Le temps dont dispose le nouveau gouvernement grec pour trouver un accord avec ses créanciers sur un refinancement de sa dette s'est réduit en raison de contraintes de liquidités », explique l’agence de notation. Évoquant les incertitudes qui entourent la Grèce, la menace des retraits bancaires, Standard & Poor’s souligne le risque grandissant de voir la Grèce sortir de la zone euro.

De son côté, Moody’s a placé la dette grecque sous surveillance négative et menace de la dégrader. L’agence estime qu’une « grande incertitude pèse sur l’issue des négociations entre la Grèce et ses créanciers. Le résultat pourrait avoir des implications négatives sur la capacité de la Grèce de se financer », accentuant les risques de faillite.

Avant même les élections grecques, le gouvernement allemand, par une fuite soigneusement organisée dans le Spiegel, avait fait savoir qu’une sortie de la Grèce de la zone euro était une hypothèse qui ne lui faisait plus peur. Pour Berlin, cette exclusion d’Athènes serait bien moins dommageable qu’en 2012. Le président du mécanisme européen de stabilité, Klaus Regling, conforte cette idée dans un entretien publié vendredi par la Nikkei Asian Review. Tout en se disant prêt à travailler avec le gouvernement grec, il souligne que s’il n’y a pas d’accord, le gouvernement grec n’aura plus de financement. « Nous sommes maintenant bien mieux préparés pour faire face à quelque crise qui survienne », avertit-il, soulignant ainsi que la sortie de l’euro ne lui fait pas peur.

Des centaines de scénarios ont été construits ces dernières années pour imaginer ce qu’il pourrait advenir en cas de sortie d’un pays de la zone euro. Certains prédisent le pire, pour le pays sortant au moins dans un premier temps, mais aussi pour le reste de la zone euro. Par effet de domino, les pays les plus vulnérables seraient poussés à sortir les uns après les autres, pensent-ils, et la zone euro éclaterait. D’autres, au contraire, assurent que la situation pourrait être tout à fait gérable, sans grande conséquence sur la zone euro, renforçant au contraire la cohésion de l’ensemble. C’est manifestement le scénario que l’Allemagne retient. Mais, dans les faits, personne ne sait ce qu’il peut advenir.

« La stratégie du bras de fer conduite par l’Allemagne comporte des risques substantiels », prévient le Wall Street Journal. « En plus de provoquer une possible sortie de la Grèce de l’euro, elle comporte des dangers politiques. Beaucoup d’Européens voient déjà l’Allemagne comme le caissier inflexible du continent. Refuser de trouver un compromis avec le nouveau gouvernement grec sur quelques milliards d’euros de plus renforcerait cette image et amènerait Berlin à se voir accusé d’ignorer la situation critique de la Grèce et de s’asseoir sur la démocratie », écrit-il.

Les Européens, n’opposant une nouvelle fois aucune objection publique à la stratégie allemande, pensent qu’ils ont le temps de leur côté. Leur agitation, les chassés-croisés dans les capitales créent un climat de tension extrême. Cette stratégie de l’escalade pourrait entraîner la zone euro à un point de non-retour. Nous y sommes peut-être déjà.

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Incinérateur de Marseille: la facture flambe

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Bonne nouvelle sur le dossier de l'incinérateur de Fos-sur-Mer, qui accueille depuis avril 2010 les 410 000 tonnes de déchets annuels des 18 communes de la communauté urbaine de Marseille. Comme l’ont révélé Les Échos en octobre 2014, le contentieux financier qui oppose depuis 2008 Marseille Provence Métropole (MPM) à Evéré, son délégataire, est en passe d'être réglé. Mauvaise nouvelle, la note s'annonce particulièrement salée.

Selon nos informations, la collectivité pourrait verser près de 220 millions d’euros supplémentaires sur les 20 ans du contrat à la filiale de la multinationale espagnole Urbaser, qui argue de « retards provoqués par les 38 recours juridiques », de « l'état du sol et du sous-sol » et de « changements liés à des réflexions menées avec MPM ». Soit un peu plus que les « 210 millions d'euros actualisés au 31 décembre 2014 » officiellement réclamés par Evéré, selon la collectivité, et pas très loin des 273 millions d'euros sur la durée du contrat, selon l'expertise remise au juge Duchaine dans le cadre de l'affaire Guérini. Le magistrat, aujourd’hui directeur général de l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, soupçonnait un pacte de corruption.

La note devrait être réglée en deux paiements distincts. D’abord, un chèque de 80 à 85 millions d’euros pour solder le contentieux, à prendre sur les budgets fonctionnement et investissement de la collectivité. Ensuite, une augmentation (autour de 7 millions d’euros) de la redevance annuelle versée à Evéré, probablement comblée par une hausse de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, déjà deux fois supérieure à la moyenne nationale à Marseille. Soit environ 140 millions d’euros sur les 20 années du contrat. Cette énième note va gonfler un peu plus la facture totale du « brûle-bordilles » décidé par Jean-Claude Gaudin, le maire UMP de Marseille, du temps de sa présidence de MPM (2001-2008). Son coût a déjà bondi des 280 millions initialement prévus à 411 millions d’euros. Il accumule en outre les ennuis judiciaires : le 4 juillet 2014, le tribunal administratif a annulé le bail à construction et la délégation de service public (DSP) MPM a fait appel. Mais le 22 décembre 2014, la cour administrative d’appel a rejeté le sursis à exécution qu’elle demandait.

D’autant que les négociations, initiées par le socialiste Eugène Caselli peu avant son départ de la présidence de MPM, en avril 2014, qui avait pourtant juré qu’il ne paierait que ce que la justice déciderait, se déroulent dans le plus grand secret. « Le processus de négociation à tiroirs, nécessite, pour être efficace, une totale confidentialité, répond MPM. L’assemblée délibérante sera informée (…) dès lors qu’un accord global aura été trouvé. » Même le tribunal administratif de Marseille, pourtant saisi de trois requêtes et d'une trentaine de dossiers, et qui devra homologuer la transaction pour, selon ses mots, « regarder si la personne publique ne paie pas des sommes indues et ne s'appauvrit pas », assure ne pas être « au courant de négociations en cours ». Comme les élus de MPM, qui pourraient avoir à voter le protocole transactionnel et l’avenant au contrat de DSP avant l’été. « Compte tenu du climat malsain qui entoure ce dossier depuis le début, la moindre des précautions est de ne payer que ce que le tribunal demande », prévient François-Noël Bernardi, ancien président PS de la commission de DSP.

Une méfiance finalement peu partagée. « Ça ne me choque pas, ce genre de choses doivent être faites dans la discrétion pour sortir d’une situation confuse », estime Bernard Jacquier, membre UMP de la commission de DSP de MPM. « Les élus seront informés en bout de course, à un moment », se satisfait de son côté son camarade Albert Lapeyre, le président de la commission propreté développement durable et environnement. Il justifie à sa manière la facture à venir : « On ne peut pas remettre aujourd’hui en cause (l’incinérateur), car ça exploserait nos finances. »

Pas sûr que tout le monde soit aussi compréhensif. Notamment chez les écolos et les élus de l’étang de Berre, qui ferraillent depuis plus de 10 ans contre le brûle-bordilles marseillais installé sur leur territoire. Le protocole transactionnel devrait contenir d'autres douceurs qu’ils vont avoir du mal à avaler. Pour aider Evéré à combler son déficit chronique d'exploitation (une vingtaine de millions par an), MPM planche en effet sur une hypothèse explosive : en plus de l’augmentation de la redevance annuelle, la collectivité envisage d'autoriser la filiale d'Urbaser à aller au bout de ses capacités d’incinération pour accueillir des déchets tiers (ordures ménagères d'autres collectivités et déchets industriels banaux) et des déchets hospitaliers issus d'activités de soins à risques infectieux. À long terme, pourrait même être décidé l’agrandissement de l’incinérateur avec l’ouverture d’une troisième ligne de traitement. « On ne divise pas le montant réclamé par trois sans rien offrir », résume une source.

Contactée, MPM préfère de son côté louvoyer. Sans démentir. « Cette hypothèse ne peut être concrétisée qu’à la suite des accords des communes concernées par la modification de l’équipement et des services de l’État et qu’après démonstration de son efficience financière », explique la collectivité dans un courriel. Contacté, Evéré a de son côté répondu ne pas avoir « de commentaires à faire sur des discussions qui sont en cours ». C’est comme si c’était fait…

Une enquête de Jean-François Poupelin (le Ravi) et Louise Fessard (Mediapart)

BOITE NOIREMediapart s'est associé pour réaliser cette enquête avec le journal satirique de la région PACA, le Ravi. L’association la Tchatche, qui édite ce mensuel, est en redressement judiciaire. Pour que le Ravi redresse les bras, abonnez-vous et participez au Couscous Bang Bang Royal 2015.

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SwissLeaks : le scandale HSBC livre ses secrets au niveau planétaire

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C’est le plus grand déballage bancaire de l’histoire : les données de 106 458 clients ou intermédiaires liés à 59 802 relations bancaires chez HSBC Private Bank entre 2006 et 2007, pour un total de 180 milliards de dollars, sont tombées entre les mains d'un pool de journalistes. Cette masse considérable de documents permet pour la première fois de passer au crible le fonctionnement, les magouilles et les secrets de l’une des plus grandes banques de la planète. Cette fois-ci à l’international, puisque jusqu’ici l’essentiel des révélations avaient été faites sur le volet français du scandale HSBC et sur les listes de contribuables français indélicats dérobées en 2008 par l’informaticien Hervé Falciani à l’origine de la gigantesque fuite. Une affaire qui a valu à la banque d'être mise en examen à Paris en novembre dernier.   

L'infographie réalisée par l'HebdoL'infographie réalisée par l'Hebdo © Hebdo

L’opération SwissLeaks, publiée notamment dans Le Monde et Le Temps, L’Hebdo, The Gardian, The Irish Times, Le Soir ou encore dans l'émission américaine “60 minutes” de CBS, a mobilisé les journalistes de 45 rédactions dans le mode entier, avec l'appui du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Cette enquête planétaire enfonce encore le clou sur les pratiques déjà largement documentées de cette machine à frauder le fisc qu’était HSBC Private Bank, la filiale genevoise de ce géant de la finance basé à Londres (lire par exemple nos enquêtes ici et ici). Mais bien plus, elle permet une plongée inédite dans des contrées inexplorées, en révélant comment la banque genevoise accueillait l’argent de narcotrafiquants, de présumés financiers du terrorisme, de trafiquants de diamants, de grands délinquants économiques, et de proches de potentats. Au mépris total des pseudo-procédures de contrôle interne (compliance) et de l’arsenal anti-blanchiment mis en place en Suisse depuis la fin des années 1990.   

Ces dernières années, alors que le G20 et l’OCDE menaient une offensive contre les paradis fiscaux, l’accent a été mis sur les fraudeurs, individus ou multinationales. SwissLeaks vient rappeler que la grande criminalité, dont le chiffre d’affaires se compte en dizaine de milliards de dollars, utilise les mêmes circuits bancaires, les mêmes montages off-shore et sociétés-écrans.

L'ancien siège d'HSBC Private Bank à Genève, du temps de sa splendeur. L'ancien siège d'HSBC Private Bank à Genève, du temps de sa splendeur. © Reuters

Au chapitre des trafiquants de drogue, le Matin Dimanchepu retrouver le nom d’Arturo del Tiempo « condamné à 7 ans et demi de prison pour avoir fait passer 1 212 kilos de cocaïne en Espagne ». « Les comptes de la société qui avait affrété ce transport étaient chez HSBC. En 2005, Arturo del Tiempo avait effectué plusieurs retraits en cash sans éveiller de soupçons de la banque : 55 000 euros le 25 mai, 50 000 dollars le 9 juin et 60 000 euros le 28 décembre, peut-on lire dans sa fiche personnelle du système informatique », écrit le journal suisse.

Le milliardaire mexicain Carlos Hank Rhon, frère de l’ex-maire de Tijuana, ville frontalière des États-Unis ravagée par la guerre entre les narco cartels, faisait aussi partie des clients de la banque genevoise, alors qu'il est identifié par les autorités américaines comme un baron de la drogue. En 2012, HSBC a été condamné aux États-Unis à une amende de 1,9 milliard de dollars, notamment pour de « graves carences » en matière de diligence. Entre 2007 et 2008, sa filiale mexicaine avait transféré 7 milliards de dollars vers les États-Unis, des fonds appartenant en partie à des cartels mexicains de la drogue.

Dans les données HSBC, les trafiquants de diamants ne sont pas non plus en reste. Parmi les clients : le Libanais Emmanuel Shallop, « condamné pour avoir trafiqué et revendu pour 49 millions de dollars des diamants du sang pour des dirigeants du Front révolutionnaire uni en Sierra Leone ». Il disposait en 2006 de 2,9 millions de dollars chez HSBC. En 2001, il avait été mis en cause dans un rapport public du Conseil de sécurité de l’ONU. Le quotidien Irish Times publie quant à lui une enquête sur Erez Daleyot, un magnat du diamant israélo-belge qui disposait de plus de 38 millions de dollars sur des comptes ouverts au nom de sociétés enregistrées aux îles Vierges britanniques. Il est aujourd’hui visé par une enquête belge pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. L’examen des listes HSBC a permis d’identifier quelque 2 000 professionnels du diamant qui ont des partenaires ou une réputation troubles ou sont sous enquête. Les journalistes de SwissLeaks racontent comment la banque a longtemps servi de coffre-fort aux diamantaires anversois. Avant de les expulser sans ménagement en 2013, quand le fisc et la justice belge ont lancé des enquêtes.

« En 2009, peu après avoir obtenu les données d’Hervé Falciani, les autorités françaises ont cherché à savoir combien il y avait de comptes liés à des criminels présumés chez HSBC Private Bank à Genève. Rien que sur les 2 956 noms de Français dans les fichiers, 120 correspondances avaient été trouvées avec les différentes bases de données de la police nationale et d’Europol », écrit le Matin Dimanche.

La banque genevoise n’a pas non plus fait preuve de prudence sur le volet du financement du terrorisme. Elle a accueilli sans sourciller de riches Saoudiens soupçonnés aux États-Unis d’avoir financé Ben Laden – le fameux réseau financier présumé du terrorisme  « Golden Chain ». L’un deux disposait en 2006 de 70 millions de dollars sur son compte.  

Le roi Mohammed VI du MarocLe roi Mohammed VI du Maroc © Reuters

Quant aux PEP – ces « personnes politiquement exposées » –, elles faisaient partie d’une clientèle particulièrement choyée. Des pratiques qui sont déjà largement connues dans d'autres banques suisses. Dans les listings figurait du beau monde. Comme le révèle Le Monde, le roi du Maroc a pu en 2006 ouvrir un compte sous un code « BUP » (business parter), et y abriter 7,9 millions d’euros pendant six mois. Ce dépôt était illégal puisque la législation marocaine interdit aux résidents de détenir des fonds à l’étranger. Parmi les autres PEP épinglés : Li Xiaolin, la fille de l'ancien premier ministre chinois Li Peng (2,5 millions de dollars) ; Rachid Mohamed Rachid, ancien ministre égyptien du commerce et de l’industrie condamné en juin 2011 pour abus de biens sociaux (31 millions de dollars) ; Ramy Makhlouf (27 millions de dollars), le cousin du président syrien Bashar al-Assad, accusé en 2008 par le Département du Trésor américain de bénéficier d’un vaste réseau de corruption en Syrie ; ou encore Belhassen Trabelsi, le frère de Leïla Ben Ali, l’épouse du dictateur (24 millions de dollars qui font partie des 60 millions d’avoirs bloqués en Suisse et que la Tunisie s’échine encore aujourd’hui à réclamer). Voir ici notre enquête sur les fonds Ben Ali.

En avril 2013, dans le sillage des printemps arabes, la FINMA, le gendarme des marchés financiers suisses, avait enquêté au sein de plusieurs banques. HSBC s’en était sorti sans amende, avec l’interdiction pendant trois ans d’accepter de nouveaux PEP comme clients.

Les fichiers HSBC viennent ainsi ruiner le discours des autorités helvétiques sur la grande efficacité de l’outil législatif anti-blanchiment mis en place à la fin des années 1990. Et ouvrent de nombreuses questions. En premier lieu, les articles révèlent l’emploi massif des sociétés-écrans et des trusts, ces multiples paravents dressés virtuellement entre l’argent caché et son véritable bénéficiaire, aux îles Vierges, à Panama, à Luxembourg ou au Liechtenstein, à Jersey mais aussi dans l’État américain du Delaware. Rappelons que selon l’économiste Gabriel Zucman, plus de 60 % des comptes en Suisse sont détenus par l’intermédiaire de ces écrans.

Il faut aujourd’hui considérer sérieusement le fait que la plupart des ultra-riches ont peu de chances de tomber dans les mailles des filets des enquêteurs qui travaillent sur la fraude fiscale. Principalement parce que leurs conseillers savent déployer tout l’arsenal autorisé par l’utilisation de ces coquilles vides, destinées à faire perdre la trace, même aux limiers les plus acharnés. Tous les activistes de la transparence fiscale militent pour que ces sociétés-écrans et ces trusts soient listés dans des registres internationaux, et publics. Or, le travail est en cours, mais pas encore complété, comme nous le détaillions.

En mars, le Parlement européen a voté à une très large majorité un texte prévoyant l'inscription du nom des bénéficiaires effectifs des sociétés-écrans, trusts et autres fondations dans des registres publics, centralisés par pays et accessibles à tout citoyen en faisant la demande. Un immense pas en avant, puisque dans de très nombreux pays européens, notamment en Grande-Bretagne, les trusts (dont Jersey est le champion) ne sont absolument pas répertoriés par les autorités, et encore moins leurs propriétaires. Mais le vote du parlement n’était en rien contraignant. Cette proposition devait être adoptée par le Conseil européen, composé des gouvernements des États membres.

Mais plusieurs pays, dont l’Allemagne, la Pologne ou l’Espagne, ont refusé que les listings soient rendus publics. Jean-Claude Juncker, le président de la commission européenne et ancien dirigeant du Luxembourg, a décidé de conclure le plus vite possible. Et donc de céder aux États réfractaires, en réservant les fichiers qui recenseront les trusts et les sociétés-écrans aux fiscs des États-membres. Il a simplement concédé le fait que devra être mise en place « la possibilité d’accès aux données par des tiers qui démontrent un intérêt légitime justifié », concernant les sociétés-écrans. Que veulent dire ces trois derniers mots ? Mystère. Ils ne garantissent en tout cas pas l’accès à n’importe quel citoyen, ce que les eurodéputés avaient pourtant demandé.

 « Nous reconnaissons, et sommes responsables des défaillances »

Sollicitée par le pool de journalistes d'investigation, la banque a refusé d’accorder un entretien, pour expliquer son rôle dans la multiplication des sociétés-écrans comme dans toutes les autres activités douteuses où ses clients étaient impliqués. Son directeur général en Suisse, Franco Morra, a proposé une interview écrite, par courriel, ce qui a été refusé. Dans une prise de position que l’on peut lire ici, la banque admet ses défaillances, ce qui constitue une première dans le monde bancaire.

Franco Morra, le directeur général en Suisse d'HSBCFranco Morra, le directeur général en Suisse d'HSBC © Reuters

« Même s’il y a de nombreuses raisons légitimes d’avoir un compte bancaire suisse, dans certains cas, des individus ont utilisé le secret bancaire pour détenir des comptes non déclarés. Cela a eu pour conséquence que les banques privées, dont HSBC Suisse, ont accueilli un certain nombre de clients qui n’étaient pas entièrement en règle avec leurs obligations fiscales. Nous reconnaissons, et sommes responsables des défaillances passées de contrôle et de conformité légale », lit-on dans le communiqué.

HSBC rejette partiellement la faute sur la Republic National Bank d’Edmond Safra, qu’elle a rachetée en 1999. « Le business Republic/Safra se focalisait sur une clientèle très différente et avait une culture passablement différente de celle de HSBC », explique-t-elle, jurant avoir entamé « une transformation radicale » en matière de conformité légale et de standards de contrôle depuis l’affaire Falciani. On apprend ainsi que la banque a subi une cure d’amaigrissement, perdant sa place de première banque étrangère en Suisse. En 2009, elle gérait plus de 30 000 comptes, contre quelque 10 000 aujourd’hui. En 2014, les avoirs des clients étaient de 68 milliards de dollars en 2014, contre 118,4 milliards de dollars en 2007.

Dans un courrier adressé à ses clients fin janvier, la banque avait dû reconnaître qu'elle n'avait aucun pouvoir pour empêcher les multiples fuites qui se préparaient, admettant « qu'il y a un risque que des données clients historiques apparaissent dans le domaine public ».


Pour la place financière helvétique, ce nouveau coup dur s’inscrit dans une longue descente aux enfers ces dernières années, avec la perspective de passer à l’échange automatique d’informations fiscales dès 2018 (lire notre article à ce sujet). Patrick Odier, président de l’Association suisse des banquiers (ASB), estime que les banquiers suisses ne sont aujourd'hui plus les mêmes et que « les exemples colportés appartiennent au passé ». « Depuis plusieurs années, les banques en Suisse revendiquent une stratégie de conformité fiscale de la place financière suisse », rappelle-t-il, estimant que si elles « ne respectent pas les lois, elles doivent l’assumer ». 

Dans la classe politique, la droite traditionnellement acquise au lobby bancaire appelle au respect de la « présomption d’innocence ». « Une fois de plus, on a tendance à sur-réagir face à des informations qui ne sont pas encore prouvées », a expliqué l’avocat et parlementaire, Christian Luscher. La  gauche estime qu’en dépit d’une législation anti-blanchiment renforcée ces dernières années, la Suisse est rattrapée par le passé. Elle demande l’ouverture d’une enquête contre HSBC Private Bank.

À ce jour, la justice suisse s’est uniquement concentrée sur la procédure contre Hervé Falciani. « C’est peut-être le plus grand paradoxe de cette histoire : le contenu des cinq DVD remis par l’informaticien au fisc français le 26décembre
 2008 aura été partagé avec de très nombreuses autorités fiscales. Il aura été scruté par 130 journalistes, pendant des mois, leur travail pointant une myriade de situations suspectes. Les seules à n’avoir jamais cherché à savoir ce qu’ils contiennent sont les autorités de notre pays », écrit François Pilet, l’un des journalistes enquêteurs de L’Hebdo.

En Grande-Bretagne, certains responsables politiques ne sont pas loin de classer leur pays dans la même catégorie que la Suisse. Les députés britanniques ont décidé d’ouvrir une enquête sur l’affaire. Le scandale est en effet immense : Stephen Green, président de HSBC de 2006 à 2010, et membre du conseil d’administration de HSBC Private Bank, a été membre du gouvernement conservateur de David Cameron, de janvier 2011 à décembre 2013. Il a donc été nommé après les premières révélations sur la banque.

L’émission d’enquête phare de la BBC, “Panorama”, a mis en ligne une vidéo lourde de sens, où Lord Green (il a été anobli par la reine fin 2010, juste après avoir quitté la banque) fuit toutes les questions du journaliste qui l’aborde, se bornant à déclarer, pendant plus d’une minute, qu’il ne répond pas, « par principe », « aux questions sur les affaires de HSBC, passées comme présentes ».

Margaret Hodge, la présidente (travailliste) de la commission des comptes publics, l'a directement mis en cause lundi sur la BBC : « Soit il ne savait pas et il s'était endormi au volant, soit il savait et il était donc impliqué dans des pratiques fiscales douteuses. » Selon Hodge, « les révélations concernant HSBC démontrent une fois de plus l'opacité d'une industrie mondiale au service d'une élite nantie ». « La commission des comptes publics va ouvrir d'urgence une enquête dans le cadre de laquelle nous allons demander à HSBC de fournir des éléments – et si nécessaire lui ordonner de le faire », a-t-elle ajouté.

La députée britannique est par ailleurs célèbre pour sa gestion musclée des auditions de grandes entreprises menant une « optimisation fiscale agressive ». Et elle doit regretter que ce point majeur ne soit qu'effleuré dans le spectaculaire travail du Monde et de l’Icij. Car l’évasion fiscale des entreprises représente, estime-t-on, les deux tiers des fonds cachés dans les paradis fiscaux ! Un point réapparu en pleine lumière aux États-Unis la semaine dernière : dans le cadre du budget américain pour 2016, Barack Obama souhaite taxer les quelque 2 000 milliards de dollars que stockent les entreprises américaines dans les paradis fiscaux, loin du fisc.

Pour éviter de payer les 35 % d’impôt sur les bénéfices normalement dus, Microsoft et Google ont ainsi choisi les Bermudes (Google y stocke… 74 % de sa trésorerie !), alors que Facebook et HP privilégient les îles Caïmans et que Apple se réfugie dans les îles Vierges. Cette situation est tellement confortable pour Apple que lorsqu'il s'agit de payer des dividendes à ses actionnaires, elle préfère emprunter de l’argent plutôt qu'écorner son magot. Pour boucler la boucle, et en attendant, après LuxLeaks, de nouvelles enquêtes sur ces scandaleux tours de passe-passe fiscaux, il est conseillé de se plonger dans Le Prix à payer, le passionnant documentaire sorti en salle la semaine dernière.

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2012-2014: les notes secrètes de Montebourg à Hollande

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Arnaud Montebourg ne l’avait jusque-là jamais révélé : tout au long des deux grosses années au cours desquelles il a occupé les fonctions de ministre du redressement productif, puis de l’économie, de mai 2012 à août 2014, d’abord au sein du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ensuite de celui de Manuel Valls, il a périodiquement adressé des notes à François Hollande pour l’enjoindre de changer le cap de la politique économique et notamment de tourner le dos à la politique d’austérité.

Ces notes longues et argumentées, qui sont au nombre de quatre, étaient jusqu’à ce jour restées confidentielles – sauf l’une d’entre elles, la troisième, en partie dévoilée par Le Nouvel Observateur. Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de les remettre à Mediapart. Nous les publierons donc les unes après les autres ces prochains jours. Si nous avons choisi de les mettre de cette façon en valeur, c’est qu’elles nous semblent importantes, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, ces notes éclairent le parcours d’Arnaud Montebourg lui-même. Car, de proche en proche, le bouillonnant ministre du redressement productif a certes fait entendre sa différence. On l’a ainsi entendu tempêter lorsque le site de Florange a été fermé, en violation des engagements pris par François Hollande pendant la campagne présidentielle. On l’a aussi entendu maugréer contre le cap choisi à la faveur d’un entretien au Monde le 9 avril 2013 : « Cette politique d’austérité conduit à la débâcle ».

Mais il a fallu attendre le courant du mois d’août 2014 pour qu’Arnaud Montebourg dise enfin, de manière détaillée et publique, que cette politique économique lui semblait radicalement contraire aux intérêts du pays. Il l’a fait une première fois à la faveur d’un entretien au Monde, le 23 août 2014, et puis surtout, dès le lendemain, le 24 août 2014, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire) : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », avait-il déclaré ce jour-là.

On sait l’onde de choc que cela a provoqué : dès le lendemain, Manuel Valls présentait la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Bref, ignorant le détail de ce qui se discutait dans les sommets du pouvoir, on n’a le plus souvent retenu d’Arnaud Montebourg que ses propos tonitruants de l’été 2014. Comme s’il faisait un esclandre un peu inattendu et qu’il quittait l’équipe gouvernementale sur un coup de tête.

Les quatre notes présentent donc le grand intérêt de corriger cette impression et de révéler qu’en réalité, la politique économique choisie par François Hollande a, depuis le début, fait débat, pas seulement entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, mais bien avant et au sein même du gouvernement. En quelque sorte, ces notes rendent plus lisible le cheminement intellectuel d’Arnaud Montebourg, qui n’a cessé depuis son entrée au gouvernement de combattre la politique d’austérité même si, par loyauté, il n’en a longtemps rien dit publiquement.

Le deuxième intérêt de ces notes, c’est qu’elles viennent naturellement conforter le camp, de plus en plus garni, de ceux qui reprochent à François Hollande de s’être écarté des engagements de la campagne présidentielle pour suivre une politique d’austérité ; le camp de plus en plus étoffé de ceux qui préconisent une autre politique économique. On le verra au fil de chacun de ces documents : à chaque fois, Arnaud Montebourg déplore le cap qui est choisi mais surtout détaille des pistes alternatives – souvent avec prudence.

Ces notes n’ont donc pas qu’un intérêt historique ; elles fonctionnent comme autant d’invitations au débat démocratique. Alors que la France connaît toujours une croissance anémiée et un chômage à des niveaux historiques, ces notes soulèvent une question, qui est plus que jamais au cœur de notre présente actualité : n’y a-t-il pas une autre politique économique possible ? Ne serait-il pas temps de regarder en face les dégâts humains et sociaux d’une politique économique qui contrevient aussi spectaculairement aux engagements pris par la gauche avant 2012 ?

Et puis, le troisième intérêt de ces notes, c’est qu’elles viennent aussi éclairer les enjeux du débat actuel qui secoue l’Europe. Car à plusieurs reprises, nous le verrons, Arnaud Montebourg s’inquiète du carcan de l’austérité qui n’étouffe pas seulement la France mais tout le continent ; et il regrette que notre pays, pour desserrer cet étau, n’ait jamais eu le courage d’envisager de nouvelles alliances, avec les pays du sud de l’Europe notamment, pour faire entendre raison à l’Allemagne.

De la Grèce, et des secousses qu’elle traverse, il n’est pas fait directement mention dans ces notes. Mais c’est évidemment aussi à elle que l’on pense, lorsque l’on parcourt les documents d’Arnaud Montebourg. Car même si, depuis que l’ex-ministre du redressement productif a posé la plume, les événements se sont accélérés, les questions qu’il pose sont au cœur de l’actualité de ces dernières semaines : pour venir en aide à la Grèce, mais aussi sortir l’Europe de l’ornière, ne serait-il pas temps de mettre en œuvre une autre politique économique, plus solidaire ? Ne serait-il pas temps d’inventer une autre « coordination européenne » ?

Commençons donc la lecture des différentes notes qu’Arnaud Montebourg a adressées à François Hollande. D’une longueur de sept pages, annexes comprises, la première est datée du 11 septembre 2012, soit quatre mois à peine après l’alternance, et est ainsi titrée : « Le plan C, comme croissance ». À la différence des notes suivantes, elle n’est pas formellement adressée au chef de l’État, même si ce dernier en est le destinataire.

Voici cette note : on peut la télécharger ici ou la consulter ci-dessous.

Pour comprendre l’intérêt de cette note, il faut se souvenir du contexte dans lequel elle est écrite. Installé à l’Élysée depuis le mois de mai précédent, François Hollande prend sur-le-champ des libertés avec les promesses faites par lui-même pendant la campagne : la grande réforme fiscale promise est quasi tout de suite passée à la trappe ; le Smic fait l’objet d’un coup de pouce dérisoire ; le « choc de compétitivité » en faveur des entreprises que Nicolas Sarkozy avait proposé pendant la campagne et que François Hollande avait critiqué devient contre toute attente l’un des nouveaux chantiers du président…

Dans le lot de ces premières mesures que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault commence à mettre en œuvre au fil des premiers jours du quinquennat, il y a aussi des coupes claires inattendues dans le budget, dès le mois de juin 2012, et l’annonce d’une rigueur renforcée pour la préparation du projet de loi de finances pour 2013.

« Le changement, c’est maintenant ! » D’un seul coup, le slogan de campagne prend un coup de vieux du fait de la politique d’austérité qui est brutalement aggravée. Pour ne pas nuire au nouveau pouvoir qui vient de s’installer, la plupart des élus socialistes n’osent pas encore le dire publiquement, pas même mezzo voce. Arnaud Montebourg, si. Sa première note est tout entière consacrée à cela : il veut convaincre François Hollande que la rigueur budgétaire renforcée sera contre-productive et que des alternatives sont possibles.

La date à laquelle cette note est écrite, le 11 septembre 2012, ne doit naturellement rien au hasard : le marathon budgétaire traditionnel de l’automne va bientôt commencer, avec la présentation en conseil des ministres du projet de loi de finances pour 2013 – le premier budget depuis l’alternance –, puis son examen les semaines suivantes devant le Parlement. Arnaud Montebourg cherche donc à infléchir les choix budgétaires présidentiels, avant qu’ils n’aient force de loi.

Relevant que François Hollande a décidé de confirmer la promesse faite par Nicolas Sarkozy d’abaisser les déficits publics à 3 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2013 et 0 % en 2017, il souligne que cela induira pour 2013 « une réduction additionnelle de 33 milliards d’euros environ du déficit public », soit le « budget le plus récessif en temps de crise depuis 30 ans ». Et pour Arnaud Montebourg, il est clair que ce choix fait par la France d’accentuer la politique d’austérité est gravissime, venant se cumuler aux autres plans d’austérité engagés un peu partout en Europe. Citant un appel d’économistes européens, il a cette formule qui souligne la gravité de la situation : « Nous croyons que depuis juillet, l’Europe marche comme un somnambule vers un désastre aux proportions incalculables. » 

Dans ce contexte, plaide-t-il, le « budget récessif » qui est proposé « va nuire à la compétitivité et à lemploi en France. Il faut envisager un budget alternatif qui permette de mettre en place des mesures en faveur de la compétitivité et de lemploi pour préparer la future croissance ». Pour conjurer la catastrophe qui vient – et qui, en France, se traduira par une augmentation de près d’un million des chômeurs depuis mai 2012 (lire ici notre synthèse) –, Arnaud Montebourg plaide donc pour une réorientation de la politique économique. Alors que les frondeurs du PS ne commencent véritablement à se faire entendre qu’en avril 2014, avec « l’Appel des cent », au lendemain de la débâcle des élections municipales, rien ne suggérait que le débat sur la pertinence de la politique économique avait en fait commencé dès septembre 2012. En clair, presque dès le début du quinquennat.

Dans sa première note, Arnaud Montebourg propose plusieurs pistes pour réorienter la politique économique. « Afin d’éviter un effet récessif important, une première politique pourrait consister à mettre en place un plan de réduction des déficits publics de 25 milliards d’euros au lieu de 33 milliards d’euros (politique budgétaire moins restrictive). Selon la modélisation OFCE, cela ferait augmenter la croissance de 0,5 % à 0,9 %, ce qui permettrait d’économiser 0,2 % de taux de chômage et éviterait la destruction de 64 000 emplois marchands dont 13 000 dans l’industrie », explique celui qui est à l’époque le ministre du redressement productif.

En clair, la proposition alternative que formule Arnaud Montebourg est prudente. Il ne propose pas de remettre en cause la politique d’austérité ; il suggère seulement de l’adoucir, pour que ses effets soient moins récessifs. Et Arnaud Montebourg ponctue cette première suggestion de ces remarques : « Cette première estimation (de 33 à 25 milliards d’euros) est réalisée en considérant que les autres pays européens réalisent leur politique de rigueur. Même de manière isolée on peut mieux faire. » En somme, Arnaud Montebourg ne défie pas François Hollande ; il lui recommande seulement d'infléchir ses premiers choix.

Du même coup, le ministre décline une seconde série de suggestions complémentaires, dans l’hypothèse où la France ne serait pas isolée mais profiterait d’une meilleure coordination européenne. « S’il existe une coordination européenne pour ralentir les politiques de rigueur, l’effet peut être encore plus positif. Par exemple, si les plans d’austérité s’arrêtaient quand les pays européens atteignent le seuil de 3 % de déficit, cela éviterait la destruction de 80 000 emplois salariés par an », écrit Arnaud Montebourg, avant d’ajouter : « Il serait très utile de mener une campagne en Europe afin de coordonner les politiques budgétaires des pays membres, en discutant l’objectif qui veut que l’on retrouve 3 % de déficit public en 2013 dont la réalisation est très improbable. Le retour de la coordination interétatique est nécessaire. Cela est bien moins ambitieux que les Eurobonds (car il n’y a pas de socialisation de la dette) et donc plus accessible. »

En somme, en ce début du mois de septembre 2012, Arnaud Montebourg continue d’appeler de ses vœux une réorientation de l’Europe, qui était l’une des grandes promesses de François Hollande durant la campagne présidentielle. Dans son livre De l’intérieur – voyage au pays de la désillusion (Fayard, août 2014, lire ici notre compte-rendu), Cécile Duflot reviendra elle-même, beaucoup plus tard, sur ces mois décisifs, estimant que c’est dès cet époque, au creux de l’été 2012, que François Hollande abandonne cette ambition de réorientation de l’Europe, renoncement dont découleront, selon elle, tous les autres…

La note d’Arnaud Montebourg corrobore ce diagnostic très pessimiste : dès les premiers mois de son quinquennat, le chef de l’État a cédé aux injonctions de l'Allemagne et n'a rien voulu entendre de ceux qui lui suggéraient des voies et moyens pour surmonter l’obstacle.

À suivre : la note du 29 avril 2013 pour une nouvelle stratégie de croissance

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Grèce: retour sur six ans de politique européenne calamiteuse

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De nouveau, la sortie de la Grèce de la zone euro n’est pas une hypothèse d’école. Chez les bookmakers britanniques, la possibilité d’un « Grexit » est évaluée à une sur deux, contre une sur trois la semaine dernière. Sans attendre, le premier ministre britannique, David Cameron, a annoncé lundi une réunion d’urgence avec les principaux responsables du Trésor et de la Banque d’Angleterre, afin, explique-t-il, que le gouvernement se prépare à toutes les éventualités.

Le bras de fer engagé entre les responsables européens et le gouvernement grec depuis son élection, il y a deux semaines, tétanise tout le monde. À la veille de la réunion exceptionnelle des ministres européens des finances sur la Grèce, mercredi 11 février, les positions paraissent irréconciliables. Les dirigeants européens refusent d’accepter le moindre aménagement du programme d’austérité imposé à la Grèce et de renégocier sa dette. En face, le gouvernement grec entend honorer toutes ses promesses.

L’espoir, entretenu par les responsables européens, de voir le gouvernement de Syriza plier, ou au moins temporiser, a définitivement été douché, dimanche 8 février, après la déclaration de politique générale d’Alexis Tsipras, plus déterminé que jamais à obtenir une renégociation complète du plan d’aide, qui a échoué totalement. « Le temps est venu de dire tout haut ce que les officiels reconnaissent quand les micros sont fermés et parlent ouvertement. (…) À ce stade, quelqu’un a le devoir de dire non, et cette responsabilité est tombée sur nous, la petite Grèce », a répété le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, lundi, devant le Parlement grec, en demandant un crédit relais de 5 milliards d’euros jusqu'en septembre,  le temps de remettre sur pied un nouveau programme de réformes.

Sortant de sa réserve pour la deuxième fois en moins d’une semaine, le gouvernement américain, craignant que la situation ne devienne incontrôlable, presse les responsables européens de trouver un compromis avec la Grèce. Le gouvernement canadien lui a emboîté le pas, tout comme les financiers. Timothy Adams, le président de l’Institut de la finance internationale – l’organisme qui avait beaucoup pesé lors de la renégociation de la dette grecque en 2012 –,  est sorti lui aussi à nouveau du silence. « Je pense qu’il existe encore une possibilité pour toutes les parties de trouver un compromis, mais je pense qu’elle se réduit très vite. Espérons que nous pourrons trouver une issue », a-t-il prévenu, en marge du sommet du G20 des responsables financiers à Istanbul.

Evolution des PIB européens entre 2008 et 2014.Evolution des PIB européens entre 2008 et 2014. © ING- The telegraph

Les économistes du monde entier multiplient les appels (voir ici, ou encore ) auprès des responsables européens pour qu'ils acceptent d’offrir une rémission à la Grèce. Tous jugent que le programme d’austérité imposé à la Grèce a lamentablement échoué (voir en Grèce le coût social et humain de l’austérité) et s’est traduit par un écroulement de 27 % du PIB en six ans. Une chute jamais vue depuis la crise de 1929. Tous insistent sur le niveau insoutenable de la dette grecque (177 % du PIB). « Ce n’est pas restructurer la dette mais de ne pas le faire qui est immoral », écrit l’économiste Joseph Stiglitz, qui a pris la tête de la croisade contre la position inflexible de la commission européenne.

Comment la Grèce, qui représente moins de 2,5 % du PIB européen, en est arrivée à menacer l’ensemble de la zone euro ? Pourquoi les responsables européens n’ont-ils pas pu régler une question à moins de 300 milliards d’euros, alors que, depuis la crise financière de 2008, ils ont su mobiliser 4 500 milliards d’euros (37 % du PIB européen) pour sauver leur système financier ? Retour sur six années de gestion calamiteuse du dossier grec par les responsables européens.

 

2009 : la faute grecque

Lorsque le gouvernement de Georges Papandréou (Pasok) arrive au pouvoir, en octobre 2008, il ne peut que constater l’évidence : la Grèce est en faillite. Les déficits budgétaires explosent, tout comme la dette. Au printemps suivant, il passe aux aveux : le déficit budgétaire ne va pas être de 6 % du PIB mais de 8,3 % (il sera en réalité de plus de 9 %). Dès ces aveux, c’est la curée en Europe. Prenant la tête de la ligue de vertu, l’Allemagne transforme directement le problème en question morale. L’endettement est une faute, le paiement de ses dettes une obligation morale, et les finances de l’État doivent être gérées comme celles d’un ménage.

L’Europe ne se départira plus jamais de cette ligne. D’autant que les problèmes de la Grèce vont faire resurgir des secrets cachés : la Grèce, aidée par la banque Goldman Sachs, a trafiqué ses comptes pour pouvoir entrer dans l’euro. Sans ces maquillages, elle n’aurait jamais pu rejoindre la monnaie unique.

La banque Goldman Sachs – mais faut-il rappeler qu’à l’époque, un certain Mario Draghi était responsable pour la banque des dettes souveraines de l’Europe ? – ne sera jamais inquiétée par la moindre commission d’enquête, par le moindre responsable européen pour ses agissements. La Grèce, en revanche, devient la tête de Turc de l’Europe. En Allemagne, où les responsables ont toujours considéré qu’Athènes était un passager clandestin de la zone euro, la presse populaire se déchaîne. Les Grecs sont des « fainéants, des tricheurs ». Ils doivent vendre leurs îles et le Parthénon. À aucun moment, Angela Merkel ne tente d’endiguer ce mouvement. Au contraire, la chancelière allemande déclare alors que la solidarité européenne ne saurait être mise en œuvre pour un gouvernement qui a failli. La sortie de la Grèce de la zone euro commence à être évoquée comme un scénario possible. En fidèle allié, Nicolas Sarkozy est totalement aligné sur la position allemande et ne dit rien.

Exposition des banques européennes aux dettesExposition des banques européennes aux dettes © FMI

À l’époque, l’endettement de la Grèce s’élève à 300 milliards d’euros. Le pays s’est beaucoup endetté à partir de son entrée dans la zone euro, qui lui a permis de bénéficier de taux de plus en plus bas. Les gouvernements successifs (un Karamanlis succédant à un Papandréou et ainsi de suite pendant 30 ans) ont utilisé à tour de bras ces facilités pour financer un système politique, où le clientélisme, le népotisme, l’inefficacité, l’évasion fiscale et la corruption règnent en maître.

Mais, comme le rappelle Martin Wolf, chroniqueur du Financial Times, s’il y a des emprunteurs impétrants, il y a aussi des créanciers qui acceptent de leur prêter. Ils sont les deux faces d’une même pièce. « La vérité est que les créanciers ont une responsabilité morale de prêter de façon avisée. S’ils échouent à estimer les risques de leurs emprunteurs, ils méritent ce qui arrive par la suite. Dans le cas de la Grèce, l’ampleur des déficits extérieurs, en particulier, était manifeste », écrit-il. Mais cette face de la pièce sera soigneusement oubliée.

Pays fournisseurs de la défense grecquePays fournisseurs de la défense grecque © The Guardian

Sur les 300 milliards d’euros de dettes de l’époque, 200 milliards sont portés par les banques et les institutions privées. Les banques françaises, suivies par les banques allemandes, sont les plus exposées. Elles ont prêté à l’État grec, mais ont aussi beaucoup accompagné les grands groupes européens, ravis de voir dans la Grèce un nouveau marché, qui pour construire les grands équipements liés aux Jeux olympiques de 2004 (Siemens), qui pour vendre des armements, des sous-marins, des équipements terrestres (Thales, DCNS, TKMS, DASA) à une armée grecque qui, chaque année, pompe un budget équivalent à 4 % du PIB du pays. À cette date, la Grèce se classe au quatrième rang pour ses dépenses militaires.

Pensant qu’une cure de rigueur et d’austérité suffira à ramener la Grèce dans le droit chemin, les responsables européens imposent les premières mesures drastiques à Athènes, sans lui porter assistance, laissant le pays suffoquer sous les charges financières.

Mai 2010 :  l’arrivée de la Troïka

Après la Grèce et l’Irlande, la crise était en train de gagner toute l’Europe du Sud. Les défauts de la construction de la zone euro, masqués quelque temps, apparaissaient tous au grand jour : la zone euro n’est pas une zone de transferts entre les pays riches et les pays pauvres, entre les exportateurs et les importateurs. Privés de la possibilité des ajustements monétaires et des dévaluations, les pays de l’Europe du Sud voient toute leur industrie s’effondrer et leur économie perdre en compétitivité, asphyxiées par une monnaie surévaluée par rapport à leur base économique mais sous-évaluée pour les pays du Nord. La Grèce, sans base industrielle, sans économie développée, est le pays le plus mal en point, au bord de l’effondrement.

« Si le problème de la Grèce avait été pris plus tôt, il n’aurait pas pris ces proportions », déclarera Christine Lagarde, une fois à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Mais les responsables européens tergiversent pendant des mois. L’Allemagne refuse d'abord d’entendre parler de tout plan d’aide pour la Grèce, et puis il y a les élections régionales en Rhénanie-Westphalie. Une fois ces élections d’importance planétaire passées, l’Allemagne, sur l’insistance pressante des États-Unis, accepte le plan d’aide, mais à ses conditions : le programme d’aide européen doit se faire sous l’égide du FMI, expert en pays en détresse.

Dès ce moment, des économistes, y compris au sein du FMI, ont signalé la difficulté du plan de sauvetage de la Grèce. À la différence de tous les autres pays dans la même situation, la Grèce, tenue par la rigidité de la monnaie unique, ne peut pas dévaluer et trouver ainsi un peu d’oxygène pour accompagner son indispensable programme de redressement des comptes publics. Des experts du FMI, mais d’autres aussi, préconisent de contourner l’obstacle de l’impossibilité d’une dévaluation en restructurant la dette grecque. Ce qui aurait pour effet d’alléger la charge et les contraintes financières du pays.

Mais les responsables européens refusent cette solution. Tous les ajustements doivent passer par une dévaluation interne. Une Troïka est formée, associant le FMI, la Banque centrale européenne (BCE) et l’Union européenne (UE), avec pour mission de veiller au respect point par point de l’application des « remèdes » préconisés : diminution des dépenses publiques, réduction des salaires et des retraites, révision du droit social, privatisations, déréglementation. L’essentiel des efforts est demandé aux classes populaires et moyennes. Pas un mot n’est dit sur la lutte contre l’évasion fiscale, sur la taxation des plus riches (armateurs, église orthodoxe, mais aussi professions libérales) qui échappent à l’impôt. Aujourd’hui, les responsables de la Troïka se défendent en soulignant que ce sont les gouvernements grecs qui ont dessiné le plan d’austérité et arrêté les mesures. À les entendre, la mise en œuvre de l’austérité ne relevait pas de leur compétence.

Dans le cadre de ce plan de sauvetage, le FMI apporte 30 milliards d’euros de prêts, la plus grande somme jamais engagée par le fonds international, rappelle-t-il. L’Europe, de son côté, annonce la création d’un fonds européen de stabilité financière de 500 milliards d’euros, afin d’aider les pays de la zone euro en difficulté, et en particulier la Grèce, à se refinancer, en achetant notamment des dettes souveraines sur le marché secondaire. Ce fonds, basé au Luxembourg, est conçu comme un instrument de financement à effet de levier : les pays européens n’apportent que très peu de capital, mais ils se portent garants des sommes levées sur les marchés. Leur garantie, calculée au prorata dans la zone euro, ne sont exigibles que si le pays emprunteur n’honore pas ses échéances.

Avec ce matelas financier de secours et les mesures d’austérité imposées, la Grèce, selon les scénarios dessinés par la Troïka, doit passer le cap sans trop de difficultés. Passé une ou deux années de récession, tout doit rentrer dans l’ordre. L’économie doit rebondir, les finances publiques se redresser, l’endettement diminuer. La Troïka pense alors que la Grèce pourra revenir sur les marchés dès 2012, au pire 2014. Rien ne se passera comme prévu. « Le programme était bâti sur un nombre d’hypothèses ambitieuses, les risques ont été minimisés. Il y a eu des échecs notables », écrivent en 2015 des experts du FMI dans un rapport interne, très critique.

Le grand transfert des créances bancaires vers le public.Le grand transfert des créances bancaires vers le public. © FMI

« Cette gestion du flux n'apporte pas de réponse à la question du stock. Or, c'est bien l'ensemble des dettes accumulées dans les pays européens qui pose problème. Comment ces pays vont-ils faire pour honorer les intérêts de leurs dettes et les rembourser dans une conjoncture sans croissance ? Comment vont-ils retrouver une situation financière soutenable sur le long terme ? Prétendre atteindre un niveau très bas d'endettement en un temps record n'est pas réaliste », commente en 2011 l’économiste très orthodoxe, Jean Pisani-Ferry, dans son livre Le Réveil des démons - La crise de l'euro et comment nous en sortir (Éditions Fayard), pointant l’erreur manifeste des responsables européens dans leur approche de la crise. 

Le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, ne dit pas autre chose quand il déclare : « On ne résout pas un problème d’insolvabilité, en le traitant comme un problème de liquidité. » Le FMI est encore plus critique sur les erreurs commises par les responsables européens dans cette approche de la crise grecque, pointant les arrière-pensées et les manœuvres en coulisses de l’Europe : le plan de sauvetage ne consistait pas à sauver la Grèce mais à sauver les banques européennes, particulièrement exposées à la dette grecque. « Ce report a donné une fenêtre aux créanciers privés pour réduire leurs expositions et placer la dette dans des mains publiques. Ce transfert a été réalisé à une échelle impressionnante (voir graphique) et a laissé le secteur public en risque », écrit-il.

Alors que la déroute grecque se confirme, les responsables européens mènent un coup d’État rampant lors du sommet de Cannes de 2011 en imposant la démission de Papandréou et son remplacement par un gouvernement technocratique. Mais cela n’endigue pas la crise, qui gagne désormais l’Espagne et l’Italie.

Pour éviter à nouveau l’effondrement de toute la zone euro, le président de la BCE d’alors, Jean-Claude Trichet, tord le cou à tous ses principes et tous les traités, et fait racheter des titres des pays en difficulté sur le marché secondaire. À la fin 2011, la dette grecque s’élève à 350 milliards d’euros. Les créanciers privés n’en détiennent plus que 37 % (130 milliards), les créanciers grecs, essentiellement les banques, que 22 % (80 milliards). Les créanciers publics détiennent tout le reste : le FMI est engagé à hauteur de 30 milliards, la BCE de 55 milliards, le fonds de stabilité européen de 53 milliards.

Février 2012 : une restructuration au service des banques

Cela ne doit pas s’appeler une faillite. Mais cela y ressemble étrangement. En février 2012, après des négociations harassantes avec l’Institut de la finance internationale, une restructuration de la dette grecque est décidée. La BCE refuse d’y participer, car tout effacement de la dette grecque qu’elle détient en portefeuille, reviendrait à financer indirectement un État, ce qui serait contraire aux traités européens, explique-t-elle. Les pays européens refusent également de s’y associer, car leur garantie serait requise, ce qui reviendrait à faire payer leurs contribuables.

Évolution de la dette en % du PIB.Évolution de la dette en % du PIB. © Commission européenne -The Telegraph

La restructuration ne porte donc que sur la dette détenue par les seuls créanciers privés. L’accord stipule que 53 % de cette dette, soit 107 milliards, seront effacés, par le biais d’un échange de titres.

Cette opération est censée être un ballon d’oxygène pour la Grèce, d’autant que l’Europe consent à 130 milliards d’euros d’aides supplémentaires, ce qui porte à 210 milliards d’aides au total. Dans les faits, ce programme est totalement préempté par le système financier : 35,4 milliards d’euros sont versés en compensation aux créanciers qui ont accepté d’échanger leurs titres ; 48,2 milliards sont accordés aux banques grecques, filiales des banques étrangères incluses, qui ont besoin d’être recapitalisées, après la restructuration. Pour racheter les dettes d’origine et payer les intérêts dus aux créanciers, 149,2 milliards d'euros sont dépensés (96 milliards pour le principal, 53,2 milliards pour les intérêts).

Ainsi, seulement 20,3 milliards d’euros, soit moins de 10 % des crédits accordés à la Grèce, seront vraiment utilisés pour soutenir l’économie du pays et sa population. Tout le reste n’a servi qu’au système financier. À la sortie de cette restructuration, le taux d’endettement de la Grèce est toujours à 140 % du PIB. Du jamais vu dans l’histoire économique.

Qui détient la dette grecque aujourd’hui ?


Les paiements de dettes par  la Grèce depuis 2010 Les paiements de dettes par la Grèce depuis 2010 © Jubilee campaign

Avec un endettement correspondant à 177 % du PIB et une économie en dépression, la Grèce est en état de faillite. Depuis 2010, elle a versé près de 150 milliards d'euros pour rembourser ses dettes et payer les intérêts de la dette en cours. Ces sommes ont été soit apportées dans le cadre du plan de sauvetage, soit extraites directement de l'économie grecque. Car à la différence des autres pays, n'ayant plus accès aux marchés financiers pour se refinancer et faire rouler sa dette, Athènes doit payer le tout. Cettte situation explique les exigences fixées par la Troïka de dégager un excédent budgétaire d'au moins de 4,5 % du PIB. C'est le niveau qu'elle estime nécessaire pour que la Grèce puisse honorer ses échéances. Le gouvernement demande de ramener cet excédent à 1,5 %, de façon à dégager les ressources nécessaires pour atténuer la grave crise sociale et soutenir l'économie.

La plupart des experts jugent qu’un abandon total ou partiel de la dette est inévitable. À peine élu, le gouvernement grec a tout de suite engagé le débat sur le sujet, se heurtant partout à une fin de non-recevoir.

Les créanciers de la Grèce.Les créanciers de la Grèce.

Alors que les créanciers privés étaient très actifs et bruyants au début de la crise grecque, ils se montrent très discrets dans les conversations du moment entre le gouvernement grec et les responsables européens. Normal, le tour de passe-passe opéré par l’Europe a fonctionné : ils ne sont pas concernés ou à la marge. 12 % de la dette grecque sont détenus par les créanciers privés. Ceux-ci sont souvent des fonds vautours, des hedge funds qui ont racheté des titres grecs avec une énorme décote – parfois 20 % de la valeur faciale – et empochent de substantiels coupons : les taux des émissions grecques peuvent aller jusqu’à 8 % et plus. Quand l’argent est à taux zéro, c’est un placement mirifique. Fin 2012, un hedge funds new-yorkais déclarait que la dette grecque avait été son meilleur placement de l’année.

Tout le reste est donc entre des mains publiques. Les crédits du FMI s’élèvent à quelque 30 milliards. Mais jamais dans son histoire, le FMI n'a accepté de participer à un abandon de prêts. Cette possibilité semble encore plus improbable que nombre de responsables des pays émergents ont violemment critiqué le soutien du FMI à la Grèce et jugé qu'elle avait bénéficié d’un traitement de faveur.

Dans le passé, le FMI a accepté des rééchelonnements de dettes, passant par des allongements de la durée, des abaissements de taux. Il a notamment participé au plan Brady sur le Mexique en 1990. Surendetté, le Mexique avait alors bénéficié d’un rachat de ses dettes à 50 % de leur valeur. L’opération avait été menée sous l’égide des États-Unis. Mais encore faut-il que les Européens soient d’accord sur le principe.

Les créances détenues par la BCE s’élèvent à une trentaine de milliards (les chiffres varient selon les sources, mais l’ordre de grandeur reste le même). La Banque centrale dit avoir déjà fait beaucoup d’efforts pour aider la Grèce. Les paiements des intérêts qu’elle perçoit sont reversés aux pays européens, au prorata de leur participation dans le capital de la BCE. Ceux-ci doivent normalement reverser ces sommes à la Grèce. De même, les plus-values que la BCE dégage au remboursement des émissions (car elle aussi a acheté avec d’importantes décotes) sont reversées aux pays européens, puis à la Grèce, selon le même mécanisme. C’est à ces sommes que le gouvernement grec fait référence, lorsqu’il réclame à la BCE et aux pays européens 1,8 milliard d’euros qu’il estime lui être dû. Mais les gouvernements européens lient cette restitution au respect par la Grèce du plan de sauvetage et de son échéancier de dettes.

Pour la BCE, la Grèce bénéficie donc d’un taux zéro sur ces emprunts logés dans la Banque centrale. Elle estime ne pas pouvoir aller au-delà. Consentir à un abandon de certaines créances lui semble tout à fait impossible. Ses arguments sont les mêmes qu’en 2012 : tout abandon reviendrait à financer l’État grec, ce qui est contraire aux traités.

Les emprunts de la Grèce auprès des pays européens s’élèvent à quelque 200 milliards d’euros. L’essentiel (environ 140 milliards) est porté par le Fonds européen de stabilité financière, le reste (53 milliards) est lié à des crédits bilatéraux consentis par des pays européens à la Grèce. Les engagements de l’Allemagne auprès de la Grèce s’élèvent, tous prêts confondus, à 55 milliards d’euros (là encore, les chiffres varient selon les sources mais les ordres de grandeur sont toujours les mêmes), ceux de la France à 42 milliards, ceux de l’Italie à 32 milliards, ceux de l’Espagne à 27 milliards d’euros. Ces prêts sont en fait des garanties. Les différents pays se sont portés garants des prêts de la Grèce en y apposant leur signature, mais n’ont jamais apporté d’argent directement.

Les responsables européens disent avoir déjà consenti beaucoup d’aménagements à la Grèce. Ils ont allongé les durées des émissions, diminué les taux – le taux moyen d’emprunt de la Grèce est autour de 2,2 %, et bien moins élevé par exemple que celui du Portugal. Mais ils se refusent à envisager le moindre effacement de dettes. Car leurs garanties seraient sollicitées. « Il ne saurait être question que les contribuables européens paient pour la Grèce. Comment imaginer que les Portugais ou les Espagnols qui ont mené de durs plans d’austérité remboursent pour les Grecs », ont assuré plusieurs responsables européens, de Jean-Claude Juncker à Wolfgang Schäuble, oubliant au passage que cette situation découle de leurs choix politiques antérieurs.

Accepter d’effacer une partie de la dette les condamnerait à avouer ce qu’ils ont réellement fait depuis six ans : toute leur gestion de la crise grecque, de la crise de l’euro a consisté à socialiser les pertes du système bancaire, à reporter sur les populations les risques inconsidérés pris par les banques. Ce serait reconnaître aussi que leur politique d’austérité est un échec patent. Ce serait enfin devoir accorder à d’autres pays européens, en commençant par l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, une remise de peine et une renégociation de leurs dettes. Autant dire que tout changement leur semble impossible. Même si cela peut conduire à l’explosion de la Grèce.

La crise de la Grèce, jusqu’à présent, n’est pas une mauvaise affaire pour tout le monde. La fragmentation de la zone euro a entraîné d'immenses déplacements financiers : les investisseurs ont abandonné les pays de l’Europe du Sud pour se reporter vers les pays jugés les plus sûrs, Allemagne en tête. Ceux-ci peuvent se financer à un coût proche de zéro depuis plusieurs années. Ces derniers jours, les taux allemands à dix ans sont à 0,37 %. Cela représente au moins 10 milliards d’économies sur ses charges financières par an. La France économise, elle aussi, entre 5 et 6 milliards d’euros par an sur son service de la dette. Mais cela n’est jamais évoqué dans les discussions sur la Grèce. Athènes doit rester coupable de tout.

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Athènes et Bruxelles ne sont toujours d'accord sur rien

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De notre envoyé spécial à Bruxelles.- À Berlin, la semaine dernière, le Grec Yanis Varoufakis avait eu cette formule ravageuse, à l'issue d'une rencontre avec son homologue allemand, le ministre des finances Wolfgang Schäuble : les deux n'étaient même pas « tombés d'accord sur (leurs) désaccords ». Mercredi soir à Bruxelles, l'affaire semblait toujours aussi mal engagée : le président de l'Eurogroupe a reconnu, après une réunion de plus de six heures entre les ministres des finances de la zone euro, qu'ils n'avaient même pas trouvé des « bases communes » pour ne serait-ce que travailler ensemble, dans les jours à venir, à une sortie de crise.

C'est peu dire que la première réunion bruxelloise à laquelle ont participé deux ministres du gouvernement d'Alexis Tsipras – Varoufakis et Yannis Dragasakis (numéro deux de l'exécutif grec) –, mais aussi Christine Lagarde, à la tête du FMI, et Mario Draghi, le patron de la BCE, était attendue. Trois semaines après la victoire de Syriza à Athènes, les Européens devaient enfin rentrer dans le vif des négociations, loin des caméras. Ils devaient tester la disposition des uns et des autres à « converger » vers un compromis possible. Ils se sont quittés, dans la nuit de mercredi à jeudi, sur un constat de désaccord. Autour de la table, les Grecs sont restés isolés : « On en est toujours à 18 contre 1 », lâchait un diplomate à l'issue de la réunion.

« Nous avons fait des progrès, dans le sens où nous comprenons mieux ce que veut l'exécutif grec, mais nous n'en avons tout simplement pas fait assez pour nous entendre dès ce soir », a résumé, en langage très diplomatique, Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe. De son côté, Yanis Varoufakis a lui aussi cherché à se montrer plus conciliant que lors de ses dernières conférences de presse : « Nous avons entendu des points de vue variés et intéressants. (…) Et maintenant, nous espérons nous mettre d'accord sur des conclusions, pour notre prochaine réunion lundi, qui soient optimales à la fois pour la Grèce et nos collègues européens. »

Christine Lagarde (FMI) et Yanis Varoufakis, ministre des finances grec, à leur arrivée à l'Eurogroupe, mercredi, à Bruxelles.Christine Lagarde (FMI) et Yanis Varoufakis, ministre des finances grec, à leur arrivée à l'Eurogroupe, mercredi, à Bruxelles. © Yves Herman - Reuters.

À l'issue de la réunion de mercredi, plusieurs sources bruxelloises assuraient que les 19 avaient été à deux doigts de signer une déclaration commune. L'affaire semblait si bien engagée que certains, dont le ministre allemand Wolfgang Schäuble, ont même quitté les lieux, pensant qu'un accord avait été obtenu. Mais toujours selon la version de ces sources, un coup de fil passé par Varoufakis à Athènes, en toute fin de réunion, a durci le ton des Grecs. Varoufakis aurait alors demandé à apporter des amendements au texte, que les 18 n'ont pas acceptés.

Cette déclaration commune, que s'est procurée le Financial Times, devait lancer des négociations plus techniques censées aboutir lors du prochain Eurogroupe, pas plus tard que lundi prochain. Pour la Grèce, chaque jour est compté, et il faut trouver un accord d'ici au 28 février, date à laquelle prend fin le plan d'« aide » de la Troïka (commission européenne, BCE et FMI). À partir de début mars, la Grèce court le risque d'un défaut majeur de financement.

En remplacement de la Troïka, et en attendant d'ouvrir des négociations marathon sur la restructuration de sa dette, Athènes souhaite obtenir un « prêt-relais » auprès des Européens et du FMI. Ce prêt doit lui permettre de faire face aux prochaines échéances de remboursement de sa dette (dont six milliards d'euros à rembourser à la BCE en juillet), tout en lançant sans attendre son programme « humanitaire » à destination des plus précaires.

Mais ce prêt-relais n'enthousiasme pas les Européens. Ces derniers ne veulent en fait envisager, pour le dire vite, qu'une « extension » ou un « renouvellement » du programme actuel de la Troïka, sous un autre nom. « Le “prêt relais” préféré des Européens, ce ne serait que le travestissement du programme actuel d'aide », résume un proche du dossier. Mais le gouvernement de Tsipras, lui, se refuse à défendre une « extension » d'un programme contre lequel il s'est élevé pendant toute sa campagne électorale. « Le concept même d'“extension” du programme gêne politiquement les Grecs », confirme un diplomate européen.

Cet échec est une petite surprise. Devant le parlement grec, mardi, Varoufakis avait arrondi certains angles, semblant préparer le terrain à une négociation. Il avait expliqué, en particulier, qu'il considérait que 30 % des mesures exigées à la Grèce, dans le « mémorandum » qui sert de référence pour le plan d'aide de la Troïka, sont « toxiques » pour le pays. Certains observateurs bruxellois s'étaient alors dépêchés de conclure qu'Athènes était prêt à « recycler » 70 % des réformes proposées par la Troïka, et y avaient vu une bonne nouvelle en amont de l'Eurogroupe…

La balle est désormais dans le camp du premier ministre grec, Alexis Tsipras, qui doit participer, ce jeudi à partir de 13 heures, à son premier conseil européen, là encore dans la capitale belge. Officiellement, les 28 ne sont pas censés rentrer dans le détail du dossier grec, le président du conseil, Donald Tusk, préférant laisser la main à l'Eurogroupe sur ce dossier qu'il juge technique (et la crise ukrainienne risque d'accaparer une bonne partie de l'agenda). Mais il y a fort à parier que Tsipras prendra la parole, pour défendre la position d'Athènes, et revenir à l'offensive sur le dossier.

Au cours de la discussion, mercredi soir, plusieurs ministres ont aussi fait savoir à Athènes que le gouvernement grec n'était pas le seul soucieux de respecter ses citoyens, et ses électeurs. Des États membres, dont l'Allemagne, la Finlande ou les Pays-Bas, ont organisé un vote devant leurs parlements nationaux, pour valider le deuxième plan d'aide à la Grèce (celui qui prendra fin le 28 février), pour valider le prêt accordé à Athènes. « Chaque État membre souhaite que ses électeurs soient écoutés », a résumé Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, mercredi soir.

C'est l'un des facteurs qui va encore complexifier l'équation grecque à résoudre d'ici fin février : en cas d'« extension » ou de « renouvellement » de l'aide à Athènes, et donc de réécriture du fameux « mémorandum », de nouveaux votes devront être organisés dans certains parlements de la zone euro, notamment au Bundestag allemand. De quoi alimenter de nouveaux épisodes de la saga grecque, encore très loin de son dénouement.

BOITE NOIRETraduction du 'Tweet' en bas de page : « Alors comme ça, tu dis que Wolfgang est le seul doté d'une “véritable substance intellectuelle”… » Pour expliquer le regard noir adressé par Jeroen Dijsselbloem, le patron néerlandais de l'Eurogroupe, à Yanis Varoufakis, certains ont fait référence, avec humour, à un entretien publié dans l'hebdo allemand Stern cette semaine, dans lequel Varoufakis explique que Wolfgang Schäuble, ministre des finances allemand, avec qui il a de nombreux désaccords, est « peut-être le seul homme politique européen avec de la substance intellectuelle ». La version anglaise de l'entretien est ici.

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Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »

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Comme nous l’avons indiqué en présentant le premier volet de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et argumentées qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l'économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publique la première de ces notes qui est en date du 11 septembre 2012 et qui témoigne de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès les premiers mois du quinquennat de François Hollande (lire 2012-2014: les notes secrètes de Montebourg à Hollande), nous publions aujourd’hui la deuxième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur les désaccords qui existaient, même s’ils n’étaient pas encore sur la place publique, entre le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Longue de 17 pages, cette note est datée du 29 avril 2013, soit un peu plus de sept mois après la première note, et prend la forme d’un « Mémorandum en faveur d’une nouvelle stratégie de croissance dans la politique économique européenne de la France ». Sur la page de garde, on apprend que le document est cosigné par « Arnaud Montebourg et son équipe d’économistes dirigée par Xavier Ragot, professeur associé à l’École d’économie de Paris, chercheur au CNRS ». Connu pour ses travaux d’inspiration néo-keynésienne, l’économiste est depuis devenu le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), l’un des rares instituts qui s’inscrivent dans ce même courant de pensée.

Voici donc ce mémorandum : il est possible de le télécharger ici ou de le consulter ci-dessous :

 

Le premier constat qui saute aux yeux à la lecture de ce document, c’est qu’il vient, de nouveau, confirmer la profondeur des désaccords qui opposent le chef de l’État et Arnaud Montebourg, l’une des principales figures du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

Cette fois, les choses sont dites avec moins de prudence ou de précaution que lors de la note du 11 septembre 2012. Plus question de demander simplement une atténuation du plan d’austérité, pour qu’il porte non plus sur 33 milliards d’euros mais seulement sur 25 ! Désormais, Arnaud Montebourg plaide non pas pour des ajustements mais « pour une autre politique économique européenne ». Il demande un véritable « virage politique ». En clair, les désaccords se sont radicalisés.

C’est le premier enseignement de cette note. Alors qu’en public, mis à part la controverse autour de Florange, Arnaud Montebourg cultive son volontarisme industriel mais semble souscrire aux grandes orientations économiques impulsées par François Hollande, en privé il apparaît que les deux hommes ont deux visions économiques opposées.

C’est ce que suggèrent les deux signataires du mémorandum, dès leurs premiers constats : « La crise économique commencée en 2007 est d’une ampleur inconnue depuis celle de 1929. L’endettement des pays développés se rapproche des records historiques atteints après la fin de la seconde guerre mondiale (111,4 % du PIB prévus pour un record de 116 %). Chacun sait qu'il faudra probablement une dizaine d’années voire une génération pour absorber un tel choc économique. Face à ce risque de dislocation économique, les règles que se sont imposées les pays européens, dans presque tous les domaines, sont les liens juridico-politiques qui les font aujourd’hui couler ensemble, alors que chacun aurait besoin de liberté de mouvement pour aider l’Europe à remonter à la surface, avec les atouts propres à chaque pays. La paralysie politique européenne conduit les règles du passé à corseter le présent et empêcher le sursaut », écrivent-ils.

Tout au long de leur note, les deux auteurs multiplient donc les messages alarmistes. Faisant valoir que « la politique européenne actuelle »  est l’une « des plus restrictives et des moins favorables à la croissance au monde », ils appellent à la rescousse l’économiste Daniel Cohen qui peu de temps avant, dans le magazine Challenges (n°335, daté 7 mars 2013), a fait cette déclaration fracassante : « Cela ressemble à un suicide collectif. Les règles budgétaires de l'Union européenne exigent des États qu'ils reviennent au-dessous d'un déficit public de 3 % du PIB, sans prendre en compte le fait que ces mesures creusent la récession et rendent l'objectif impossible à atteindre. »

En somme, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot disent en privé à François Hollande ce que nombre d’économistes répètent en France et à l’étranger mais que le chef de l’État ne veut pas entendre – ou fait mine de ne pas vouloir entendre : l’Europe et la France avec elle courent à la catastrophe. Critiquant la Banque centrale européenne qui persiste à vouloir lutter contre des menaces inflationnistes au moment où il n’y en a plus aucune et où bientôt, même, des pressions déflationnistes commenceront à se manifester, les deux auteurs déplorent que « le rachat des dettes publiques » par la banque centrale « reste tabou » et pronostiquent le pire : « L’Europe ne se fissure désormais plus sur le front des marchés financiers mais sur celui de l’économie réelle, du chômage et de la croissance, qui font douter gravement les opinions publiques, et conduiront les peuples à désigner des gouvernements qui mettront fin à l’Euro. »

Plus loin, ils insistent : « C’est toute l’Europe qui s’installe dans une spirale récessive (…) Le résultat de ces politiques sera une très faible croissance européenne, une désindustrialisation aggravée, une augmentation de la divergence des économies européennes et une augmentation des inégalités au sein des pays et entre les territoires. Dans les pays du Sud, la stabilisation des comptes publics se fera au prix de la désagrégation du tissu productif. Bien sûr, le processus s’arrêtera à un moment, lorsque les comptes publics seront revenus à l’équilibre. L’économie devra alors se reconstruire sur un champ de ruines industrielles. »

Alors que publiquement François Hollande continue de s’évertuer à dire qu’il honorera son principal engagement, celui d’une inversion de la courbe du chômage d’ici la fin de 2013, Arnaud Montebourg et Xavier Ragot assurent en privé dans cette note – mais ils ne manifesteront pas publiquement ce profond scepticisme – qu’ils ne donnent pas le moindre crédit au propos présidentiel. Tout au contraire : si l’Europe se fissure, étouffée par la politique d’austérité, la France elle-même en paiera le prix : « La politique de rigueur généralisée court-termiste est une erreur macroéconomique grave qui nous coûte des millions d’emplois au niveau européen. Le présent mémorandum démontre que cette politique devrait coûter à la France de l’ordre d’un million d'emplois perdus supplémentaires si elle était poursuivie. C’est ce que nous montrent les simulations économiques de l’OFCE, réalisées à la demande du Ministère du Redressement Productif. »

Le pronostic est pour le moins saisissant. Exactement à la même époque, François Hollande court micros et caméras pour jurer ses grands dieux que le chômage, c’est certain, commencera à baisser avant la fin de l’année 2013. Et comme tout le reste de la presse, Mediapart tenait la chronique régulière de l’optimisme affiché par le président de la République. Dans un article intitulé Chômage : la dangereuse politique du laisser-faire et publié le 27 décembre 2012, soit quatre mois avant cette note, nous établissions ainsi un florilège des propos du chef de l’État : « À la fin de l’année 2013, nous devons inverser la courbe du chômage »,déclarait-il ainsi un jour, au marché de Rungis. « Le chômage ne va cesser d’augmenter pendant un an », mais « la volonté qui est la mienne, c’est qu'à la fin de l’année 2013, et ça va être long, il y ait une inversion » de la courbe, c’est-à-dire que le chômage « à ce moment-là régressera », professait-il le lendemain au micro d’Europe 1.

Mais, à l'époque, les deux auteurs n’accordent visiblement pas le moindre crédit aux engagements publics et répétés du chef de l’État. Et ils s’appuient sur des travaux de l’OFCE, pour adresser le tableau ci-dessous au chef de l’État, tableau qui suggère que ce dernier raconte de pures et simples balivernes à l’opinion. En clair, ce que montre ce tableau, c'est que la poursuite de la politique d'austérité entraînera mécaniquement une explosion du chômage.

Stupéfiant, le pronostic retient d’autant plus l’attention qu’il s’est, comme on le sait, en grande partie réalisé, le chômage ne cessant de progresser tout au long de 2013 mais aussi de 2014, tout comme en ce début d’année 2015. Ce qui n’a rien de vraiment étonnant, car la plupart des experts, à commencer par ceux de l’assurance-chômage, ont toujours défendu l’idée que la poursuite de la politique d’austérité conduirait mécaniquement, quoi qu’en dise le gouvernement, à une explosion du chômage.

De tout cela, les deux coauteurs tirent donc la conclusion qu’il faut « une autre politique européenne et française ». « Un arrêt rapide des politiques d’austérité est probablement la politique la plus sûre pour que les pays les plus endettés aient les moyens de payer leurs dettes. (…) Une politique alternative est possible, qui n’introduit pas de changements institutionnels profonds. Elle consiste à arrêter les plans de rigueur en Europe pour mener des politiques favorables à l'investissement productif », expliquent-ils.

Estimant que « l’arrêt de la rigueur en Europe en 2014 doit devenir l’objectif politique de la France », ils font valoir à François Hollande que la France en serait aussitôt soulagée : « L’arrêt des politiques de réduction de déficits structurels en Europe permettrait de sauver plus de 800 000 emplois en France. » Et pour expliquer comment ils en arrivent à ce chiffre de 800 000 emplois, ils appellent de nouveau les simulations de l’OFCE à la rescousse : « Le tableau 3 montre les résultats de cette politique d'arrêt de la rigueur pour la France seule. Le taux de chômage baisse à 8,6 % en 2017 au lieu de 11,4 %, soit 800 000 chômeurs de moins. »

En conclusion, les deux auteurs préconisent donc une réorientation de l’Europe, impulsée par de nouvelles alliances : « Cette politique alternative repose sur la motivation des pays dits du Sud pour changer l’orientation de la politique européenne. Les pays du Nord seront à convaincre, même s’ils bénéficieraient aussi (mais relativement moins) d’un changement d’orientation politique. Le pivot de ces changements sera probablement un axe franco-italien », écrivent-ils.

Et soudainement la note passe du « nous » au « je », comme si Arnaud Montebourg voulait endosser seul la responsabilité de la conclusion du raisonnement : il n’y aura pas de réorientation réelle de l’Europe, tant que François Hollande refusera d’affronter politiquement Angela Merkel : « Je préconise l'ouverture de la grande explication avec l'Allemagne, qui a le plus à perdre d'une sortie ordonnée et concertée de l'Euro que la France. Un accord franco-allemand permettrait de faire évoluer la Commission européenne qui a une lecture trop restrictive des traités. »

Cette deuxième note vient donc confirmer l’impression qui se dégageait déjà, de manière à peine moins marquée, à la lecture de la première note : en réalité, l’histoire de ce nouveau pouvoir qui s’installe aux affaires est en grande partie celle d’une fiction. Car si François Hollande est finalement parvenu à se faire élire président de la République, c’est en grande partie parce que Arnaud Montebourg, son rival lors des primaires socialistes de 2011, s’est rallié à sa candidature, et non à celle de Martine Aubry. Mais en réalité, à peine au pouvoir, les deux alliés, même s’ils ne l’affichent pas, ne sont plus d’accord sur rien. En tout cas, plus d’accord sur l’essentiel…

À suivre : quand, début 2014,  Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d'emplois

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Les trois fonds vautours qui voulaient dépecer une PME mordent la poussière

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Victime de l’exceptionnelle cupidité de trois fonds d’investissements, la PME de la Sarthe dénommée FPEE dont Mediapart a récemment raconté les tribulations (lire Les mésaventures d’une PME dépecée par trois fonds vautours) vient de gagner sa confrontation.

Dans notre enquête, nous racontions dans quelles conditions trois fonds d’investissement, Naxicap (filiale de Natixis), Pragma et Equistione, qui sont les trois principaux actionnaires de cette société de menuiserie industrielle installée à Brûlon (Sarthe), avaient voulu en avril dernier imposer à l’entreprise de s’endetter de 200 millions d’euros, afin qu’elle serve aux actionnaires un dividende de 133 millions d’euros ; puis comment, se heurtant aux refus des dirigeants de l’entreprise, la présidente exécutive de la société Cécile Sanz et le président du conseil de la holding de tête et fondateur de la société, Marc Ettienne, ils les avaient démis de leurs responsabilités voilà une semaine.

Mais ce coup de force raconté par Mediapart (dont les bureaux sont installés à Paris, rue... Brulon !) a suscité un violent effet de ricochet. Car lundi dernier, dans tous les centres de production, les salariés de l’entreprise et les responsables des réseaux de distribution ont manifesté leur indignation. Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir par exemple des images de la manifestation qui a eu lieu à Brûlon ce lundi 9 février.

  (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Dans la presse régionale, l’affaire a donc fait grand bruit. Le quotidien le Maine-Libre a ainsi remarquablement fait son travail, relatant une affaire qui, pour être locale, a une grande portée symbolique. Se référant aux enquêtes de Mediapart, le journal nous a aussi donné la parole, dans un entretien que l’on peut lire ici : « Il faut réguler les fonds d’investissements ». Et le tout était agrémenté d'un billet frappé au coin du bon sens, intitulé « La sauvagerie et l'impunité ».

Résultat : les trois fonds vautours qui pensaient avoir les mains libres pour siphonner à leur guise les richesses de l’entreprise, se sont retrouvés au cœur  d’une tourmente imprévue. Élu de la Sarthe, François Fillon a téléphoné au ministre de l’économie, Emmanuel Macron, pour l’alerter. Originaire de la Sarthe, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a lui aussi été contraint de se mêler du dossier.

En bout de course, les trois fonds ont donc été contraints de passer sous les fourches Caudines. Et à l’issue de plusieurs séances de négociations sous l’égide de la préfecture, un « deal » est intervenu, dont le détail n’est pas encore connu – nous nous appliquerons à le trouver –, au terme duquel les deux dirigeants de l’entreprise, Cécile Sanz et Marc Ettienne, retrouvent leurs fonctions de direction générale du groupe. Un accord financier, dont le détail n’est pas plus connu, a également été conclu au terme duquel les trois fonds d’investissement actionnaires majoritaires vont céder leur participation.

L’accord a aussitôt été salué par François Fillon qui, sur Twitter, a salué « une solution de raison qui pérennise l’emploi sur le site de Brûlon ». Et sur la radio France bleue Maine, Stéphane Le Foll s’est dit « très satisfait que la médiation de l’État ait permis de trouver la solution ». « C’était important pour moi de ne pas bloquer cette entreprise et de la mettre en difficulté pour des raisons qui me paraissaient incompréhensibles », a indiqué le porte-parole du gouvernement.

Et naturellement, l'accord a suscité la joie dans l'entreprise, ce jeudi matin, comme en témoigne la vidéo ci-dessous :

Reste deux questions : d’abord, comment l’un des plus grands groupe bancaires comme BPCE, présidé par François Pérol, et sa filiale Natixis, présidée par Laurent Mignon, qui sont les actionnaires de l’un des fonds, Naxicap, peuvent-ils laisser faire, sans contrôle, cette société de gestion ? À l’évidence, le discrédit de cette affaire retombe aussi sur eux. L’une de nos sources nous a assuré que Laurent Mignon s’était tout de même inquiété de l’affaire, quand elle s’est emballée, et s’en est mêlé, mais nous n’avons jamais pu en avoir la confirmation, ce groupe bancaire ne parlant qu’aux journaux amis et pratiquant pour tous les autres l’omerta.

                                                                       (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Et puis, il y a la question de fond : quand donc la question de la régulation des fonds d’investissement sera-t-elle prise à bras-le-corps par la puissance publique ? Pour l’heure, les fonds se régulent eux-mêmes au travers de leur association professionnelle, l’Afic ; autrement dit, ils ne se régulent pas du tout. Et en bout de chaîne, c’est la loi de la jungle, avec des fonds qui se comportent bien et d’autres qui se comportent comme de véritables fonds voyous. L’Afic a d’ailleurs bien compris que, cette affaire étant très choquante, toute la profession risquait d’en subir les contrecoups. Selon le journal financier L’Agefi, l’Afic a demandé à sa commission de déontologie d’entendre les trois fonds. Mais à l’évidence, cela ne saurait dissuader le législateur de se mêler un jour du débat, pour en finir une fois pour toutes avec ces abus invraisemblables.

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Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d'emplois

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Comme nous l’avons indiqué en présentant les deux premiers volets de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et détaillées, qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l’économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publiques la première de ces notes qui est en date du 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande), puis la deuxième, en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »), qui témoignent toutes les deux de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès la première année du quinquennat de François Hollande, nous publions aujourd’hui la troisième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur le véritable fossé qui séparait, même s’il n’était pas encore apparent, le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Longue de 20 pages et datée du 31 janvier 2014, cette troisième note a déjà été évoquée par Le Nouvel Observateur, qui en a révélé les deux premières pages, le 28 août 2014, au lendemain du remaniement ministériel au terme duquel Arnaud Montebourg avait quitté le gouvernement. Ce document a pour titre « Note au président de la République : comment créer 1 million et demi d’emplois d’ici à 2018 » et, de manière manuscrite, Arnaud Montebourg y a ajouté la mention « secret et personnel ». La note est signée par « Arnaud Montebourg et l’équipe d’économistes du ministère du redressement productif ». Contrairement à la note précédente, il n’est pas indiqué explicitement que Xavier Ragot, à l’époque conseiller du ministre et actuel président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), y a prêté la main, mais cette dernière mention le suggère, de même que la tonalité générale de cette note.

Voici donc cette troisième note. Il est possible de la télécharger ici ou de la consulter ci-dessous.

Comme les deux précédentes, cette note adressée à François Hollande commence par un « état d’alerte sur l’économie française », mais celui-ci est beaucoup plus détaillé et documenté que dans les deux autres, et surtout plus grave.

Hausse violente du chômage, stagnation durable de l’économie : le tableau qui est dressé de l’économie française est terriblement sombre, à rebours des déclarations publiques du chef de l’État et du ministre des finances, Michel Sapin, qui annoncent périodiquement une embellie économique. Mais à cette différence d’appréciation sur la gravité de la conjoncture économique s’ajoute un autre diagnostic, que François Hollande et son premier ministre, Jean-Marc Ayrault, réfutent constamment : la France ne souffre pas seulement d’un problème d’offre ; elle souffre tout autant d’un problème de demande.

Dans cette note, c’est donc un nouveau front qu’ouvre Arnaud Montebourg, car progressivement, au fil des premiers mois du quinquennat, François Hollande a fait de la compétitivité des entreprises, avec la baisse des déficits publics, l’une des deux priorités de son quinquennat. Dès l’été 2012, une réflexion est lancée sur le sujet, et un rapport est commandé à Louis Gallois, l’ancien patron d’EADS. Puis un premier « choc de compétitivité » est lancé dès début 2013, apportant 20 milliards d’euros aux entreprises sous la forme d’un crédit d’impôt, baptisé CICE. Et le 31 décembre 2013, lors de son allocution pour présenter ses vœux au pays, François Hollande porte à près de 40 milliards d’euros le total des allègements sociaux et fiscaux alloués aux entreprises, sous le biais de ce qu’il dénomme le pacte de responsabilité.

Une bonne partie de la presse s’extasie alors sur le virage « social-libéral » négocié en cette fin d’année 2013 par le chef de l’État, même si la politique annoncée est plutôt d’inspiration néolibérale et si le virage a, en fait, été amorcé dès le mois de juillet 2012.

Écrite un mois après cette annonce majeure du chef de l’État, cette note prend donc en partie le contre-pied de la nouvelle doctrine dont s’inspire l’Élysée. Car Arnaud Montebourg précise bien que, si la conjoncture est aussi déplorable, ce n’est pas seulement parce que les entreprises souffrent d’un problème d’offre ; c’est aussi parce que la demande est bridée par un pouvoir d’achat des ménages qui s’effondre.

Cette réalité que le gouvernement refuse de regarder en face, Arnaud Montebourg s’y attarde donc, s’appliquant à chiffrer cette baisse du pouvoir d’achat, qui plombe aussi l’économie : « Sur la période 2012-13, la perte de pouvoir d’achat serait en moyenne d’environ 1 000 euros par ménages. (…) En 2014, la hausse de la pression fiscale pour les ménages (hausse de la TVA pour 5,6 milliards, réforme des retraites pour 2,2 milliards, réforme de la politique familiale pour 1,5 milliard…) et les économies sur la dépense publique vont continuer à peser fortement sur le pouvoir d’achat des ménages et donc sur la demande adressée aux entreprises », met-il en garde.

Le ministre du redressement productif en tire la conclusion qu’il est vain de prétendre redresser la compétitivité des entreprises si, dans le même temps, les entreprises souffrent d’un manque de plus en plus fort de débouchés, compte tenu d’une demande déprimée. En quelque sorte, Arnaud Montebourg reproche au chef de l’État d’avoir, avec le pacte de responsabilité, mis au point un cadrage économique – un « policy-mix », comme disent les économistes – qui n’est pas le bon : « Si l’on veut que les entreprises utilisent le redressement de leurs marges, permis par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, pacte de responsabilité), à l’investissement et à l’embauche, il faut s’assurer que la demande tirée par le pouvoir d’achat ne s’affaiblisse pas davantage », dit-il.

Ainsi, Arnaud Montebourg alerte François Hollande sur le fait qu’il faut d’urgence rectifier le tir et mettre au point « une nouvelle stratégie économique », un « nouveau policy-mix équilibré ».

Arnaud Montebourg présente une solution qui pourrait permettre à François Hollande de ne pas remettre en cause le pacte de responsabilité qu’il vient tout juste d’annoncer et qui va préempter toutes les marges de manœuvres disponibles. Il lui propose juste d’ajuster le cadrage de sa politique économique en fonction d’une règle qu’il présente comme celle des « trois tiers » : « Dans la nouvelle stratégie macroéconomique, nous proposons un nouveau redéploiement des économies réalisées sur la dépense publique sur la période 2014-17. Les économies générées seront redéployées selon la règle des trois tiers : - un tiers sera affecté à la réduction du déficit structurel (1 point de PIB) ; - un tiers à la baisse des prélèvements obligatoires des entreprises intégrant notamment le pacte de responsabilité (1 point de PIB) ; - un tiers à la baisse de la pression fiscale sur les ménages (1 point de PIB). Cette règle de redistribution des économies permettrait à la fois d’accroître la compétitivité de nos entreprises et de redonner du pouvoir d’achat aux ménages, soutenant ainsi l’activité et réduisant le déficit conjoncturel. »

Arnaud Montebourg renoue donc avec la fameuse règle des « trois tiers » que Michel Rocard avait inventée en 1988, quand il avait accédé à Matignon, dans une période où le contre-choc pétrolier avait apporté à la France une éphémère période de prospérité – une règle que François Hollande piétine allègrement à partir de 2012, quand il fait des entreprises sa seule et unique priorité.

Et pour essayer de convaincre François Hollande que cette « nouvelle stratégie » serait beaucoup plus vertueuse que la sienne, celle qui a guidé la mise au point du projet de loi de finances pour 2014 (PLF 2014), il lui place sous les yeux un tableau confectionné par son équipe d’économistes, comparant les effets des deux politiques :

À la lecture du tableau, la démonstration d’Arnaud Montebourg semble imparable : cette nouvelle stratégie conduirait à un redémarrage de la croissance (1,8 % au lieu de 0,9 % dès 2014) ; à la création de 1,32 million d’emplois en quatre ans, dont 318 000 dès 2014 et à une baisse du taux de chômage sous la barre des 10 % dès 2014. Et – miracle des miracles – le retour de la croissance aurait pour effet de faciliter la réduction des déficits et la baisse de la dette publique à l’horizon de 2017.

Et l’on aurait tort de penser qu’Arnaud Montebourg propose à François Hollande de s’inspirer d’une doctrine économique, celle du néo-keynésianisme, que ce dernier est incapable de suivre. Car, si une bonne partie de la note est effectivement d’inspiration keynésienne, le keynésianisme d’Arnaud Montebourg n’en est pas moins mâtiné de néolibéralisme. Et on peut le vérifier dans la dernière page de cette note. Le ministre insiste en effet sur le fait que « la France doit, en contrepartie d’un assouplissement des contraintes budgétaires et monétaires, apporter des gages de crédibilité auprès des marchés financiers et de Bruxelles ». En clair, elle doit engager quelques-unes de ces fameuses réformes structurelles dont Bruxelles ou le FMI chantent sans cesse les vertus, et qui sont clairement d’inspiration néolibérales.

Et à l’appui de sa démonstration, Arnaud Montebourg évoque une panoplie de mesures possibles, parmi lesquelles la poursuite, « par le biais du pacte de responsabilité, de la baisse du coût du travail » ou encore « de nouvelles mesures contre la segmentation du marché du travail, entre les emplois temporaires et les emplois durables, afin de répartir plus équitablement la charge de la flexibilité entre les différentes catégories d’actifs, tout en développant un volet “sécurité” efficace » – une formule un peu tarabiscotée pour plaider pour davantage de flexibilité.

En somme, Arnaud Montebourg poursuit avec cette note cet étrange débat à sens unique qu’il entretient depuis septembre 2012 avec le chef de l’État. Un soliloque très précautionneux au cours duquel il prend bien soin, comme on vient de le voir, de ne suggérer que des ajustements hollando-compatibles.

Peine perdue ! Si friand dans le passé des synthèses, François Hollande les refuse toutes à partir de 2012, dans la définition de sa politique économique une fois maître de ce lieu de pouvoir sans contre-pouvoir, la présidence de la République. Début 2014, Arnaud Montebourg le vérifie une nouvelle fois à ses dépens avant de succomber à l’illusion d’une éphémère victoire.

À suivre : quand, au lendemain des municipales de 20014, Montebourg posait à Hollande ses conditions pour rester au gouvernement

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Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls

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Comme nous l’avons indiqué en présentant les trois premiers volets de cette série, Arnaud Montebourg a cédé à notre insistance et accepté de remettre à Mediapart les quatre notes, longues et détaillées, qu’il a, de proche en proche, remises confidentiellement à François Hollande du temps où il était encore ministre du redressement productif puis de l’économie, pour tenter de le convaincre de changer sa politique économique et européenne, et de tourner le dos aux politiques d’austérité.

Après avoir rendu publiques la première de ces notes, en date du 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande), puis la deuxième, en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne »), et enfin la troisième, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), qui témoignent toutes les trois de très vifs désaccords dans les sommets du pouvoir socialiste, jusque-là tenus secrets, dès les débuts du quinquennat de François Hollande, nous publions aujourd’hui la quatrième de ces notes, qui apporte un nouvel éclairage sur le fossé qui séparait, même s’il n’était pas encore apparent, le chef de l’État et le ministre du redressement productif.

Cette quatrième note, la voici. Il est possible de la télécharger ici ou de la consulter ci-dessous.

Beaucoup plus court que les précédents, ne comprenant que quatre pages, ce texte n’est en vérité pas une note, mais une lettre. Et elle est surtout écrite dans un contexte politique très particulier. Cette lettre est en effet datée du « dimanche 30 mars 2014 au matin », c’est-à-dire une semaine après le premier tour des élections municipales, qui a été un échec cuisant pour le Parti socialiste et le gouvernement, et quelques heures seulement avant les résultats du second tour, qui va tourner en débâcle historique pour les socialistes.

À l’heure où il prend la plume, Arnaud Montebourg ne sait pas encore avec précision que le Parti socialiste va connaître le soir même l’une des défaites les plus graves de son histoire, avec à la clef la perte de plus de 150 villes de plus de 9 000 habitants, parmi lesquelles des bastions historiques comme Toulouse ou Limoges ; ou une progression spectaculaire du Front national, qui fait jeu égal avec le PS à Marseille et qui rafle des villes comme Béziers, Fréjus, Villers-Cotterêts, Beaucaire ou encore Hayange.

Mais il a toutes les raisons de le pressentir car nul n’ignore, à quelques heures des résultats, la gravité des événements qui se profilent. Et la lettre d’Arnaud Montebourg est marquée de cette inquiétude. Le ministre du redressement productif écrit donc au chef de l’État pour le presser une nouvelle fois de changer de politique économique et le prévenir, de manière certes courtoise mais ferme, qu’il ne faut pas compter sur lui pour rester dans le prochain gouvernement si ce changement de cap n’est pas décidé.

Des quatre notes d'Arnaud Montebourg que nous révélons, celle-ci est donc la plus importante. Car elle résume les propositions de réorientation de la politique économique qui parcouraient les trois notes précédentes, mais elle révèle un épisode clef, jusque-là mal connu, du quinquennat de François Hollande: par cette lettre secrète, Arnaud Montebourg pose ses conditions pour entrer au gouvernement de Manuel Valls – qui a lui-même connaissance de cette missive. Et la lettre éclaire aussi rétrospectivement les conditions dans lesquelles la rupture du mois d'août suivant surviendra: Arnaud Montebourg qui quitte alors le gouvernement, à l'occasion du remaniement suscité par son discours de Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), considèrera qu'il n'a fait que défendre le nouveau cap contenu dans cette lettre du 30 mars, lettre sur la base de laquelle il avait été nommé ministre de l'économie.

Bien dans le style d’Arnaud Montebourg, la lettre à François Hollande commence, en exergue, par une citation de saint Augustin : « La crainte de perdre ce que l'on a nous empêche d'atteindre ce que l'on est. » Ce qui peut sans doute se traduire de manière moins aimable de la manière suivante : conservateur et conformiste, le gouvernement a perdu son âme… socialiste !

Soit dit en passant, cette citation a une petite histoire. Quittant Bercy, le 25 août 2014, Arnaud Montebourg fait un discours d’adieu, truffé de citations de grands auteurs, citant pêle-mêle Cincinnatus et de nouveau… saint Augustin. Mais ce jour-là, le ministre qui va bientôt ne plus l’être se fait taper sur les doigts par Le Figaro qui établit le caractère très approximatif de la citation du philosophe berbère. La fameuse citation n’apparaît en effet que dans la fiche Wikipédia de saint Augustin, mais selon le quotidien, ce n’est pas une citation exacte ; ce n’est en fait qu’un résumé de l'exégèse de la pensée du saint faite par la philosophe Hannah Arendt dans son livre, Le Concept d'amour chez Augustin (Payot, 1999).

Quoi qu’il en soit, le début de la lettre est ensuite très courtois : Arnaud Montebourg s’applique à rappeler au chef de l’État que, même en désaccord avec l’orientation économique impulsée depuis l’été 2012, il n’en a pas moins été un bon petit soldat, s’appliquant pour le domaine dont il avait la charge, celui de l’industrie, à assumer son office, pour que des pans entiers de notre économie ne soient pas engloutis sous le raz-de-marée des plans sociaux et de la mauvaise conjoncture.

Mais ce préambule étant fait, le ministre entre dans le vif de son sujet : « Nous sommes arrivés à un moment où je crois nécessaire – après des élections municipales qui ont donné la parole aux Français et qui s’en sont vigoureusement saisis – de nous interroger en liberté de conscience sur la force et la pertinence des orientations décidées pour notre pays. » Et faisant allusion aux notes précédentes, il ajoute : « Je vous ai – déjà à plusieurs reprises – fait part de ma vision personnelle de la nécessaire rupture qu’il nous faut accomplir sous votre autorité dans l’intérêt à la fois de notre pays et de l’idéal que nous portons ensemble. Ce changement profond que j’appelle de mes vœux doit avant tout concerner les grandes orientations économiques prises par notre pays, qui sont à l’origine de la grave perte de confiance dans leurs chefs que les Français expriment durement. »

« Rupture », « changement profond » : le ton de la lettre est donnée. Alors que dans les notes précédentes, Arnaud Montebourg plaidait pour des ajustements ou des infléchissements, il se montre désormais plus pressant, soulignant que la sanction des électeurs invite à un sursaut.

Soulignant que la croissance est en train de revenir un peu partout dans le monde, sauf en Europe, où les économies étouffent du fait des politiques d’austérité, Arnaud Montebourg invite donc François Hollande à observer qu’il a foulé au pied ce qui était l’un de ses principaux engagements de campagne : « Est-il permis de rappeler que nous avions promis aux Français une réorientation de l’Europe qui n’est jamais venue ni dans les discours ni dans les actes ? » L’accusation est grave, et elle est ponctuée de ces autres remarques : « Pour gagner la bataille de l’emploi, il n’est pas d’autre choix que de combattre l’austérité obsessionnelle de la Commission, et imposer avec nos alliés et amis européens une politique européenne de croissance. »

La charge contre la Commission se prolonge ensuite par une charge contre la politique économique qui est suivie en France. Et la courtoisie du ton ne doit pas faire illusion : le ministre dresse alors un réquisitoire extrêmement sévère du cap choisi par François Hollande – un réquisitoire que ne renierait sans doute pas un Jean-Luc Mélenchon ou tout autre leader de la gauche de la gauche. Il faut donc lire ces passages avec attention, car ils résument en fait tous les désaccords qui se sont accumulés entre Arnaud Montebourg et François Hollande.

« Améliorer la rentabilité de nos entreprises ne peut pas marcher avec une politique de rétablissement dogmatique des comptes publics qui assèche le pouvoir d’achat des ménages, dégarnit les carnets de commandes de nos entreprises et alimente la récession européenne, écrit-il. En outre, l’expérience de rétablissement des comptes publics dans de nombreux pays européens montre que pour régler rapidement la dette publique, il est nécessaire de disposer d’inflation raisonnable et de croissance. Or les dogmes politiques européens austéritaires conduisent rigoureusement à l’inverse, à la déflation et la récession, lesquelles empêchent cette politique de rétablissement des comptes publics d’avoir le moindre résultat. C’est malheureusement le chemin que prend notre pays, si les recommandations de la Commission européenne n’étaient pas vigoureusement combattues : nous subirions alors à la fois la hausse non interrompue du chômage et l’échec sur les déficits et la dette. »

Et ces constats sont ponctués de cette formidable interpellation : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Arnaud Montebourg presse donc François Hollande de mettre en œuvre la réorientation économique qu’il lui a proposée dans ses notes antérieures, et notamment dans la troisième, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Holnade comment créer 1,5 million d’emplois), dans laquelle il lui recommandait de prendre pour fil conducteur de la politique économique une règle dite des trois tiers : « Ces propositions consistent en un redéploiement des efforts des Français dans une règle juste et équilibrée des trois tiers : un tiers reviendrait au pouvoir d’achat des ménages, un tiers à la compétitivité de nos entreprises et un dernier tiers reviendrait à la réduction de nos déficits garantissant ainsi notre sérieux budgétaire. »

Insistant sur le fait que ces propositions reflètent « ce qu’ont demandé les Français dans leur vote », dès le premier tour de ces élections municipales, il en vient aussi à ce qui est, en fait, l’objet de cette lettre : il prévient le chef de l’État qu’il ne restera pas dans le prochain gouvernement, si ces propositions ne sont pas retenues : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la conditions sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. »

Toute la fin de la lettre est à l’avenant : Arnaud Montebourg prévient, en termes très polis mais sans ambiguïté, que si cette réorientation n’est pas décidée, ce sera… sans lui !

« Comment pourrais-je continuer dans ma mission difficile alors que les efforts que mon équipe, mon administration et moi-même accomplissons pour sauver l’industrie et faire naître une nouvelle France industrielle sont et seront contredits et découragés sans cesse par les décisions économiques et fiscales qui épuisent l’économie et les entreprises, décisions prises jusqu’à présent hors de toutes délibérations collectives et dans le refus obstiné de la collégialité gouvernementale. (…) Telles sont les raisons pour lesquelles je vous demande instamment de faire mouvement sur les choix cruciaux de politique économique. (…) J’attends avec espoir que vous vous déclarerez prêt à ouvrir vos décisions vers ces nouveaux horizons qui feront avec moi espérer à nouveau les Français. »

On connaît donc la suite. Dès le lendemain, le lundi 1er avril, Jean-Marc Ayrault présente la démission de son gouvernement. Et aussitôt, François Hollande désigne Manuel Valls comme nouveau premier ministre et le charge de constituer le prochain gouvernement, gouvernement dans lequel Arnaud Montebourg devient ministre de l’économie.

Cela suggère-t-il que François Hollande a finalement décidé de « faire mouvement » comme l’y en presse depuis si longtemps l’auteur de ces notes ? Et cela signifie-t-il que le nouveau premier ministre, Manuel Valls, qui a lui-même appelé Arnaud Montebourg au téléphone pour lui annoncer le portefeuille stratégique qu’on lui proposait à Bercy, était lui-même d’accord avec cette réorientation ? Un accord avait-il même était scellé en ce sens entre Manuel Valls et Arnaud Montebourg ?

À l’époque, c’est ce que croit le nouveau ministre de l’économie – ou ce qu’il fait mine de croire ? En tout cas, l’équivoque ne dure pas longtemps. Très vite, François Hollande fait comprendre qu’il n’a pas la volonté de changer le moins du monde le cap de sa politique économique. Et dans le courant du mois d’août suivant, Manuel Valls fait grief à Arnaud Montebourg d’avoir tenu en public, à Frangy-en-Brie, des propos assez proches de ceux, exprimés en privé, de cette lettre au chef de l’État. Présentant la démission de son gouvernement, il est aussitôt chargé d’en constituer un autre dont ne font partie, ni Arnaud Montebourg, ni Aurélie Filippetti, ni Benoît Hamon.

Avec le recul, cette lettre du 30 mars 2014 prend donc un très fort relief : quand il est nommé, le 2 avril 2014, ministre de l'économie, Arnaud Montebourg peut considérer qu'il a pour mission de mettre en oeuvre cet infléchissement de la politique économique. Et par anticipation, cette lettre expose les raisons du divorce qui surviendra cinq mois plus tard...

À suivre : Ce que révèlent ces quatre notes, avec les explications d'Arnaud Montebourg.

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Le changement climatique refroidit les investisseurs

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Puits de pétrole près de Denver dans le Colorado (Reuters).Puits de pétrole près de Denver dans le Colorado (Reuters).

L’année 2015 démarre mal pour les groupes pétroliers. Les bénéfices de Total chutent de 10 %, son résultat net de 62 %, vient d’annoncer son nouveau PDG, Patrick Pouyanné. Tous ses grands concurrents internationaux réduisent drastiquement leurs dépenses de développement : 2 milliards de dollars en moins pour BP, 9 milliards pour Shell, 5,5 milliards pour Exxon. Quant à Gazprom, il divise ses investissements par deux. Dans cette industrie autrefois florissante, des milliers d’emplois doivent disparaître en 2015. En France, Total va supprimer 2 000 postes. L’effondrement du cours du pétrole, passé de 115 dollars le baril l’été dernier à environ 60 dollars mi-février, siphonne les recettes de ces mastodontes énergétiques. La crise n’est pas circonscrite à l’or noir. Le secteur gazier européen est en pleine bérézina. Et le cours du charbon s’est effondré depuis quatre ans (-67 % entre 2011 et 2014).

Pétrole, gaz, charbon : c’est toute l’économie des hydrocarbures qui se retrouve ébranlée. Favorable à la demande, le bas prix du pétrole est mauvais pour l’offre. Si bien que de plus en plus d’analystes alertent sur le risque d’une “bulle carbone” : les actifs du secteur des énergies fossiles risquent de perdre une grande partie de leur valeur.

Car à la dépression conjoncturelle du marché du brut, voulue par les pays de l’Opep pour lutter contre le gaz de schiste américain, s’ajoute un péril structurel pour le business des hydrocarbures : le dérèglement climatique. Et pour une fois, ce ne sont pas des écologistes qui l’affirment mais des analystes financiers. « Le risque climatique devient synonyme de risque réputationnel », selon Luisa Florez, analyste senior chez Axa (branche Investment managers, IM), dans une note officielle qui a aussitôt fait le tour de la planète. Ce risque « ne devrait pas être négligé dans les décisions d’investissement que les investisseurs prennent aujourd’hui » – Axa IM gère 600 milliards d’euros d’actifs. Fin 2014, la Banque d’Angleterre a informé une commission de la Chambre des communes qu’elle lançait une étude sur les risques d’une crise économique causée par les énergies fossiles en cas d’impossibilité d’extraire davantage de charbon, pétrole et gaz.

La bulle carbone représentée par Carbon tracker (DR).La bulle carbone représentée par Carbon tracker (DR).

En janvier 2015, des chercheurs ont estimé dans un article publié par la revue Nature, que pour espérer avoir 50 % de chances de maintenir la réchauffement planétaire à +2°, il fallait limiter les émissions de CO2 dans l’atmosphère à environ 1 100 gigatonnes. Concrètement, cela signifie qu’un tiers des réserves connues de pétrole, la moitié de gaz et 80 % des réserves de charbon ne doivent pas être exploités, et doivent rester dans le sol.

En mai 2014, Standard and Poor’s a publié un rapport sur les impacts potentiels du dérèglement climatique sur les dettes souveraines : les événements climatiques extrêmes (pluies diluviennes, inondations, sécheresses, canicules, incendies…) vont plomber les rendements agricoles, la productivité de la main-d’œuvre et aggraver la mortalité. Cela coûtera cher aux économies, réduira leurs recettes fiscales, leurs capacités d’exportation. Et risque d’endommager leurs capacités à rembourser leurs dettes.

L’agence de notation plaide donc pour la prise en compte du changement du climat parmi les critères d’évaluation des dettes souveraines. Elle a aussi créé un site dédié aux implications financières de la crise climatique.

Dans une note plus directe encore, des analystes de la Deutsche Bank évoquent le risque d’un « pic du carbone » avant un « pic du pétrole ». Si les États veulent sérieusement limiter la hausse de la température globale à 2°, ils ne pourront pas forer la plupart des réserves existantes d’hydrocarbures. Dans ces conditions, « la nature du pétrole change : il n’est plus une marchandise rare dont la valeur augmente avec le temps, il devient un bien périssable qui perd sa valeur s’il n’est pas utilisé ». Les analystes citent le secrétaire d’État britannique à l’énergie, Ed Davey, craignent que les entreprises fossiles ne deviennent « les nouvelles subprimes ».  

Les émissions de CO2 doivent plafonner en 2020, puis baisser de 2,5 % chaque année jusqu’en 2035. Cela équivaut à une baisse annuelle de la demande de pétrole de 0,5 %, alors qu’elle augmente de 1,5 % par an depuis vingt ans. Le récent accord entre la Chine et les États-Unis implique une réduction de 10 % de leur consommation de pétrole sur les quinze prochaines années, écrivent-ils.

Puits de forage de gaz de schiste, plateformes pétrolières, raffineries, gazoducs, oléoducs : il n’est plus délirant d’imaginer qu’un jour, peut-être, cela ne vaudra plus grand-chose. Ce serait un véritable séisme dans l’économie mondiale.

Si les gouvernements croient en ce qu’ils disent et que les négociations en vue de la signature d’un accord sur le climat en décembre 2015 à Paris ont un sens, le monde s’avance vers une bulle du carbone. Ce sont des actifs « bloqués » (« stranded assets »), selon le bureau d’études à but non lucratif Carbon tracker, qui estime que, les dix prochaines années, 1 100 milliards de dollars de dépenses d’investissement seront en jeu pour l’industrie pétrolière. La bulle carbone pourrait représenter 6 000 milliards de dollars. Les réserves d’hydrocarbures sont évaluées entre 4 000 et 5 000 milliards de dollars.

Est-ce l’amorce d’un désinvestissement, c’est-à-dire d’un exil des capitaux en dehors des hydrocarbures ? C’est ce que veut croire 350.org, un réseau militant américain (mais aussi le Wallace Global fund ou encore Divest-Invest), qui organise, ce samedi 14 février, une journée internationale du « divestment » destinée à élargir son combat à un plus large public. Créé par l’universitaire et activiste Bill Mc Kibben, 350.org (comme 350 parties par million de CO2 dans l’atmosphère, niveau qu’il faudrait retrouver pour limiter le réchauffement global, alors que la planète vient de dépasser le seuil des 400 ppm) fait pression sur les universités pour qu’elles détournent leurs fonds d’investissements des énergies fossiles. 350.org s’inspire de la mobilisation anti-apartheid dans les années 1980, qui avait contraint des banques à cesser de placer des capitaux en Afrique du Sud. Selon leurs estimations, près de 50 milliards de dollars sont en cours de désinvestissement dans le monde. Les engagements varient d’ampleur et d’objets : l’université de Stanford en Californie ainsi qu'une faculté du Maine s’engagent à ne plus investir dans le charbon ; la célèbre New School à New York sort des fossiles,  ainsi que CalArts, et l’université catholique de Dayton, dans l’Ohio. Des discussions sont en cours à l’université de Washington à hauteur de 2,3 milliards de dollars de fonds. Une trentaine de villes dont Santa Monica et Seattle se joignent au mouvement. Au Royaume-Uni, l'université Soas (Londres), celles de Bedforshire et de Glasgow ont annoncé des décisions similaires. À l’inverse, Harvard poursuit ses investissements fossiles et Yale a refusé de désinvestir. Le Conseil mondial des églises s’est engagé à se retirer des fossiles. L’archevêque Desmond Tutu, héros de la lutte contre l’apartheid, lui apporte son soutien : « Nous ne pouvons pas continuer à entretenir notre dépendance aux énergies fossiles comme s’il n’y avait pas de lendemain, car ainsi il n’y aura pas de lendemain. »

La première grande victoire symbolique de ce mouvement fut sans conteste le basculement des héritiers de la famille Rockefeller : en septembre 2014, le Rockefeller Brothers Fund (860 millions de dollars d’actifs) a annoncé retirer ses fonds des hydrocarbures, qui représentent 7 % de ses placements. « John D. Rockefeller, le fondateur de Standard Oil, a sorti l’Amérique de l’huile de baleine et l’a fait entrer dans le pétrole. Nous sommes convaincus que s’il vivait aujourd’hui, en habile homme d’affaires regardant vers l’avenir, il sortirait des énergies fossiles et investirait dans l’énergie propre, renouvelable », a déclaré le président du fonds, Stephen Heinz.

Tout aussi symbolique mais bien plus significatif économiquement, le fonds souverain de la Norvège, l’un des plus gros producteurs de pétrole et de gaz, a, en 2014, retiré 32 compagnies minières (dont 16 de charbon) de son portefeuille d’investissement, à cause de leurs émissions de gaz à effet de serre. Il se désengage également des sables bitumineux, de deux entreprises américaines arasant des montagnes pour en extraire le charbon (« mountain top removal »), des cimentiers et des mines d’or. Au total, le fonds d’Oslo investit 40 milliards de dollars dans les énergies fossiles. « Notre approche veut que nous sortions des secteurs et des activités où nous percevons de hauts niveaux de risque pour nos investissements à long terme, a commenté sa porte-parole. Les entreprises qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre peuvent être menacées par des réglementations et des changements qui pourraient faire chuter la demande. » 

Joint au téléphone par Mediapart, Bill Mc Kibben, le fondateur du réseau 350.org, explique que « les gens sont en train d’anticiper que le monde va peut-être agir contre le changement climatique. Si cela se produit, les actifs liés au pétrole et au charbon deviennent instables. Nous n’avons jamais pensé que nous allons conduire l’industrie des fossiles à la banqueroute. Notre boulot, c’est de provoquer leur faillite politique. Afin qu’ils n’aient plus le pouvoir de dominer notre vie politique. Donc quand des institutions importantes ou des personnages politiques importants coupent leurs liens avec l’industrie fossile, cela les affaiblit. Les montants du désinvestissement sont moins importants que de savoir qui s’y rallie. La décision la plus frappante jusqu’ici a été celle de la famille Rockefeller. C’est la première fortune du pétrole historiquement. La décision de Stanford est aussi très importante parce que c’est probablement une des universités parmi les plus attrayantes aux États-Unis, aujourd’hui ».

Tumblr, tweets, page Facebook se multiplient. Même si les 50 milliards désinvestis ne pèsent pas grand-chose en comparaison des 5 000 milliards de réserves d’hydrocarbures, le mouvement de libération des fossiles engrange les victoires symboliques, orchestrées avec un certain génie médiatique. Le lobby des énergéticiens commence à riposter, comme avec cette vidéo qui se moque des partisans de la sortie du pétrole. 



 

En France, difficile de trouver l’équivalent de la mobilisation étudiante américaine et britannique, nos universités n’étant pas des acteurs des marchés financiers. La branche hexagonale de 350.org, Attac, les Amis de la Terre et la fondation France Libertés ont tout de même trouvé une cible : le fonds de réserve des retraites, abrité par la Caisse des dépôts et consignations pour équilibrer à terme le régime des retraites, qui détenait, fin 2013, plus de 922 millions d’euros d’investissements directs dans 60 des plus grosses entreprises mondiales du secteur pétrolier et gazier, ainsi que dans le charbon, selon l’Observatoire des multinationales« Il est aberrant, d'un point de vue économique, social comme politique, de faire reposer le financement d'une partie de nos retraites sur des entreprises polluantes ; autrement dit de préparer l'avenir en détruisant la planète », dénoncent les associations.

 



Les banques hexagonales sont dans le collimateur des Amis de la Terre qui dénoncent leur « argent sale » : celui qu’elles prêtent directement ou qu’elles contribuent à placer, par le biais d’activités de conseil ou de portage. En décembre dernier, la Société générale s’est retirée d’un vaste projet minier en Australie, Alpha Coal, après l’occupation de l’une de ses agences par le mouvement pour la justice climatique Bizi. « L’enjeu, c’est de bloquer tout le bassin minier du bassin de Galilée, qui menace la grande barrière de corail et représente une véritable bombe climatique, explique Lucie Pinson, chargée de campagne finance de l’ONG. S’il se développait comme ses promoteurs le souhaitent, il deviendrait le 7e émetteur de dioxyde de carbone au niveau mondial, juste derrière l’Allemagne. » L’association colle aussi aux basques de BNP Paribas et du Crédit agricole. « Parler d’obligations vertes et de finance climat ne change pas grand-chose si les banques continuent d’investir autant dans le fossile, et sans aucune transparence. Nous voulons qu’elles publient la liste des entreprises à qui elles accordent des prêts, ainsi que les montants en jeu. Il faut qu’elles mesurent les émissions de gaz à effet de serre correspondant à ces opérations, et pas seulement celles des bâtiments de leurs agences ! » Accuser les banques de « climaticides » : un risque « réputationnel » de plus pour le secteur bancaire, déjà secoué par le scandale sur l’évasion fiscale et les pratiques douteuses d’HSBC. 

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Arnaud Montebourg s’alarme d’une «catastrophe» économique et démocratique

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C’est peu dire que les quatre notes qu’Arnaud Montebourg a adressées confidentiellement à François Hollande tout au long des deux années où il a été ministre du redressement productif puis ministre de l’économie, et qu’il a accepté, sous notre insistance, de remettre à Mediapart, sont d’une grande importance. Car elles révèlent sous un jour nouveau la gravité des désaccords sur le cap économique qui existaient dans les rangs de la gauche mais aussi au sein même du gouvernement. Tout comme elles révèlent aussi un épisode jusque-là en grande partie illisible : les conditions dans lesquelles Arnaud Montebourg a accepté de participer au gouvernement de Manuel Valls, au lendemain de la débâcle historique des socialistes lors des élections municipales de mars 2014, et les vraies raisons de son départ du gouvernement lors du remaniement ministériel de la fin du mois d’août 2014.

Ces notes permettent donc de réécrire en partie l’histoire des débuts de ce quinquennat. Et elles permettent, dans le même temps, de mieux comprendre les conditions dans lesquelles la catastrophe économique qui a marqué les premières années de ce quinquennat s’est doublée d’une catastrophe démocratique, puisque ces notes secrètes, comme nous allons le voir, n’ont fait l’objet d’aucun débat public. Et pas même d’un débat en tête-à-tête entre son auteur, Arnaud Montebourg, et leur destinataire, François Hollande. En clair, ces notes, que le chef de l’État a aussitôt enterrées, constituent une nouvelle illustration des dérives graves auxquelles conduisent les institutions de la Ve République, permettant au chef de l’État d’imposer ses décisions, sans débat collectif, sans même à avoir à en rendre compte.

Maintenant que ces quatre notes sont sur la place publique, revisitons donc l’histoire des débuts de ce quinquennat, pour voir ce qu’elles nous en apprennent. Et écoutons ce qu’en dit Arnaud Montebourg qui, plutôt de nous accorder un entretien, a préféré nous apporter ses explications et ses éclairages sur les chaînons clefs de cette histoire.

Quand le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault se met en place, en mai 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, Arnaud Montebourg n’est pas aux avant-postes pour la définition de la politique économique. Ministre du redressement productif, il a la charge de superviser l’industrie. Et comme celle-ci est sinistrée du fait des politiques d’austérité qui ont submergé l’Europe et connaît des plans sociaux innombrables, il a suffisamment à faire pour sauver ce qui peut l’être, sans se mêler des arbitrages qui ne le concernent pas directement. En clair, le ministre de l’économie, ce n’est pas lui ; c’est Pierre Moscovici. Et les choix de politique économique, il n’y prend pas part directement : ils sont mis en œuvre par un quatuor comprenant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et surtout Jérôme Cahuzac qui, ayant la charge du budget, a un rôle clef dans le dispositif mis au point par l’Élysée.

Il n’y prend pas part et, d’ailleurs, le quatuor ne fait rien pour l’y associer. Pour toutes les mesures fiscales qui sont prises, dont certaines pèsent lourdement sur les entreprises, il n’est pas même consulté.

Accaparé par la noria de plans sociaux qui se succèdent les uns aux autres, Arnaud Montebourg constate pourtant, de loin, que les choix qui sont faits par le quatuor ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des choix de croissance. Avec les premières mesures d’austérité qui sont prises dès le début de l’été 2012, et surtout dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2013 – avec au premier chef ces mesures d’austérité fiscale –, il comprend que son rôle de ministre de l’industrie risque d’en être de plus en plus gravement affecté.

Pour finir, Arnaud Montebourg décide donc de dire son inquiétude au chef de l’État. Comme il estime que partout dans le monde l’austérité en période de récession n’a jamais permis de relancer la croissance mais a toujours eu pour effet, à l’inverse, d’empirer les choses, il veut mettre en garde François Hollande. D’où cette première note qu’il adresse au chef de l’État le 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande). « Je n’ai pas voulu à cette époque me mêler du débat sur le cadrage de la politique économique. Ce n’est pas moi qui en avais la charge, mais Pierre Moscovici. Mais je savais aussi que la politique d’austérité qui commençait aurait des effets sur le secteur dont j’avais la charge, celui de l’industrie. D’où cette première alerte sérieuse avec la note du 11 septembre 2012 », explique avec le recul Arnaud Montebourg.

Cette première note, co-écrite avec l’économiste Xavier Ragot, que l’ancien patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, a présenté à Arnaud Montebourg, est déjà, à elle seule, pleine d’enseignements. D’abord, elle révèle un fait majeur : les désaccords sur la politique économique ont donc commencé quasiment dès le début du quinquennat de François Hollande, alors que l’on retient le plus souvent qu’ils ont vraiment pris forme seulement avec la bataille entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, à l’approche des municipales de mars 2014.

Mais cette note éclaire aussi les effets désastreux qu’a le système français de monarchie républicaine sur le débat public : sur l’effet d’étouffoir qu’il provoque. Car, en ce mois de septembre 2012, c’est un débat de première importance que soulève Arnaud Montebourg : n’est-il pas temps de s’émanciper de la folle doxa bruxelloise selon laquelle l’austérité est le gage du retour de la croissance, alors que toutes les expériences dans le monde montre l’inverse ? Et ce débat primordial, il le lance avec d’infinies précautions. D’abord, il prend bien soin de ne pas faire de ses inquiétudes l’objet d’une controverse publique. « L’existence même de ces notes sont la preuve de ma loyauté. Elles attestent que membre d’une équipe, je me suis battu dans la collégialité secrète du gouvernement », explique Arnaud Montebourg. Cette note, Arnaud Montebourg ne la transmet donc qu’au chef de l’État, et à personne d’autre.

Et puis cette note du 11 septembre 2012 – comme d’ailleurs les suivantes – est habile. Comme on le constate en la lisant, elle ne prend pas l’exact contre-pied des orientations économiques d’ores et déjà annoncées, et ne demande pas au chef de l’État de se déjuger. Non ! Suggérant que le plan d’austérité déjà annoncé porte non pas sur les 33 milliards d’euros envisagés mais seulement sur 25, elle propose en fait une inflexion. En quelque sorte, la note est, si l’on peut dire, « hollando-compatible ». « Je suis dans une équipe ; je ne suis pas en conflit : j’essaie de prendre en compte les positions que défendent mes interlocuteurs et en l’occurrence celles que défend le chef de l’État. Je ne suis pas au congrès du Parti socialiste ; je siège dans le gouvernement de la France, qui est l'une des puissances mondiales. Cela crée des devoirs que je me suis employé à respecter », fait valoir Arnaud Montebourg.

Et pourtant, cette loyauté que veut scrupuleusement respecter Arnaud Montebourg, en n’exprimant ses inquiétudes qu’en privé, par une note qui n’a pas d’autres destinataires que François Hollande, n’est pas le moins du monde récompensée. Comme le dit mon confrère Edwy Plenel dans un billet de blog (lire Les notes Montebourg ou le débat empêché), ailleurs qu’en France, les choses se seraient passées différemment : « Dans une démocratie parlementaire, ce débat aurait été public, associant les divers élus et les autres composantes de la majorité. Les citoyens en auraient été juges et acteurs, parce que clairement informés. Sous la Cinquième République, rien de tel. Le débat est confiné aux cabinets et aux experts, réduit à des notes des ministres au président auxquels ce dernier n’est pas tenu de répondre, et sa vitalité intellectuelle s’épuise vite dans des combinazione gouvernementales où les ambitions personnelles prennent le pas sur les logiques de conviction. »

Dans le cas présent, Arnaud Montebourg prend le soin d’adresser secrètement au chef de l’État une note très longue et très argumentée, lui faisant part d’inquiétudes qu’il a la loyauté de ne pas exprimer en public, et en retour quelle réponse reçoit-il ? Aucune ! Pas la moindre…

C’est l’un des aspects les plus stupéfiants de cette histoire, qui en dit long sur le début de quinquennat : ni par écrit ni à l’oral, François Hollande ne répond à son ministre du redressement productif. Expert en évitement, il a l’inélégance – que lui autorisent les institutions et les pouvoirs exorbitants qu’elles lui confèrent – de faire comme si cette note n’existait pas.

Et le plus invraisemblable, c’est que ce théâtre d’ombres se poursuit tout au long des mois suivants, en 2013 puis au début de 2014. Car, comme on l’a vu, Arnaud Montebourg adresse par la suite deux autres notes secrètes très argumentées à François Hollande, pour lui proposer de nouveaux ajustements à la politique économique, tournant le dos à l’austérité : une note en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne ») co-écrite avec Xavier Ragot, et enfin une troisième note, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), à laquelle l’économiste Mathieu Plane apporte son concours. Et a chaque fois, le résultat est le même : néant ! Pas la moindre réponse ! Pratiquant l’esquive, François Hollande fait le mort.

« J’ai compris que Hollande ne voudrait pas réformer ses préjugés économiques. Aucune de ces notes n’a reçu réponse. J’ai eu juste une discussion une fois en deux ans, et d’un revers de main, mes propositions ont été désagréablement écartées », raconte Arnaud Montebourg.

En fait, la seule discussion qui a lieu et à laquelle fait allusion Arnaud Montebourg survient le 17 décembre 2012. Ce jour-là, François Hollande va visiter l’usine Radiall de Château-Renault (Indre-et-Loire) dont le PDG est Pierre Gattaz, le président du Medef. Le chef de l’État invite donc le ministre du redressement productif à monter avec lui dans sa voiture pour faire le voyage ensemble, et la discussion s’arrête un instant sur la première note, et mais elle est vite tranchée par François Hollande : « Ce n’est pas à l’ordre du jour ! »

Et c’est tout : nul autre échange ! Toutes les autres notes restent ainsi sans réponse. Lors des réunions du « pôle économique » qui rassemble le chef de l’État, le secrétaire général et le secrétaire général adjoint de l’Élysée, le premier ministre et les ministres de Bercy, Arnaud Montebourg défend périodiquement des thématiques proches de ces notes. « Sans évoquer l’existence de ces notes, je m’en suis régulièrement inspiré pour défendre mes convictions, lors des nombreuses réunions que nous avons eues à l’Élysée, dans le Salon vert. Les suites ? Aucune. Refus ou incapacité absolus de mener ce débat de politique économique qui existe pourtant partout dans le monde », explique à Mediapart Arnaud Montebourg. Et il ajoute : « Lors de ces réunions, je n’ai pas évoqué ces notes, parce qu’elles étaient entre François Hollande et moi-même ; j’en reprenais seulement le contenu. Mais les notes lui sont bien parvenues : elles étaient sur son bureau ou je les ai vu plusieurs fois sommeiller lorsque je le rencontrais ».

En somme, Arnaud Montebourg tombe dans le piège des institutions de la Ve République. Lui qui en a si souvent, dans le passé, décrit les vices ; lui qui a depuis si longtemps analysé les pouvoirs exorbitants qu’elles confèrent au chef de l’État, l’autorisant à décider tout seul de tout ou presque tout, le voilà contraint, par loyauté, de ne pas faire d’esclandre public et de garder le secret sur les notes alarmistes qu’il lui adresse ; mais le voici aussi contraint de subir l’humiliation de ne recevoir aucune réponse. Le coup d’État permanent ! L’humiliation du coup d’État permanent, infligé à celui qui en a été le plus fervent détracteur…

Lorsqu’on lui en fait la remarque, Arnaud Montebourg réfute la critique. « Peut-être, objecte-t-il, mais le système est une réalité avec laquelle il faut bien faire. De surcroît, on aurait eu un autre président, même sous la Ve – on aurait eu un François Mitterrand ou un Lionel Jospin, il n’est pas certain que cela se serait passé de la même façon. Jean-Pierre Chevènement l’a souvent raconté : François Mitterrand acceptait le débat public. Et Lionel Jospin aussi. »

Et la remarque n’est pas fausse. Car c’est aussi ce que révèlent ces notes secrètes : même s’il est protégé par les mêmes institutions, François Hollande se comporte d’une manière qui n’a pas grand-chose à voir effectivement avec François Mitterrand ou Lionel Jospin. Dans le premier cas, on se souvient en effet que tout procédait de l’Élysée, mais cela n’a pas empêché que de grands débats d’orientation économique aient lieu, avant que le président n’arbitre. Ce fut le cas tout particulièrement juste avant le « virage de la rigueur ».

Et quand Lionel Jospin était premier ministre, de 1997 à 2002, le débat a aussi été fréquent. Les deux poids lourds du gouvernement de l’époque, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, souvent en désaccord, se sont périodiquement affrontés. Et Lionel Jospin a toujours laissé le débat se mener, avant de rendre ses arbitrages.

L’histoire des notes secrètes d’Arnaud Montebourg révèle donc plus que la seule violence des institutions ; elles confirment aussi le tempérament propre de François Hollande, qui pratique sans cesse l’évitement. Cet art de l’esquive, ma consœur Lenaïg Bredoux l’a aussi beaucoup documenté dans une longue enquête écrite en mai 2014 : Paroles d’anciens des cabinets : « Hollande a menti une fois, c’était au Bourget »). Il est aussi remarquablement détaillé par les longs récits de Christian Salmon sur Mediapart, et notamment celui-ci : L’après-Hollande a commencé.

Quoi qu’il en soit, qu’Arnaud Montebourg soit ou non tombé dans le piège des institutions qu’il a lui-même si souvent décrit, le fait en tout cas est là, que ne conteste pas l’intéressé : l’histoire de ces notes vient encore une fois illustrer la folie du système absolutiste français. « Il y a eu une défaillance démocratique. Cela me conforte dans ma conviction qu’il nous faut défendre un autre projet démocratique, celui de la VIe République, que je défends depuis 15 ans », admet Arnaud Montebourg.

Et quand on le presse de détailler cette mécanique absolutiste qui a étouffé le débat qu’il portait, il veut bien se prêter à l’exercice : « Une fois, j’ai fait une démarche. Je suis allé voir un ami proche du chef de l'État, hors appareil de l'État. Je lui ai dit que j’avais remis une note au chef de l’État et qu’il ne m’avait pas répondu. Je lui ai demandé s’il voulait bien intervenir. C’était la note exposant la politique à mettre en œuvre pour créer 1,5 million d’emplois. Cela n’a pas eu plus de suite. L'exercice du pouvoir est malheureusement absolutiste. On accepte en France que le président de la République ait tous les pouvoirs. Les conséquences sont extrêmement graves parce que du coup, on risque de ne pas pouvoir disposer de débat serein, y compris à l’intérieur du gouvernement, si le président ne le souhaite pas ou s'il craint ce débat. Tout cela affaiblit notre pays.

«Le système absolutiste de la Ve République a pour conséquence d’affaiblir notre pays, parce qu’il contribue à ce que de mauvaises décisions soient prises. Des décisions prises par un homme seul, entouré de courtisans qui n’ont souvent ni l’expérience, ni les outils techniques pour évaluer les projets. L’Élysée est une toute petite maison. Les conseillers du président ne peuvent pas le conseiller utilement : ils n’ont pas l’appareil administratif qui permet de faire des évaluations. Et pourtant la France repose exclusivement sur les décisions ou non-décisions d'un homme seul, avec ses préjugés, ses faiblesses et ses failles. C'est très embêtant pour un grand pays comme le nôtre. »

Bref, c’est la principale leçon de l’histoire de ces notes qui alertent le chef de l’État sur les ravages de l’austérité. Avec le recul, elles alertent aussi les citoyens sur les ravages de la catastrophe… démocratique ! Et de cela, Arnaud Montebourg veut bien convenir : « La catastrophe économique s’est doublée d’une lourde difficulté démocratique », reconnaît-il.

Mais ce que ces notes révèlent va encore au-delà. Elles permettent aussi de mieux décrypter l’obscure séquence politique qui se déroule d’avril 2014, quand Arnaud Montebourg accepte de faire équipe avec Manuel Valls, jusqu’à la fin du mois d’août de la même année, quand le même Manuel Valls reproche à son ancien allié de plaider publiquement pour un changement de cap économique, et provoque un remaniement gouvernemental au terme duquel Arnaud Montebourg quitte le gouvernement.

Car, par bien des aspects, la séquence politique est apparue sur le moment opaque ou illisible. On a observé à l’époque, en avril 2014, Arnaud Montebourg accepter le portefeuille de ministre de l’économie, et procéder à de grandes embrassades avec Manuel Valls, voyant en lui quelqu’un de « passionnément à gauche » ; alors que, lors des primaires socialistes de 2011, il lui faisait à bon droit grief de n’avoir « qu’un pas à faire pour aller à l’UMP ». Et puis, à peine six mois plus tard, les deux alliés ont fini par divorcer. Une séquence assez sinueuse, qui sur le moment a semblé passablement opaque et pas franchement glorieuse.

Or, maintenant que l’on connaît le quatrième document secret, c’est-à-dire la lettre qu’Arnaud Montebourg adresse à François Hollande le 30 mars 2014 au matin, c’est-à-dire, quelques heures avant la clôture du second tour des élections municipales (lire Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls), cette séquence devient d’un seul coup plus intelligible.

Comme on l’a vu, Arnaud Montebourg dit clairement au chef de l’État dans cette lettre qu’au lendemain de la débâcle prévisible des municipales, une réorientation de la politique économique lui semble plus que jamais impérieuse : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Et il assortit cette interpellation de cette condition : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la condition sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. » En clair, Arnaud Montebourg prévient François Hollande en termes polis qu’il refusera d’être membre du prochain gouvernement, si celui-ci n’a pas la principale mission de procéder à un changement de cap économique.

Or, à l’époque, que se passe-t-il ? Arnaud Montebourg se voit proposer de devenir… ministre de l’économie. Il en conclut donc qu’il n’y a pas le moindre quiproquo : si ce portefeuille lui est confié, c’est qu’il a gagné sa bataille et qu’il est chargé de mettre en œuvre ces nouvelles orientations.

« Manuel Valls, explique-t-il, a manifesté sa compréhension de la situation économique. D’ailleurs, la lettre que j’ai envoyée à François Hollande entre les deux tours des municipales est une demande de changement de politique économique. Or, trois jours ou quatre jours plus tard, je suis nommé ministre de l’économie. C’est donc sur la base de cette lettre : c’est bien ce que cela veut dire. En plus, c’est Manuel Valls qui m’appelle et me dit : c’est toi le ministre de l’économie. Dans mon esprit, il ne pouvait pas y avoir de quiproquo, d’autant que Manuel Valls avait eu connaissance de cette lettre mais aussi de celle préconisant des mesures pour créer 1,5 million d’emplois. »

Selon Arnaud Montebourg, il n’y a donc pas la moindre ambiguïté. « À l’époque, insiste-t-il, la position que Manuel Valls exprime est claire. Il me dit : "C’est toi qui as raison !" Donc nous sommes tombés d'accord, si je puis dire, sur le mouvement qu’il fallait faire pour remettre en marche l’économie française. »

Dans ce constat que Manuel Valls serait d'accord sur une réorientation de la politique, y a-t-il chez Arnaud Montebourg une part de candeur – feinte ou réelle ? Quoi qu'il en soit, François Hollande envoie très vite des signes multiples faisant comprendre qu’il ne veut pas changer la politique économique d’un moindre iota. Et Manuel Valls fait de même. Pendant un temps, Arnaud Montebourg fait comme si de rien n’était, mais continue de défendre publiquement les orientations consignées dans sa lettre du 30 mars 2014, estimant que cette lettre est la base de l’accord scellé entre Manuel Valls et lui-même. En clair, sans que la presse ne le mette vraiment en scène, le ministre de l’économie défend publiquement une orientation qui s’écarte de celle défendue par l’Élysée ou Matignon.

Le 10 juillet 2014, lors d’un happening à Bercy avec forte mise en scène, le nouveau ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, présente ainsi sa feuille de route du redressement économique de la France pour les trois années à venir. Or, quelle est cette feuille de route ? Pour une bonne part, c’est la reprise, presque mot pour mot, de l’infléchissement économique qu’il avait proposé à François Hollande dans sa troisième note, celle qui recommandait d’affecter le produit des économies budgétaires selon une règle dite des trois tiers (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois).

Brisant le secret de sa note, mais sans en révéler l’existence, Arnaud Montebourg propose donc d’affecter le produit des efforts budgétaires selon une « règle des trois tiers » entre réduction des déficits et baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages. « Un tiers serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics », détaille-t-il. « Un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises […] Un dernier tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », ajoute-t-il.

« Cette règle des trois tiers est de nature à soutenir la croissance, permettant par un autre chemin le rétablissement de nos comptes publics. Et nous pourrions de la sorte nous remettre à créer de l’emploi et cesser enfin d’en détruire », insiste-t-il.

Ce 10 juillet 2014, François Hollande et Manuel Valls, qui ont naturellement lu la note en question, écrite six mois plus tôt, sont les seuls à comprendre la source d’inspiration d’Arnaud Montebourg. Et pourtant, les annonces du ministre de l’économie n’ont aucune suite. Ce jour-là, ni Matignon ni l’Élysée ne s’en offusquent, alors que le propos d'Arnaud Montebourg quelques semaines plus tard, à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), sera exactement de la même veine.

Il faudra attendre le premier conseil des ministres de la mi-août, à la fin des vacances du gouvernement, pour que, pour la première fois, Manuel Valls reproche à Arnaud Montebourg de défendre une orientation économique qui s’écarte de celle du gouvernement. Ce jour-là, Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la réforme de l’État, se penche vers Arnaud Montebourg et lui souffle à l’oreille : « Tu vois ! Ton accord avec Valls vient d’exploser… »

La suite, on la connaît. Quelques jours plus tard, le 24 août suivant, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg confirme publiquement ce qui était consigné dans sa lettre du 30 mars 2014, et qui était la base de son accord avec Manuel Valls : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », déclare-t-il ce jour-là.

Le quiproquo est alors définitivement levé : dès le lendemain, Manuel Valls, estimant qu’Arnaud Montebourg a franchi une ligne jaune, présente la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Une nouvelle fois, Arnaud Montebourg n’a-t-il donc pas été piégé, tout à la fois par les institutions présidentialistes qui interdisent tout véritable débat ; mais aussi piégé par François Hollande et Manuel Valls, qui avaient impérativement besoin de sa présence au gouvernement, après le séisme des municipales et le départ annoncé des Verts de la majorité ? En tout cas, avec le recul, Arnaud Montebourg admet que les derniers mois qu’il a vécus au gouvernement ont été un enfer et qu’il était las de se battre contre le conformisme. « Je me suis affronté au conformisme. Au conformisme de politiques économiques suicidaires », lâche-t-il.

Et puis, il ne regrette surtout pas d’avoir dit les choses clairement ce 24 août, à Frangy-en-Bresse : « Dans une entreprise, quand vous en êtes le directeur financier, et que vous sentez que la situation se dégrade, vous alertez le PDG. Et s’il ne fait rien, que faites-vous ? Vous avertissez les actionnaires. Eh bien, c’est un peu ce que j’ai fait : et comme les actionnaires de la France, ce sont en quelque sorte les Français, ce sont eux que, pour finir, j’ai voulu informer de la gravité de la situation. C’est ce que j’ai fait à Frangy-en-Bresse », explique-t-il.

Comme libéré de tant de débats escamotés, Arnaud Montebourg dit librement aujourd’hui ce qu’il a sur le cœur. À savoir que les politiques d’austérité conduisent toute l’Europe – et la France avec elle –, vers une catastrophe économique, laquelle conduit tout droit vers une catastrophe politique et démocratique. « Ce gouvernement participe à la fabrication du chômage et du populisme. Nous sommes en train de porter la marche du Front national vers le pouvoir. Je ne veux pas être co-responsable de cette politique suicidaire. À un moment, il fallait que les choses soient dites », lâche-t-il.

Cette liberté de parole que retrouve Arnaud Montebourg ne dissipe, toutefois, en rien le sentiment qui se dégage des quatre documents qu’il avait secrètement envoyés à François Hollande. Le sentiment d’un gâchis formidable. Le gâchis des deux premières années de ce quinquennat…

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Les Européens lancent un ultimatum à Athènes

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De notre envoyé spécial à Bruxelles –. C'est un deuxième fiasco en l'espace de cinq jours. Les ministres des finances de la zone euro se sont séparés sur un nouveau constat d'échec sur la Grèce, plus retentissant encore que celui de mercredi dernier. Cette fois, le camp d'Alexis Tsipras a qualifié d'« absurde et inacceptable » la proposition avancée par ses partenaires européens dans l'après-midi du lundi 16 février, ce qui a provoqué la fin de la réunion. Il n'y a toujours « pas de terrain d'entente solide », a reconnu le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, en début de soirée.

Le temps presse pour trouver un accord alors que le « plan d'aide » de la Troïka (commission, BCE, FMI) à la Grèce, enclenché en 2012 pour une enveloppe de 130 milliards d'euros, prend fin le 28 février. Les Européens veulent l'« extension » du programme actuel, en y ajoutant des garanties de « flexibilité » pour se montrer conciliants. Mais Athènes ne veut pas en entendre parler, Syriza ayant promis d'en finir avec la Troïka pendant sa campagne électorale. Les Grecs préfèrent négocier dès à présent un « prêt relais » à partir d'un « contrat entre égaux », qui courrait « jusqu'à août », selon le souhait de Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec.

Les Européens ont durci leurs positions lundi. Ils ont même fixé un ultimatum à Athènes : le nouvel exécutif grec a jusqu'à vendredi, pour demander officiellement l'extension pour six mois du « programme actuel » d'aide à la Grèce. C'est une condition pour, dans la foulée, ouvrir des négociations de fond pour restructurer la dette. « Il n'y a pas d'alternative à la demande d'extension du programme », a martelé Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, répétant à plusieurs reprises à destination de Syriza, qu'« il faut faire preuve de logique, pas d'idéologie ».

Le ton était presque aussi catégorique pour Christine Lagarde, qui participait elle aussi à cet Eurogroupe : « Ma grande préférence va à l'extension du programme, et je pense que c'est faisable », a jugé la patronne du FMI. « Au sein de l'Eurogroupe, la plupart jugent qu'il revient aux Grecs de faire un geste », a insisté Dijsselbloem, qui n'a pas exclu la tenue d'une nouvelle réunion ce vendredi. En cas d'accord ce jour-là, il resterait une petite semaine aux exécutifs de certains pays, comme l'Allemagne ou la Finlande, pour faire valider, devant leur parlement, ce programme d'aide avant la date-limite du 28. Le calendrier est de plus en plus serré. Les rumeurs sur une dégradation de la situation financière du pays depuis janvier ne cessent de se renforcer.

Pour les Grecs, cette option est une provocation. « Dans l'histoire de l'Union européenne, rien de bon n'est jamais venu d'un ultimatum, a déclaré Varoufakis lors de sa conférence de presse bruxelloise lundi soir. J'espère que toute notion d'ultimatum sera suspendue. » Il s'est toutefois dit confiant pour trouver un accord « dans les 48 heures », ce qui serait compatible avec la tenue d'une énième réunion « de la dernière chance », vendredi prochain à Bruxelles.  

Yanis Varoufakis à Bruxelles lundi. Yanis Varoufakis à Bruxelles lundi.

D'après Varoufakis, il existe une tension entre deux principes : d'un côté, la continuité de l'État grec, qui fait que le gouvernement grec doit respecter ses engagements passés, et de l'autre, les règles de la démocratie et du scrutin populaire. « Décréter des ultimatums, donner la priorité à un principe (celui de la continuité de l'État grec – ndlr) par rapport à un autre (celui de la démocratie – ndlr), ne manquerait pas d'avoir des répercussions négatives sur l'ensemble du projet européen », a-t-il menacé.

C'est tout le casse-tête auquel les Européens sont confrontés : peut-on à la fois respecter le scrutin grec du 25 janvier et laisser Syriza appliquer ses promesses électorales, tout en respectant les règles et traités européens, censés garantir le fonctionnement de la monnaie commune ? En clair, la zone euro peut-elle faire preuve de souplesse, pour intégrer des politiques économiques différentes ? Les négociations n'ont véritablement commencé que depuis une semaine à Bruxelles, mais il est, jusqu'à présent, permis d'en douter.

Après tout, la proposition d'une extension du programme de la Troïka, que viennent de faire les Européens, ressemble très fort à celle que les mêmes avaient déjà faites à l'automne dernier à Athènes. Et le gouvernement d'alors, celui du conservateur Antonis Samaras, avait déjà refusé cette extension, soucieux de sortir du programme au plus vite… Quelle est la différence entre les deux offres de Bruxelles, celle de l'automne à Samaras, et celle de lundi à Tsipras ?

Réponse de Pierre Moscovici lors de la conférence de presse : les Européens sont prêts, cette fois, à discuter pour modifier les 30 % de mesures du mémorandum de la Troïka que Varoufakis considère comme « toxiques » – tout en conservant les 70 % restant. « Il y a donc de la place pour faire de la politique », a conclu le commissaire européen, qui se dit soucieux de « trouver un équilibre entre l'inflexion des politiques (…) parce que quand un peuple s'exprime on ne peut pas y être sourd (…) et les principes et engagements qui fondent la communauté de l'euro. »

De son côté, Michel Sapin est sur la même ligne : « Nous avons, me semble-t-il, une voie, qui est une voie raisonnable, une voie qui tient compte du vote du peuple grec, que l'on appelle une extension technique, avec des flexibilités, et donc la possibilité de changer des éléments du programme précédent justement pour tenir compte du vote grec », a commenté le ministre français des finances à la sortie de la réunion.

Lundi soir, Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec ne s'est pas démonté. Il a regretté ce qu'il considère comme un retour en arrière des Européens dans les négociations. En marge d'un conseil européen jeudi dernier à Bruxelles, Alexis Tsipras et Jeroen Dijsselbloem, le patron de l'Eurogroupe, s'étaient entendus pour « explorer un terrain d'entente situé entre le programme actuel et les projets du gouvernement grec », ce qui avait été considéré par Athènes comme une avancée décisive.

Mais si l'on s'en tient à la proposition de communiqué rédigée par la présidence de l'Eurogroupe lundi, que Mediapart a pu lire (photo ci-contre), il est question de faire « un usage optimal des règles existantes de flexibilité au sein de l'actuel programme ». Il est même écrit explicitement : « Les autorités grecques ont exprimé leur intention de demander une extension technique de six mois du programme actuel. » D'où l'agacement des Grecs qui ont claqué la porte des négociations.

Selon la version de Varoufakis, cette affaire est d'autant plus pénible que Pierre Moscovici lui avait présenté, lundi en amont de la réunion, un autre projet d'accord, qui lui paraissait bien plus acceptable, sans qu'il ne dise clairement pourquoi. Mais cette version, toujours selon Varaoufakis, a été remaniée au début de l'Eurogroupe.

Interrogé, une nouvelle fois, par des journalistes soucieux de savoir jusqu'où est prêt à aller Varoufakis, le ministre, ex-universitaire spécialiste de la théorie des jeux, a répondu : « Ce n'est pas du bluff. C'est la seule option que l'on a sur la table. Il n'y a pas plus de plan B qu'un plan A. Donc, aucun bluff de ma part. »

Impossible de savoir comment le feuilleton grec va finir. Lors de sa conférence de presse jeudi soir à Bruxelles, François Hollande y était allé de son analyse, pas franchement réjouissante pour la suite. Il s'exprimait alors que Tsipras venait de participer à son premier sommet bruxellois : « Chaque fois qu'il y a un nouveau membre du conseil, on le regarde, on se demande s'il va changer les règles, les rites. Généralement, il n'y parvient pas, sur les rites. Sur les règles, il peut essayer d'y travailler quand même… À Alexis Tsipras d'engager le dialogue. À lui aussi de comprendre que des règles existent, et qu'elles doivent être respectées. »

Et le chef d'État français de poursuivre : « S'il n'y avait pas de changement lié à une alternance, pourquoi les électeurs continueraient à voter ? L'Europe ne peut pas être une contrainte, une obligation de faire une seule politique. Mais il y a une obligation et la France s'y soumet, parce que c'est la vie commune, parce qu'il faut respecter les règles. »

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Montebourg s’alarme d’une «catastrophe» économique et démocratique

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C’est peu dire que les quatre notes qu’Arnaud Montebourg a adressées confidentiellement à François Hollande tout au long des deux années où il a été ministre du redressement productif puis ministre de l’économie, et qu’il a accepté, sous notre insistance, de remettre à Mediapart, sont d’une grande importance. Car elles révèlent sous un jour nouveau la gravité des désaccords sur le cap économique qui existaient dans les rangs de la gauche mais aussi au sein même du gouvernement. Tout comme elles révèlent aussi un épisode jusque-là en grande partie illisible : les conditions dans lesquelles Arnaud Montebourg a accepté de participer au gouvernement de Manuel Valls, au lendemain de la débâcle historique des socialistes lors des élections municipales de mars 2014, et les vraies raisons de son départ du gouvernement lors du remaniement ministériel de la fin du mois d’août 2014.

Ces notes permettent donc de réécrire en partie l’histoire des débuts de ce quinquennat. Et elles permettent, dans le même temps, de mieux comprendre les conditions dans lesquelles la catastrophe économique qui a marqué les premières années de ce quinquennat s’est doublée d’une catastrophe démocratique, puisque ces notes secrètes, comme nous allons le voir, n’ont fait l’objet d’aucun débat public. Et pas même d’un débat en tête-à-tête entre son auteur, Arnaud Montebourg, et leur destinataire, François Hollande. En clair, ces notes, que le chef de l’État a aussitôt enterrées, constituent une nouvelle illustration des dérives graves auxquelles conduisent les institutions de la Ve République, permettant au chef de l’État d’imposer ses décisions, sans débat collectif, sans même à avoir à en rendre compte.

Maintenant que ces quatre notes sont sur la place publique, revisitons donc l’histoire des débuts de ce quinquennat, pour voir ce qu’elles nous en apprennent. Et écoutons ce qu’en dit Arnaud Montebourg qui, plutôt de nous accorder un entretien, a préféré nous apporter ses explications et ses éclairages sur les chaînons clefs de cette histoire.

Quand le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault se met en place, en mai 2012, au lendemain de la victoire de François Hollande à l’élection présidentielle, Arnaud Montebourg n’est pas aux avant-postes pour la définition de la politique économique. Ministre du redressement productif, il a la charge de superviser l’industrie. Et comme celle-ci est sinistrée du fait des politiques d’austérité qui ont submergé l’Europe et connaît des plans sociaux innombrables, il a suffisamment à faire pour sauver ce qui peut l’être, sans se mêler des arbitrages qui ne le concernent pas directement. En clair, le ministre de l’économie, ce n’est pas lui ; c’est Pierre Moscovici. Et les choix de politique économique, il n’y prend pas part directement : ils sont mis en œuvre par un quatuor comprenant François Hollande, Jean-Marc Ayrault, Pierre Moscovici et surtout Jérôme Cahuzac qui, ayant la charge du budget, a un rôle clef dans le dispositif mis au point par l’Élysée.

Il n’y prend pas part et, d’ailleurs, le quatuor ne fait rien pour l’y associer. Pour toutes les mesures fiscales qui sont prises, dont certaines pèsent lourdement sur les entreprises, il n’est pas même consulté.

Accaparé par la noria de plans sociaux qui se succèdent les uns aux autres, Arnaud Montebourg constate pourtant, de loin, que les choix qui sont faits par le quatuor ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, des choix de croissance. Avec les premières mesures d’austérité qui sont prises dès le début de l’été 2012, et surtout dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2013 – avec au premier chef ces mesures d’austérité fiscale –, il comprend que son rôle de ministre de l’industrie risque d’en être de plus en plus gravement affecté.

Pour finir, Arnaud Montebourg décide donc de dire son inquiétude au chef de l’État. Comme il estime que partout dans le monde l’austérité en période de récession n’a jamais permis de relancer la croissance mais a toujours eu pour effet, à l’inverse, d’empirer les choses, il veut mettre en garde François Hollande. D’où cette première note qu’il adresse au chef de l’État le 11 septembre 2012 (lire 2012-2014 : les notes secrètes de Montebourg à Hollande). « Je n’ai pas voulu à cette époque me mêler du débat sur le cadrage de la politique économique. Ce n’est pas moi qui en avais la charge, mais Pierre Moscovici. Mais je savais aussi que la politique d’austérité qui commençait aurait des effets sur le secteur dont j’avais la charge, celui de l’industrie. D’où cette première alerte sérieuse avec la note du 11 septembre 2012 », explique avec le recul Arnaud Montebourg.

Cette première note, co-écrite avec l’économiste Xavier Ragot, que l’ancien patron de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, a présenté à Arnaud Montebourg, est déjà, à elle seule, pleine d’enseignements. D’abord, elle révèle un fait majeur : les désaccords sur la politique économique ont donc commencé quasiment dès le début du quinquennat de François Hollande, alors que l’on retient le plus souvent qu’ils ont vraiment pris forme seulement avec la bataille entre le gouvernement et les frondeurs socialistes, à l’approche des municipales de mars 2014.

Mais cette note éclaire aussi les effets désastreux qu’a le système français de monarchie républicaine sur le débat public : sur l’effet d’étouffoir qu’il provoque. Car, en ce mois de septembre 2012, c’est un débat de première importance que soulève Arnaud Montebourg : n’est-il pas temps de s’émanciper de la folle doxa bruxelloise selon laquelle l’austérité est le gage du retour de la croissance, alors que toutes les expériences dans le monde montre l’inverse ? Et ce débat primordial, il le lance avec d’infinies précautions. D’abord, il prend bien soin de ne pas faire de ses inquiétudes l’objet d’une controverse publique. « L’existence même de ces notes sont la preuve de ma loyauté. Elles attestent que membre d’une équipe, je me suis battu dans la collégialité secrète du gouvernement », explique Arnaud Montebourg. Cette note, Arnaud Montebourg ne la transmet donc qu’au chef de l’État, et à personne d’autre.

Et puis cette note du 11 septembre 2012 – comme d’ailleurs les suivantes – est habile. Comme on le constate en la lisant, elle ne prend pas l’exact contre-pied des orientations économiques d’ores et déjà annoncées, et ne demande pas au chef de l’État de se déjuger. Non ! Suggérant que le plan d’austérité déjà annoncé porte non pas sur les 33 milliards d’euros envisagés mais seulement sur 25, elle propose en fait une inflexion. En quelque sorte, la note est, si l’on peut dire, « hollando-compatible ». « Je suis dans une équipe ; je ne suis pas en conflit : j’essaie de prendre en compte les positions que défendent mes interlocuteurs et en l’occurrence celles que défend le chef de l’État. Je ne suis pas au congrès du Parti socialiste ; je siège dans le gouvernement de la France, qui est l'une des puissances mondiales. Cela crée des devoirs que je me suis employé à respecter », fait valoir Arnaud Montebourg.

Et pourtant, cette loyauté que veut scrupuleusement respecter Arnaud Montebourg, en n’exprimant ses inquiétudes qu’en privé, par une note qui n’a pas d’autres destinataires que François Hollande, n’est pas le moins du monde récompensée. Comme le dit mon confrère Edwy Plenel dans un billet de blog (lire Les notes Montebourg ou le débat empêché), ailleurs qu’en France, les choses se seraient passées différemment : « Dans une démocratie parlementaire, ce débat aurait été public, associant les divers élus et les autres composantes de la majorité. Les citoyens en auraient été juges et acteurs, parce que clairement informés. Sous la Cinquième République, rien de tel. Le débat est confiné aux cabinets et aux experts, réduit à des notes des ministres au président auxquels ce dernier n’est pas tenu de répondre, et sa vitalité intellectuelle s’épuise vite dans des combinazione gouvernementales où les ambitions personnelles prennent le pas sur les logiques de conviction. »

Dans le cas présent, Arnaud Montebourg prend le soin d’adresser secrètement au chef de l’État une note très longue et très argumentée, lui faisant part d’inquiétudes qu’il a la loyauté de ne pas exprimer en public, et en retour quelle réponse reçoit-il ? Aucune ! Pas la moindre…

C’est l’un des aspects les plus stupéfiants de cette histoire, qui en dit long sur le début de quinquennat : ni par écrit ni à l’oral, François Hollande ne répond à son ministre du redressement productif. Expert en évitement, il a l’inélégance – que lui autorisent les institutions et les pouvoirs exorbitants qu’elles lui confèrent – de faire comme si cette note n’existait pas.

Et le plus invraisemblable, c’est que ce théâtre d’ombres se poursuit tout au long des mois suivants, en 2013 puis au début de 2014. Car, comme on l’a vu, Arnaud Montebourg adresse par la suite deux autres notes secrètes très argumentées à François Hollande, pour lui proposer de nouveaux ajustements à la politique économique, tournant le dos à l’austérité : une note en date du 29 avril 2013 (lire Quand Montebourg plaidait pour « une grande explication avec l'Allemagne ») co-écrite avec Xavier Ragot, et enfin une troisième note, en date du 31 janvier 2014 (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois), à laquelle l’économiste Mathieu Plane apporte son concours. Et a chaque fois, le résultat est le même : néant ! Pas la moindre réponse ! Pratiquant l’esquive, François Hollande fait le mort.

« J’ai compris que Hollande ne voudrait pas réformer ses préjugés économiques. Aucune de ces notes n’a reçu réponse. J’ai eu juste une discussion une fois en deux ans, et d’un revers de main, mes propositions ont été désagréablement écartées », raconte Arnaud Montebourg.

En fait, la seule discussion qui a lieu et à laquelle fait allusion Arnaud Montebourg survient le 17 décembre 2012. Ce jour-là, François Hollande va visiter l’usine Radiall de Château-Renault (Indre-et-Loire) dont le PDG est Pierre Gattaz, le président du Medef. Le chef de l’État invite donc le ministre du redressement productif à monter avec lui dans sa voiture pour faire le voyage ensemble, et la discussion s’arrête un instant sur la première note, et mais elle est vite tranchée par François Hollande : « Ce n’est pas à l’ordre du jour ! »

Et c’est tout : nul autre échange ! Toutes les autres notes restent ainsi sans réponse. Lors des réunions du « pôle économique » qui rassemble le chef de l’État, le secrétaire général et le secrétaire général adjoint de l’Élysée, le premier ministre et les ministres de Bercy, Arnaud Montebourg défend périodiquement des thématiques proches de ces notes. « Sans évoquer l’existence de ces notes, je m’en suis régulièrement inspiré pour défendre mes convictions, lors des nombreuses réunions que nous avons eues à l’Élysée, dans le Salon vert. Les suites ? Aucune. Refus ou incapacité absolus de mener ce débat de politique économique qui existe pourtant partout dans le monde », explique à Mediapart Arnaud Montebourg. Et il ajoute : « Lors de ces réunions, je n’ai pas évoqué ces notes, parce qu’elles étaient entre François Hollande et moi-même ; j’en reprenais seulement le contenu. Mais les notes lui sont bien parvenues : elles étaient sur son bureau ou je les ai vu plusieurs fois sommeiller lorsque je le rencontrais ».

En somme, Arnaud Montebourg tombe dans le piège des institutions de la Ve République. Lui qui en a si souvent, dans le passé, décrit les vices ; lui qui a depuis si longtemps analysé les pouvoirs exorbitants qu’elles confèrent au chef de l’État, l’autorisant à décider tout seul de tout ou presque tout, le voilà contraint, par loyauté, de ne pas faire d’esclandre public et de garder le secret sur les notes alarmistes qu’il lui adresse ; mais le voici aussi contraint de subir l’humiliation de ne recevoir aucune réponse. Le coup d’État permanent ! L’humiliation du coup d’État permanent, infligé à celui qui en a été le plus fervent détracteur…

Lorsqu’on lui en fait la remarque, Arnaud Montebourg réfute la critique. « Peut-être, objecte-t-il, mais le système est une réalité avec laquelle il faut bien faire. De surcroît, on aurait eu un autre président, même sous la Ve – on aurait eu un François Mitterrand ou un Lionel Jospin, il n’est pas certain que cela se serait passé de la même façon. Jean-Pierre Chevènement l’a souvent raconté : François Mitterrand acceptait le débat public. Et Lionel Jospin aussi. »

Et la remarque n’est pas fausse. Car c’est aussi ce que révèlent ces notes secrètes : même s’il est protégé par les mêmes institutions, François Hollande se comporte d’une manière qui n’a pas grand-chose à voir effectivement avec François Mitterrand ou Lionel Jospin. Dans le premier cas, on se souvient en effet que tout procédait de l’Élysée, mais cela n’a pas empêché que de grands débats d’orientation économique aient lieu, avant que le président n’arbitre. Ce fut le cas tout particulièrement juste avant le « virage de la rigueur ».

Et quand Lionel Jospin était premier ministre, de 1997 à 2002, le débat a aussi été fréquent. Les deux poids lourds du gouvernement de l’époque, Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry, souvent en désaccord, se sont périodiquement affrontés. Et Lionel Jospin a toujours laissé le débat se mener, avant de rendre ses arbitrages.

L’histoire des notes secrètes d’Arnaud Montebourg révèle donc plus que la seule violence des institutions ; elles confirment aussi le tempérament propre de François Hollande, qui pratique sans cesse l’évitement. Cet art de l’esquive, ma consœur Lenaïg Bredoux l’a aussi beaucoup documenté dans une longue enquête écrite en mai 2014 : Paroles d’anciens des cabinets : « Hollande a menti une fois, c’était au Bourget »). Il est aussi remarquablement détaillé par les longs récits de Christian Salmon sur Mediapart, et notamment celui-ci : L’après-Hollande a commencé.

Quoi qu’il en soit, qu’Arnaud Montebourg soit ou non tombé dans le piège des institutions qu’il a lui-même si souvent décrit, le fait en tout cas est là, que ne conteste pas l’intéressé : l’histoire de ces notes vient encore une fois illustrer la folie du système absolutiste français. « Il y a eu une défaillance démocratique. Cela me conforte dans ma conviction qu’il nous faut défendre un autre projet démocratique, celui de la VIe République, que je défends depuis 15 ans », admet Arnaud Montebourg.

Et quand on le presse de détailler cette mécanique absolutiste qui a étouffé le débat qu’il portait, il veut bien se prêter à l’exercice : « Une fois, j’ai fait une démarche. Je suis allé voir un ami proche du chef de l'État, hors appareil de l'État. Je lui ai dit que j’avais remis une note au chef de l’État et qu’il ne m’avait pas répondu. Je lui ai demandé s’il voulait bien intervenir. C’était la note exposant la politique à mettre en œuvre pour créer 1,5 million d’emplois. Cela n’a pas eu plus de suite. L'exercice du pouvoir est malheureusement absolutiste. On accepte en France que le président de la République ait tous les pouvoirs. Les conséquences sont extrêmement graves parce que du coup, on risque de ne pas pouvoir disposer de débat serein, y compris à l’intérieur du gouvernement, si le président ne le souhaite pas ou s'il craint ce débat. Tout cela affaiblit notre pays.

«Le système absolutiste de la Ve République a pour conséquence d’affaiblir notre pays, parce qu’il contribue à ce que de mauvaises décisions soient prises. Des décisions prises par un homme seul, entouré de courtisans qui n’ont souvent ni l’expérience, ni les outils techniques pour évaluer les projets. L’Élysée est une toute petite maison. Les conseillers du président ne peuvent pas le conseiller utilement : ils n’ont pas l’appareil administratif qui permet de faire des évaluations. Et pourtant la France repose exclusivement sur les décisions ou non-décisions d'un homme seul, avec ses préjugés, ses faiblesses et ses failles. C'est très embêtant pour un grand pays comme le nôtre. »

Bref, c’est la principale leçon de l’histoire de ces notes qui alertent le chef de l’État sur les ravages de l’austérité. Avec le recul, elles alertent aussi les citoyens sur les ravages de la catastrophe… démocratique ! Et de cela, Arnaud Montebourg veut bien convenir : « La catastrophe économique s’est doublée d’une lourde difficulté démocratique », reconnaît-il.

Mais ce que ces notes révèlent va encore au-delà. Elles permettent aussi de mieux décrypter l’obscure séquence politique qui se déroule d’avril 2014, quand Arnaud Montebourg accepte de faire équipe avec Manuel Valls, jusqu’à la fin du mois d’août de la même année, quand le même Manuel Valls reproche à son ancien allié de plaider publiquement pour un changement de cap économique, et provoque un remaniement gouvernemental au terme duquel Arnaud Montebourg quitte le gouvernement.

Car, par bien des aspects, la séquence politique est apparue sur le moment opaque ou illisible. On a observé à l’époque, en avril 2014, Arnaud Montebourg accepter le portefeuille de ministre de l’économie, et procéder à de grandes embrassades avec Manuel Valls, voyant en lui quelqu’un de « passionnément à gauche » ; alors que, lors des primaires socialistes de 2011, il lui faisait à bon droit grief de n’avoir « qu’un pas à faire pour aller à l’UMP ». Et puis, à peine six mois plus tard, les deux alliés ont fini par divorcer. Une séquence assez sinueuse, qui sur le moment a semblé passablement opaque et pas franchement glorieuse.

Or, maintenant que l’on connaît le quatrième document secret, c’est-à-dire la lettre qu’Arnaud Montebourg adresse à François Hollande le 30 mars 2014 au matin, c’est-à-dire, quelques heures avant la clôture du second tour des élections municipales (lire Les conditions secrètes de Montebourg pour faire équipe avec Valls), cette séquence devient d’un seul coup plus intelligible.

Comme on l’a vu, Arnaud Montebourg dit clairement au chef de l’État dans cette lettre qu’au lendemain de la débâcle prévisible des municipales, une réorientation de la politique économique lui semble plus que jamais impérieuse : « Nous aurions donc l’inconvénient de cumuler le déshonneur de passer pour de mauvais gestionnaires des comptes publics avec la responsabilité d’avoir fait bondir le chômage dans des proportions inouïes. Peut-on cumuler, par crainte excessive de Bruxelles, le naufrage économique programmé pour la France et la tragédie politique de l’élimination de la gauche de la carte électorale pour ses erreurs de jugements ? »

Et il assortit cette interpellation de cette condition : « Vous l’avez compris, au total, elles sont la condition sine qua non de l’utilité de mon travail au redressement industriel du pays. » En clair, Arnaud Montebourg prévient François Hollande en termes polis qu’il refusera d’être membre du prochain gouvernement, si celui-ci n’a pas la principale mission de procéder à un changement de cap économique.

Or, à l’époque, que se passe-t-il ? Arnaud Montebourg se voit proposer de devenir… ministre de l’économie. Il en conclut donc qu’il n’y a pas le moindre quiproquo : si ce portefeuille lui est confié, c’est qu’il a gagné sa bataille et qu’il est chargé de mettre en œuvre ces nouvelles orientations.

« Manuel Valls, explique-t-il, a manifesté sa compréhension de la situation économique. D’ailleurs, la lettre que j’ai envoyée à François Hollande entre les deux tours des municipales est une demande de changement de politique économique. Or, trois jours ou quatre jours plus tard, je suis nommé ministre de l’économie. C’est donc sur la base de cette lettre : c’est bien ce que cela veut dire. En plus, c’est Manuel Valls qui m’appelle et me dit : c’est toi le ministre de l’économie. Dans mon esprit, il ne pouvait pas y avoir de quiproquo, d’autant que Manuel Valls avait eu connaissance de cette lettre mais aussi de celle préconisant des mesures pour créer 1,5 million d’emplois. »

Selon Arnaud Montebourg, il n’y a donc pas la moindre ambiguïté. « À l’époque, insiste-t-il, la position que Manuel Valls exprime est claire. Il me dit : "C’est toi qui as raison !" Donc nous sommes tombés d'accord, si je puis dire, sur le mouvement qu’il fallait faire pour remettre en marche l’économie française. »

Dans ce constat que Manuel Valls serait d'accord sur une réorientation de la politique, y a-t-il chez Arnaud Montebourg une part de candeur – feinte ou réelle ? Quoi qu'il en soit, François Hollande envoie très vite des signes multiples faisant comprendre qu’il ne veut pas changer la politique économique d’un moindre iota. Et Manuel Valls fait de même. Pendant un temps, Arnaud Montebourg fait comme si de rien n’était, mais continue de défendre publiquement les orientations consignées dans sa lettre du 30 mars 2014, estimant que cette lettre est la base de l’accord scellé entre Manuel Valls et lui-même. En clair, sans que la presse ne le mette vraiment en scène, le ministre de l’économie défend publiquement une orientation qui s’écarte de celle défendue par l’Élysée ou Matignon.

Le 10 juillet 2014, lors d’un happening à Bercy avec forte mise en scène, le nouveau ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, présente ainsi sa feuille de route du redressement économique de la France pour les trois années à venir. Or, quelle est cette feuille de route ? Pour une bonne part, c’est la reprise, presque mot pour mot, de l’infléchissement économique qu’il avait proposé à François Hollande dans sa troisième note, celle qui recommandait d’affecter le produit des économies budgétaires selon une règle dite des trois tiers (lire Quand Montebourg expliquait à Hollande comment créer 1,5 million d’emplois).

Brisant le secret de sa note, mais sans en révéler l’existence, Arnaud Montebourg propose donc d’affecter le produit des efforts budgétaires selon une « règle des trois tiers » entre réduction des déficits et baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages. « Un tiers serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics », détaille-t-il. « Un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires sur les entreprises […] Un dernier tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », ajoute-t-il.

« Cette règle des trois tiers est de nature à soutenir la croissance, permettant par un autre chemin le rétablissement de nos comptes publics. Et nous pourrions de la sorte nous remettre à créer de l’emploi et cesser enfin d’en détruire », insiste-t-il.

Ce 10 juillet 2014, François Hollande et Manuel Valls, qui ont naturellement lu la note en question, écrite six mois plus tôt, sont les seuls à comprendre la source d’inspiration d’Arnaud Montebourg. Et pourtant, les annonces du ministre de l’économie n’ont aucune suite. Ce jour-là, ni Matignon ni l’Élysée ne s’en offusquent, alors que le propos d'Arnaud Montebourg quelques semaines plus tard, à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), sera exactement de la même veine.

Il faudra attendre le premier conseil des ministres de la mi-août, à la fin des vacances du gouvernement, pour que, pour la première fois, Manuel Valls reproche à Arnaud Montebourg de défendre une orientation économique qui s’écarte de celle du gouvernement. Ce jour-là, Thierry Mandon, le secrétaire d’État à la réforme de l’État, se penche vers Arnaud Montebourg et lui souffle à l’oreille : « Tu vois ! Ton accord avec Valls vient d’exploser… »

La suite, on la connaît. Quelques jours plus tard, le 24 août suivant, à l’occasion d’une intervention lors de la traditionnelle fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg confirme publiquement ce qui était consigné dans sa lettre du 30 mars 2014, et qui était la base de son accord avec Manuel Valls : « J'ai proposé comme ministre de l'économie, au président de la République, au premier ministre, dans la collégialité gouvernementale, et sollicité une inflexion majeure de notre politique économique », déclare-t-il ce jour-là.

Le quiproquo est alors définitivement levé : dès le lendemain, Manuel Valls, estimant qu’Arnaud Montebourg a franchi une ligne jaune, présente la démission de son gouvernement pour en constituer un autre, sans Arnaud Montebourg, mais aussi sans Benoît Hamon ni Aurélie Filippetti.

Une nouvelle fois, Arnaud Montebourg n’a-t-il donc pas été piégé, tout à la fois par les institutions présidentialistes qui interdisent tout véritable débat ; mais aussi piégé par François Hollande et Manuel Valls, qui avaient impérativement besoin de sa présence au gouvernement, après le séisme des municipales et le départ annoncé des Verts de la majorité ? En tout cas, avec le recul, Arnaud Montebourg admet que les derniers mois qu’il a vécus au gouvernement ont été un enfer et qu’il était las de se battre contre le conformisme. « Je me suis affronté au conformisme. Au conformisme de politiques économiques suicidaires », lâche-t-il.

Et puis, il ne regrette surtout pas d’avoir dit les choses clairement ce 24 août, à Frangy-en-Bresse : « Dans une entreprise, quand vous en êtes le directeur financier, et que vous sentez que la situation se dégrade, vous alertez le PDG. Et s’il ne fait rien, que faites-vous ? Vous avertissez les actionnaires. Eh bien, c’est un peu ce que j’ai fait : et comme les actionnaires de la France, ce sont en quelque sorte les Français, ce sont eux que, pour finir, j’ai voulu informer de la gravité de la situation. C’est ce que j’ai fait à Frangy-en-Bresse », explique-t-il.

Comme libéré de tant de débats escamotés, Arnaud Montebourg dit librement aujourd’hui ce qu’il a sur le cœur. À savoir que les politiques d’austérité conduisent toute l’Europe – et la France avec elle –, vers une catastrophe économique, laquelle conduit tout droit vers une catastrophe politique et démocratique. « Ce gouvernement participe à la fabrication du chômage et du populisme. Nous sommes en train de porter la marche du Front national vers le pouvoir. Je ne veux pas être co-responsable de cette politique suicidaire. À un moment, il fallait que les choses soient dites », lâche-t-il.

Cette liberté de parole que retrouve Arnaud Montebourg ne dissipe, toutefois, en rien le sentiment qui se dégage des quatre documents qu’il avait secrètement envoyés à François Hollande. Le sentiment d’un gâchis formidable. Le gâchis des deux premières années de ce quinquennat…

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Les Européens lancent un nouvel ultimatum à Athènes

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De notre envoyé spécial à Bruxelles –. C'est un deuxième fiasco en l'espace de cinq jours. Les ministres des finances de la zone euro se sont séparés sur un nouveau constat d'échec sur la Grèce, plus retentissant encore que celui de mercredi dernier. Cette fois, le camp d'Alexis Tsipras a qualifié d'« absurde et inacceptable » la proposition avancée par ses partenaires européens dans l'après-midi du lundi 16 février, ce qui a provoqué la fin de la réunion. Il n'y a toujours « pas de terrain d'entente solide », a reconnu le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, en début de soirée.

Le temps presse pour trouver un accord alors que le « plan d'aide » de la Troïka (commission, BCE, FMI) à la Grèce, enclenché en 2012 pour une enveloppe de 130 milliards d'euros, prend fin le 28 février. Les Européens veulent l'« extension » du programme actuel, en y ajoutant des garanties de « flexibilité » pour se montrer conciliants. Mais Athènes ne veut pas en entendre parler, Syriza ayant promis d'en finir avec la Troïka pendant sa campagne électorale. Les Grecs préfèrent négocier dès à présent un « prêt relais » à partir d'un « contrat entre égaux », qui courrait « jusqu'à août », selon le souhait de Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec.

Les Européens ont durci leurs positions lundi. Ils ont même fixé un ultimatum à Athènes : le nouvel exécutif grec a jusqu'à vendredi, pour demander officiellement l'extension pour six mois du « programme actuel » d'aide à la Grèce. C'est une condition pour, dans la foulée, ouvrir des négociations de fond pour restructurer la dette. « Il n'y a pas d'alternative à la demande d'extension du programme », a martelé Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, répétant à plusieurs reprises à destination de Syriza, qu'« il faut faire preuve de logique, pas d'idéologie ».

Le ton était presque aussi catégorique pour Christine Lagarde, qui participait elle aussi à cet Eurogroupe : « Ma grande préférence va à l'extension du programme, et je pense que c'est faisable », a jugé la patronne du FMI. « Au sein de l'Eurogroupe, la plupart jugent qu'il revient aux Grecs de faire un geste », a insisté Dijsselbloem, qui n'a pas exclu la tenue d'une nouvelle réunion ce vendredi. En cas d'accord ce jour-là, il resterait une petite semaine aux exécutifs de certains pays, comme l'Allemagne ou la Finlande, pour faire valider, devant leur parlement, ce programme d'aide avant la date-limite du 28. Le calendrier est de plus en plus serré. Les rumeurs sur une dégradation de la situation financière du pays depuis janvier ne cessent de se renforcer.

Pour les Grecs, cette option est une provocation. « Dans l'histoire de l'Union européenne, rien de bon n'est jamais venu d'un ultimatum, a déclaré Varoufakis lors de sa conférence de presse bruxelloise lundi soir. J'espère que toute notion d'ultimatum sera suspendue. » Il s'est toutefois dit confiant pour trouver un accord « dans les 48 heures », ce qui serait compatible avec la tenue d'une énième réunion « de la dernière chance », vendredi prochain à Bruxelles.  

Yanis Varoufakis à Bruxelles, lundi.Yanis Varoufakis à Bruxelles, lundi.

D'après Varoufakis, il existe une tension entre deux principes : d'un côté, la continuité de l'État grec, qui fait que le gouvernement grec doit respecter ses engagements passés, et de l'autre, les règles de la démocratie et du scrutin populaire. « Décréter des ultimatums, donner la priorité à un principe (celui de la continuité de l'État grec – ndlr) par rapport à un autre (celui de la démocratie – ndlr) ne manquerait pas d'avoir des répercussions négatives sur l'ensemble du projet européen », a-t-il menacé.

C'est tout le casse-tête auquel les Européens sont confrontés : peut-on à la fois respecter le scrutin grec du 25 janvier et laisser Syriza appliquer ses promesses électorales, tout en respectant les règles et traités européens, censés garantir le fonctionnement de la monnaie commune ? En clair, la zone euro peut-elle faire preuve de souplesse, pour intégrer des politiques économiques différentes ? Les négociations n'ont véritablement commencé que depuis une semaine à Bruxelles, mais il est, jusqu'à présent, permis d'en douter.

Après tout, la proposition d'une extension du programme de la Troïka, que viennent de faire les Européens, ressemble très fort à celle que les mêmes avaient déjà faite à l'automne dernier à Athènes. Et le gouvernement d'alors, celui du conservateur Antonis Samaras, avait déjà refusé cette extension, soucieux de sortir du programme au plus vite… Quelle est la différence entre les deux offres de Bruxelles, celle de l'automne à Samaras, et celle de lundi à Tsipras ?

Réponse de Pierre Moscovici lors de la conférence de presse : les Européens sont prêts, cette fois, à discuter pour modifier les 30 % de mesures du mémorandum de la Troïka que Varoufakis considère comme « toxiques » – tout en conservant les 70 % restants. « Il y a donc de la place pour faire de la politique », a conclu le commissaire européen, qui se dit soucieux de « trouver un équilibre entre l'inflexion des politiques (…) parce que quand un peuple s'exprime on ne peut pas y être sourd (…) et les principes et engagements qui fondent la communauté de l'euro ».

De son côté, Michel Sapin est sur la même ligne : « Nous avons, me semble-t-il, une voie, qui est une voie raisonnable, une voie qui tient compte du vote du peuple grec, que l'on appelle une extension technique, avec des flexibilités, et donc la possibilité de changer des éléments du programme précédent justement pour tenir compte du vote grec », a commenté le ministre français des finances à la sortie de la réunion.

Lundi soir, Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec, ne s'est pas démonté. Il a regretté ce qu'il considère comme un retour en arrière des Européens dans les négociations. En marge d'un conseil européen jeudi dernier à Bruxelles, Alexis Tsipras et Jeroen Dijsselbloem, le patron de l'Eurogroupe, s'étaient entendus pour « explorer un terrain d'entente situé entre le programme actuel et les projets du gouvernement grec », ce qui avait été considéré par Athènes comme une avancée décisive.

Mais si l'on s'en tient à la proposition de communiqué rédigée par la présidence de l'Eurogroupe lundi, que Mediapart a pu lire (photo ci-contre), il est question de faire « un usage optimal des règles existantes de flexibilité au sein de l'actuel programme ». Il est même écrit explicitement : « Les autorités grecques ont exprimé leur intention de demander une extension technique de six mois du programme actuel. » D'où l'agacement des Grecs qui ont claqué la porte des négociations.

Selon la version de Varoufakis, cette affaire est d'autant plus pénible que Pierre Moscovici lui avait présenté, lundi en amont de la réunion, un autre projet d'accord, qui lui paraissait bien plus acceptable, sans qu'il ne dise clairement pourquoi. Mais cette version, toujours selon Varaoufakis, a été remaniée au début de l'Eurogroupe.

Interrogé, une nouvelle fois, par des journalistes soucieux de savoir jusqu'où est prêt à aller Varoufakis, le ministre, ex-universitaire spécialiste de la théorie des jeux, a répondu : « Ce n'est pas du bluff. C'est la seule option que l'on a sur la table. Il n'y a pas plus de plan B qu'un plan A. Donc, aucun bluff de ma part. »

Impossible de savoir comment le feuilleton grec va finir. Lors de sa conférence de presse jeudi soir à Bruxelles, François Hollande y était allé de son analyse, pas franchement réjouissante pour la suite. Il s'exprimait alors que Tsipras venait de participer à son premier sommet bruxellois : « Chaque fois qu'il y a un nouveau membre du conseil, on le regarde, on se demande s'il va changer les règles, les rites. Généralement, il n'y parvient pas, sur les rites. Sur les règles, il peut essayer d'y travailler quand même… À Alexis Tsipras d'engager le dialogue. À lui aussi de comprendre que des règles existent, et qu'elles doivent être respectées. »

Et le chef d'État français de poursuivre : « S'il n'y avait pas de changement lié à une alternance, pourquoi les électeurs continueraient à voter ? L'Europe ne peut pas être une contrainte, une obligation de faire une seule politique. Mais il y a une obligation et la France s'y soumet, parce que c'est la vie commune, parce qu'il faut respecter les règles. »

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Rebondissement dans l’interminable feuilleton Tapie : dans un arrêt rendu ce mardi 17 février, la cour d’appel de Paris a décidé de réviser l'arbitrage qui avait alloué à Bernard Tapie, au terme d’une sentence controversée rendue le 7 juillet 2008, la somme de 405 millions d’euros d’indemnités, dont 45 millions d’euros au titre du préjudice moral. Jugeant recevable le recours en révision introduit par le Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de cantonnement créée en 1995 qui a hérité des actifs douteux du Crédit lyonnais, et qui a reçu en legs la confrontation judiciaire initiée par l’homme d’affaires contre l’ex-banque publique au sujet de la vente par ses soins du groupe de sports Adidas), les magistrats dont donc annulé l'arbitrage.

Le rebondissement est d’autant plus spectaculaire que la cour d’appel accorde au CDR – en clair, à l’État –, une totale victoire judiciaire sur Bernard Tapie. D’abord, l’arrêt « dit le recours en révision recevable pour avoir été introduit dans le délai prévu par l’article 596 du Code de procédure civile » et il « ordonne la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008 ainsi que des trois sentences du 27 novembre 2008 qui en sont la suite et la conséquence ». Ensuite, il écarte la demande de Bernard Tapie, selon lequel l’arbitrage initial était un arbitrage international – ce qui aurait exigé qu’un nouveau tribunal arbitral soit constitué pour rejuger l’affaire. Estimant qu’il s’agissait d’un arbitrage interne, la cour d’appel estime qu’elle est compétente pour rejuger l’affaire sur le fond. La cour « dit, en conséquence, que le recours en révision formé par les sociétés CDR Créances et CDR-Consortium de réalisation à l’encontre desdites sentences relève du pouvoir juridictionnel de la cour ; dit que l’affaire sera appelée pour plaidoirie sur le fond à l’audience du 29 septembre 2015 à 9h30 ».

Alors que l’on sait désormais depuis des mois que cet arbitrage est entaché de forts soupçons de fraude, cette révision était prévisible. Elle n’en constitue pas moins un séisme, qui va connaître des répliques dans de nombreux domaines.

D’abord dans le cadre de cette procédure civile, puisque le différend commercial, vieux de près de vingt ans, entre le CDR et Bernard Tapie va devoir être rejugé. Puis dans le cadre de la procédure pénale qui se déroule en parallèle, et qui a vu la mise en examen pour « escroquerie en bande organisée » de six protagonistes de l’affaire : Bernard Tapie ; son avocat, Me Maurice Lantourne ; l’ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et actuel patron d’Orange, Stéphane Richard ; l’ancien président du CDR, Jean-François Rocchi ; et Bernard Scémama, l’ancien président de l’Établissement public de financement et de restructuration (EPFR – l’établissement public qui contrôle à 100 % le CDR). Puis encore dans le cadre de la procédure devant la Cour de justice de la République (CJR), qui a vu la mise en examen pour négligence de Christine Lagarde, ex-ministre des finances et actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Et enfin des répliques politiques, puisqu’au cœur de ce scandale, il y a le secret non encore élucidé des relations entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie et des éventuels services qu’ils se sont mutuellement rendus.

En bref, cet arrêt de la cour d’appel va fonctionner comme une bombe à fragmentation au cours des prochains mois, et il importe d’en analyser toutes les ondes de choc.

D’abord, prenons connaissance de l’arrêt lui-même. Il est possible de le télécharger ici ou de le consulter ci-dessous :

* Pourquoi la cour d’appel a-t-elle décidé de réviser la sentence ?

En droit, il faut que des conditions très particulières soient réunies pour qu’un arbitrage puisse faire l’objet d’un recours en révision. Selon l’article 594 du Code de procédure civile, « le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes : 1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ; 2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ; 3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ; 4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement. Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée ».

Grand spécialiste de l'arbitrage, le professeur de droit Thomas Clay a vite expliqué que ces conditions étaient réunies et plaidait en faveur d'un recours en révision. Mais pendant longtemps, il n'a pas été entendu. On se rend compte aujourd'hui que c'était à tort et que beaucoup de temps a été perdu, car c'était bel et bien le cas de figure dans lequel nous nous trouvions. Pour motiver son arrêt, la cour d’appel s’attarde en effet très longuement « sur l’existence de la fraude » et classe les irrégularités déjà avérées en plusieurs catégories. Elle fait d’abord longuement allusion au « mémoire d’honoraires du 6 juillet 1997 », un document comptable mis au jour par le rapport de la Cour des comptes qui révélait un premier lien d’affaires entre l’un des arbitres, Pierre Estoup, et l’avocat de Bernard Tapie, Me Maurice Lantourne.

L’arrêt s’attarde aussi sur « la préparation de l’arbitrage » et relève par exemple ceci : « Considérant qu’alors que le compromis d’arbitrage a été signé le 16 novembre 2007, l’agenda de Monsieur Estoup porte à la date du 30 août 2006 la mention “15h Tapie” ; qu’il a été constaté que le 31 août 2006 un collaborateur du cabinet Friedfranck dont Monsieur Maurice Lantourne était un des associés a rédigé une note à l’intention de Monsieur Tapie, en faveur du recours à un arbitrage (Scellé n°49 doc. 42) puis le 5 septembre 2006 un courrier à Monsieur Estoup accompagné de nombreuses pièces de fond et de procédure extraites du contentieux relatif à la cession Adidas, alors pendant devant la Cour de cassation (Scellé 49 doc n°43), le relevé de diligences établi à cette occasion révélant que cet envoi avait été précédé d’un “point avec ML”; que le 12 septembre 2006, ce même collaborateur au sein du cabinet Friedfranck, dont la fiche de travail mentionne le 8 septembre 2006 “RDV ESTOUP”, a rédigé, au nom de Monsieur Lantourne, une nouvelle note sur le dossier Adidas (scellé 49 doc n°45), le relevé de diligences du même jour de cet avocat énonçant “1;00 Courriers à Me Piwnica, M.Estoup et BT.” ce qui atteste que Monsieur Estoup et Monsieur Bernard Tapie étaient tous deux destinataires de cette note. »

Au nombre des irrégularités qui ont entaché l’arbitrage, la cour d’appel relève aussi « les relations avec les associations de petits porteurs ». Explication : « Considérant qu’outre la proximité précédemment relevée de Monsieur Estoup avec Monsieur Chouraqui, l’un des avocats de Monsieur Tapie, par ailleurs conseil de l’APPAVLA, les courriers des 17 mars 2000 (pièce n°60 D.1690/2) et 23 mars 2000 (pièce n°60 D.1690/8) que Monsieur Lantourne a adressés à Monsieur Estoup, révèlent que ces derniers étaient en contact régulier et que le second a été tenu informé de l’évolution du litige opposant la banque aux actionnaires minoritaires de la CEDP (anciennement BTF) dont les intérêts défendus par l’APPAVLA et son président Jean Bruneau étaient, ainsi qu’il a été dit, étroitement liés à ceux de Monsieur Tapie ; Considérant par ailleurs que si Monsieur Estoup dénie avoir rencontré Monsieur Tapie le 30 août 2006 et reçu les deux notes établies à son intention, son activisme en faveur de la promotion des intérêts de Monsieur Tapie et de ses sociétés se trouve confirmé par le rendez-vous organisé avec Monsieur Cornardeau, président de l’Association des Petits Porteurs Actifs (APPAC) et son conseil Monsieur Frédérik-Carel Caroy (dont les coordonnées téléphoniques ont été retrouvées sur l’agenda 2006 de Monsieur Estoup) lesquels s’ils divergent sur la date de cette rencontre située par l’un en 2004 (pièce n°70 D.1815/4) et par l’autre en 2003 (pièce n°90 D.2101/4), s’accordent sur le but poursuivi par Monsieur Estoup qui était de convaincre l’APPAC d’intervenir au soutien des intérêts de Monsieur Tapie dans son différend avec le Crédit Lyonnais à propos de la vente d’Adidas à laquelle l’APPAC était totalement étrangère. »

Comme on peut le relever dans l’arrêt, la cour s’attarde également sur « la proximité personnelle de l’arbitre Estoup avec Monsieur Tapie », en faisant notamment référence à la dédicace de Bernard Tapie sur un livre offert à Pierre Estoup, ou encore à « l’attitude de Monsieur Estoup au cours de l’arbitrage ».

Dans ce dernier cas, la cour fait notamment ces observations : « Considérant que cette volonté s’évince de plus fort de l’attitude, au cours de l’arbitrage, de Monsieur Estoup qui fort de sa grande pratique de ce mode de règlement des litiges dont il se dit lui-même un “vieux routier” (lettre du 19 janvier 2008 aux co-arbitres (pièce 90 scellé 35) ainsi que de l’autorité attachée à son ancienne qualité de haut magistrat, s’est employé, à seule fin d’orienter la solution de l’arbitrage dans le sens favorable aux intérêts d’une partie, à exercer au sein du tribunal arbitral, un rôle prépondérant et à marginaliser ses co-arbitres poussés à l’effacement par facilité, excès de confiance, parti pris voire incompétence ainsi qu’il résulte de leurs auditions et de la teneur du courrier adressé par l’un d’eux à l’intéressé (pièce ministère public n°38 D.1551). »

Assez curieusement – mais nous aurons l’occasion d’y revenir –, l’arrêt ne cite toutefois que les fautes éventuellement imputables à l’un des trois arbitres, Pierre Estoup, sans jamais faire allusion aux comportements des deux autres arbitres, sur lesquels pèsent aussi des soupçons, et tout particulièrement l’avocat et académicien Jean-Denis Bredin, qui a été dans le passé, à plusieurs reprises, en relation avec Bernard Tapie ou son avocat, Me Lantourne.

Quoi qu’il en soit, les faits évoqués par la cour d’appel sont si nombreux que l’on comprend vite les raisons de sa décision : cet arbitrage a fait l’objet de fraudes d’une ampleur exceptionnelle.

(Pour mémoire, on peut visionner ci-dessous l'édito vidéo réalisé par Mediapart dès le 16 octobre 2008 pour résumer l'affaire Tapie)

* Qui va juger définitivement le différend entre l’ex-Crédit lyonnais et Bernard Tapie ?

Bernard Tapie et ses avocats avaient par avance usé d’un subterfuge pour qu’en cas de révision de l’arbitrage, ce soit un nouveau tribunal arbitral qui soit appelé à rejuger le différend commercial entre le CDR et lui-même au sujet de la vente d’Adidas, survenue en 1993. La loi prévoit en effet, dans ce cas de figure, que la juridiction compétente est un tribunal arbitral, désigné par le tribunal de commerce, s’il s’agit d’un arbitrage international. Mais dans le cas contraire, s’il s’agit d’un arbitrage interne, la loi prévoit que la cour d’appel soit elle-même compétente.

Préférant le secret d’un tribunal privé à la justice publique de la République, Bernard Tapie a par avance introduit une requête devant le tribunal de commerce de Paris, afin qu’un nouveau tribunal arbitral soit éventuellement constitué. Mais le tribunal de commerce a eu la prudence de renvoyer sa décision au lendemain de celle de la cour d’appel en décidant un sursis à statuer.

Sage décision, car la cour d’appel ruine aussi ces derniers espoirs de Bernard Tapie. La cour observe en effet que Bernard Tapie fait certes valoir que le groupe Adidas, au cœur du différend commercial, est une société de droit allemand ; mais elle ajoute tout aussitôt que, pour être qualifié d’arbitrage international, « le litige soumis à l’arbitre doit, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la qualification qu’elles lui ont donnée, de la loi applicable au fond ou à l’arbitrage, porter sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, une telle opération devant réaliser un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières ».

Et la cour ajoute : « Considérant que ces différends portent sur le dénouement des multiples liens financiers tissés en France entre une banque française et ses clients français et sur les manquements allégués de la première à ses obligations à l’égard des seconds et que leur solution, quelle qu’elle soit, n’emportera pas de flux financier ou de transfert de valeurs au travers des frontières ; international ; que leur arbitrage ne met donc pas en cause les intérêts du commerce ;  qu’il s’ensuit l’arbitrage étant interne, que la voie de la révision est ouverte, conformément aux dispositions de l’article 1491 du Code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la date de la sentence, devant la cour d’appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence. »

En clair, il s’agit donc bien d’un arbitrage interne et la cour d’appel est bien compétente. Elle a même déjà fixé la date de l’audience sur le fond, au 29 septembre 2015 à 9 h 30.

* Quand elle rejugera l’affaire Adidas sur le fond, à qui la cour d’appel pourrait-elle donner raison ?

L’arrêt de la cour d’appel de Paris a pour effet de replacer les parties en confrontation judiciaire, le CDR d’un côté, Bernard Tapie de l’autre, dans la situation où ils se trouvaient juste avant l’arbitrage.

Or, cette situation était très nettement à l’avantage de l’État et au désavantage de Bernard Tapie. On se souvient en effet que, au début de l’histoire, le différend Adidas/Crédit lyonnais était examiné par la justice de la République. Il avait fait l’objet d’un arrêt, le 30 septembre 2005, de la cour d’appel de Paris. Cet arrêt estimait que le Crédit lyonnais était fautif et il avait alloué 135 millions d’euros de dédommagements à Bernard Tapie – en réalité, l’arrêt comprenait une erreur de calcul et la vraie somme était de 145 millions d’euros, intérêts compris, dont 1 euro seulement au titre du préjudice moral. On était donc très loin des 405 millions d’euros alloués ultérieurement par les arbitres, dont 45 millions d’euros au titre du préjudice moral.

Mais l’affaire est ensuite arrivée devant la Cour de cassation, et par un arrêt en date du 9 octobre 2006, les magistrats avaient partiellement cassé la décision rendue en appel, estimant qu’elle avait été trop avantageuse pour Bernard Tapie.

Pour mémoire, voici cet arrêt de la Cour de cassation, qui va redevenir un texte de référence :

L'arrêt prononçait la cassation sur deux points majeurs. D’abord, il faisait valoir que le Crédit lyonnais et sa filiale, la SDBO, qui avaient organisé la vente d’Adidas, étaient juridiquement deux entités distinctes, et que les faits imputés à l’une ne pouvaient l’être automatiquement à l’autre. Et dans tous les cas de figure, comme le dit le résumé de cet arrêt, « la Cour de cassation ne s’est donc pas prononcée sur l’éventuel préjudice subi par le groupe Tapie, aucune faute n’étant en l’état caractérisée à l’encontre de la SDBO et du Crédit lyonnais ».

La Cour de cassation contredisait aussi la cour d’appel, estimant que nul ne peut se prévaloir de la valeur ultérieure d’une entreprise pour remettre en cause une transaction dont elle a fait l’objet auparavant. En clair, l’argument majeur de Bernard Tapie sur la valeur ultérieure d’Adidas était balayé par la Cour de cassation.

À l’époque, au lendemain de la décision de la plus haute juridiction française, l’État était donc en position judiciairement très avantageuse et avait juste à attendre qu’une cour de renvoi tranche le différend. Il était en fait en passe de gagner. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Bernard Tapie avait demandé à Nicolas Sarkozy de suspendre le cours de la justice ordinaire, pour en appeler à une justice privée et secrète.

L’arbitrage étant annulé, on se retrouve donc dans une situation très proche de celle dans laquelle l’État était au lendemain de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 : le CDR est en passe de gagner sa confrontation judiciaire, car il risque moins que la condamnation de 2005, et peut-être rien du tout.

La situation judiciaire de l’État est même encore plus confortable puisque, à l’époque, la cour d’appel et la Cour de cassation avaient tranché le principal contentieux entre Bernard Tapie et le CDR, mais il en restait sept autres. Or, depuis l’arbitrage, les huit contentieux existants ont été confondus.

* L’arrêt de la cour d’appel peut-il faire l'objet d'un pourvoi en cassatrion ?

La révision de l’arbitrage est définitive. Bernard Tapie ne pourra se pourvoir une dernière fois en cassation que lorsque l’affaire sera rejugée, sur le fond, en septembre prochain, par la cour d’appel de Paris. En clair, on arrive à la fin de ce parcours d’obstacles judiciaire qui a commencé à la fin de l’année 1994. Encore quelques mois, et l’affaire sera close. En tout cas, l’affaire Adidas/Crédit lyonnais, c’est-à-dire la procédure civile…

* Bernard Tapie va-t-il devoir rendre les 405 millions d’euros ? 

En droit, cela ne fait aucun doute : puisque l’arbitrage est cassé par la cour d’appel, il doit rendre les 405 millions d’euros que les arbitres lui ont alloués. Il suffit que le CDR lui notifie par huissier sa volonté de récupérer son dû pour que l'argent soit aussitôt exigible.

Comme nous l’avons raconté dans une enquête en décembre dernier (lire Tapie : 17 millions d’euros placés sous séquestre à Hong Kong), il n’est pas certain, pourtant, que l’État récupère la totalité du magot, car la justice subodore qu’une partie des fonds a trouvé refuge dans des places financières accueillantes.

Dans la foulée de la mise en examen, le 28 juin 2013, de l’ex-homme d’affaires pour « escroquerie en bande organisée », les trois juges d’instruction en charge du scandale de l’arbitrage Adidas-Crédit lyonnais avaient pris des ordonnances pour saisir une partie de ses biens. Dans leur esprit, il s’agissait de mesures conservatoires, de sorte que l’État puisse récupérer tout ou partie des 405 millions alloués à Bernard Tapie au terme de l'arbitrage, s’il se révélait qu’il a été frauduleux.

À l’époque, la saisie avait donc concerné les deux assurances vie souscrites par Bernard Tapie et son épouse. À peine avait-il perçu les 45 millions d’euros qui lui avaient été alloués au titre du préjudice moral, que Bernard Tapie prenait en effet langue avec un banquier dont il est proche, Matthieu Pigasse, le patron de la banque Lazard, et coactionnaire du journal Le Monde. Bernard Tapie avait alors viré la totalité de la somme, dès le 18 septembre 2008, sur un compte ouvert auprès de la banque d’affaires, laquelle a pu souscrire le 2 décembre 2008 pour son client et son épouse des contrats d’assurance vie auprès de Axa Vie France et La Mondiale Partenaire pour un montant global de 36 millions d’euros. Sur ce montant, près de 20 millions d’euros ont donc finalement été saisis.

Les magistrats ont aussi placé sous séquestre les parts sociales que les époux Tapie détiennent dans leur splendide hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, à Paris, pour une valorisation de 69 millions d'euros, ainsi que celles de la villa qu’ils ont achetée en 2011 à Saint-Tropez, pour 48 millions d’euros. Les biens professionnels de Bernard Tapie, et notamment sa participation dans le quotidien La Provence, n’ont en revanche pas été placés sous séquestre.

Mais très tôt, la justice française subodore qu’une partie de la fortune de Bernard Tapie est peut-être aussi partie à l’étranger, notamment à Hong Kong, où 17 millions d’euros sont placés sous séquestre à la demande de la justice française. Alors que la Suisse accepte de plus en plus largement de s’ouvrir aux demandes d’entraide internationale judiciaires et fiscales, de grandes fortunes se sont progressivement délocalisées ces dernières années vers Hong Kong, qui avait la réputation d’être une place financière non coopérative.

(Pour mémoire, on peut visionner ci-dessous le débat lors d'une soirée en live sur Mediapart le 25 janvier 2013, consacrée à l'affaire Tapie.)

Ce soupçon de la justice française est d’ailleurs très vite étayé. Comme l’avait révélé Le Parisien le 17 septembre 2013, deux semaines après le placement sous séquestre d’une partie de ses biens, Bernard Tapie a « tenté de transférer 1,8 million d’euros à Hong Kong ». Voici ce que racontait à l’époque le quotidien : « Las, le 23 juillet, Tracfin exerce son droit d'opposition et le 25 juillet, le parquet demande la saisie pénale de ce virement. Pour cette opération, Bernard Tapie a eu recours à un montage complexe. Tout d'abord, il a transféré 2 millions d’euros d'un compte qu'il détient au Danemark par le biais de Saxo Banque vers une de ses sociétés, filiale française du Groupe Bernard Tapie (GBT), la holding de l'homme d'affaires dont le siège est à Bruxelles. Puis Tapie demande à la banque française où est domiciliée cette société de transférer 1,8 million d’euros sur le compte d'une autre filiale de GBT basée à Hong Kong. Problème : la banque française signale ce mouvement à Tracfin, la cellule antiblanchiment du ministère de l'économie. Cette dernière demande immédiatement le blocage de l'opération, les biens de Bernard Tapie étant sous séquestre. »

À l’époque, Bernard Tapie avait contesté cette version de l’histoire. « Faux, archifaux ! avait-il rétorqué au Parisien. Je n'ai jamais cherché à cacher de l'argent à l'administration française. J'ai bien procédé au transfert de 1,8 million d'euros, mais dans le but d'assurer le paiement du personnel de mes filiales à l'étranger. » Il faisait en particulier allusion aux employés de son yacht le Reborn, qu’il dit depuis avoir revendu et qui était à l’époque immatriculé à Singapour.

Nous avons nous-même cherché à joindre Bernard Tapie, en décembre dernier, au sujet de ces 17 millions d’euros qui viennent d’être placés sous séquestre à Hong Kong. Par SMS, il nous a fait cette réponse : « Je n'ai pas d'avoirs à Hong Kong. Nous avons une filiale en Asie qui est détenue à 100 % par Groupe Bernard Tapie Holding qui possède un compte à Hong Kong déclaré et connu des autorités françaises et qui a d'ailleurs été saisi comme l'ont été les comptes de toutes les filiales du groupe !!! » Bernard Tapie nous a aussi proposé d'entrer en contact avec le responsable juridique de son groupe. Plusieurs heures après la mise en ligne de cet article, nous avons pu joindre ce dernier. Selon lui, Bernard Tapie aurait transféré près de 9 millions d'euros sur un compte HSBC, pour « prospecter des investissements locaux » et ce sont seulement ces avoirs de 9 millions d'euros, et non 17, qui auraient fait l'objet d'une saisie. Toujours d'après ce responsable juridique du groupe Tapie, la saisie aurait eu lieu antérieurement à ce que nos sources nous ont indiqué : elle serait intervenue dès août 2013.

Quoi qu’il en soit, si l’État a gagné une bataille judiciaire majeure face à Bernard Tapie, il n’est pas encore au bout de ses peines pour récupérer les 405 millions d’euros de l’arbitrage frauduleux.

Question incidente, mais qui est évidemment importante : que devient le quotidien La Provence, dont Bernard Tapie a récemment fait l’acquisition ? Par ricochet, la cour d’appel en annulant l’arbitrage n’en a-t-il pas fait la propriété de l’État ? On en viendrait presque à sourire, tant les socialistes exècrent de nos jours les nationalisations…

(Pour mémoire, on peut visionner ci-dessous le débat organisé, le 11 février 2013, au théâtre de La Criée à Marseille par Mediapart, en partenariat avec le site d'information Marsactu et le mensuel Le Ravi, sur le thème : « Libérons la presse ».)

* Où en sont les autres procédures ?

Il y a d’abord une procédure en cours devant la Cour de justice de la République, visant Christine Lagarde, mise en examen pour négligences.

Par ailleurs, la procédure pénale suit son cours. Pour l’instant, six personnalités sont toujours mises en examen. Mais de nouveaux rebondissements sont possibles car si l’instruction approche de son terme, elle n’est pas encore totalement terminée.

D’abord d’ultimes confrontations devaient avoir lieu, notamment entre Stéphane Richard, Jean-François Rocchi et Bernard Scemama. Ensuite, les magistrats instructeurs devront aussi apprécier s’ils disposent d’assez d’indices concordants leur permettant de mettre également en examen Claude Guéant.

* La justice est-elle en passe de percer le mystère de l’affaire Tapie ?

Il serait prématuré de le penser. Certes, la justice a fait un immense pas en avant, en procédant aujourd’hui à l’annulation de l’arbitrage sur lequel pesaient tant d’indices de fraude. Mais la manifestation de la vérité n’est encore qu’incomplète. D’abord, comme on le voit dans cet arrêt de la cour d’appel, l’arbitre Pierre Estoup est un possible coupable bien commode. C’est à lui, avec Bernard Tapie et Maurice Lantourne, que risque de se circonscrire, à la fin, la fameuse « bande organisée ».

Du même coup – Mediapart y reviendra dans une nouvelle enquête –, le rôle de certains autres protagonistes de l’affaire semble minimisé. Celui par exemple de l’avocat et académicien Jean-Denis Bredin. Ou de l’avocat du CDR, Me Gilles August, qui dès février 2007 avait des rendez-vous secrets avec Bernard Tapie, l’adversaire… de son client !

C’est donc assurément une bonne chose que l’arbitrage soit annulé, puisqu’il a manifestement été irrégulier. Mais il reste que cet arbitrage présente une singularité hors norme : les plafonds d’indemnisation extravagants en faveur de Bernard Tapie ont été consignés dès le compromis d’arbitrage, c’est-à-dire avant même que les arbitres n’interviennent. Alors, si un complot a été ourdi, il l’a été avant même que l’arbitrage ne commence. Ce secret-là n’est pas encore totalement percé, même si l’on peut faire des hypothèses…

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Les Européens lancent un ultimatum à Athènes

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De notre envoyé spécial à Bruxelles –. C'est un deuxième fiasco en l'espace de cinq jours. Les ministres des finances de la zone euro se sont séparés sur un nouveau constat d'échec sur la Grèce, plus retentissant encore que celui de mercredi dernier. Cette fois, le camp d'Alexis Tsipras a qualifié d'« absurde et inacceptable » la proposition avancée par ses partenaires européens dans l'après-midi du lundi 16 février, ce qui a provoqué la fin de la réunion. Il n'y a toujours « pas de terrain d'entente solide », a reconnu le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, en début de soirée.

Le temps presse pour trouver un accord alors que le « plan d'aide » de la Troïka (commission, BCE, FMI) à la Grèce, enclenché en 2012 pour une enveloppe de 130 milliards d'euros, prend fin le 28 février. Les Européens veulent l'« extension » du programme actuel, en y ajoutant des garanties de « flexibilité » pour se montrer conciliants. Mais Athènes ne veut pas en entendre parler, Syriza ayant promis d'en finir avec la Troïka pendant sa campagne électorale. Les Grecs préfèrent négocier dès à présent un « prêt relais » à partir d'un « contrat entre égaux », qui courrait « jusqu'à août », selon le souhait de Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec.

Les Européens ont durci leurs positions lundi. Ils ont même fixé un ultimatum à Athènes : le nouvel exécutif grec a jusqu'à vendredi, pour demander officiellement l'extension pour six mois du « programme actuel » d'aide à la Grèce. C'est une condition pour, dans la foulée, ouvrir des négociations de fond pour restructurer la dette. « Il n'y a pas d'alternative à la demande d'extension du programme », a martelé Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques, répétant à plusieurs reprises à destination de Syriza, qu'« il faut faire preuve de logique, pas d'idéologie ».

Le ton était presque aussi catégorique pour Christine Lagarde, qui participait elle aussi à cet Eurogroupe : « Ma grande préférence va à l'extension du programme, et je pense que c'est faisable », a jugé la patronne du FMI. « Au sein de l'Eurogroupe, la plupart jugent qu'il revient aux Grecs de faire un geste », a insisté Dijsselbloem, qui n'a pas exclu la tenue d'une nouvelle réunion ce vendredi. En cas d'accord ce jour-là, il resterait une petite semaine aux exécutifs de certains pays, comme l'Allemagne ou la Finlande, pour faire valider, devant leur parlement, ce programme d'aide avant la date-limite du 28. Le calendrier est de plus en plus serré. Les rumeurs sur une dégradation de la situation financière du pays depuis janvier ne cessent de se renforcer.

Pour les Grecs, cette option est une provocation. « Dans l'histoire de l'Union européenne, rien de bon n'est jamais venu d'un ultimatum, a déclaré Varoufakis lors de sa conférence de presse bruxelloise lundi soir. J'espère que toute notion d'ultimatum sera suspendue. » Il s'est toutefois dit confiant pour trouver un accord « dans les 48 heures », ce qui serait compatible avec la tenue d'une énième réunion « de la dernière chance », vendredi prochain à Bruxelles.  

Yanis Varoufakis à Bruxelles, lundi.Yanis Varoufakis à Bruxelles, lundi.

D'après Varoufakis, il existe une tension entre deux principes : d'un côté, la continuité de l'État grec, qui fait que le gouvernement grec doit respecter ses engagements passés, et de l'autre, les règles de la démocratie et du scrutin populaire. « Décréter des ultimatums, donner la priorité à un principe (celui de la continuité de l'État grec – ndlr) par rapport à un autre (celui de la démocratie – ndlr) ne manquerait pas d'avoir des répercussions négatives sur l'ensemble du projet européen », a-t-il menacé.

C'est tout le casse-tête auquel les Européens sont confrontés : peut-on à la fois respecter le scrutin grec du 25 janvier et laisser Syriza appliquer ses promesses électorales, tout en respectant les règles et traités européens, censés garantir le fonctionnement de la monnaie commune ? En clair, la zone euro peut-elle faire preuve de souplesse, pour intégrer des politiques économiques différentes ? Les négociations n'ont véritablement commencé que depuis une semaine à Bruxelles, mais il est, jusqu'à présent, permis d'en douter.

Après tout, la proposition d'une extension du programme de la Troïka, que viennent de faire les Européens, ressemble très fort à celle que les mêmes avaient déjà faite à l'automne dernier à Athènes. Et le gouvernement d'alors, celui du conservateur Antonis Samaras, avait déjà refusé cette extension, soucieux de sortir du programme au plus vite… Quelle est la différence entre les deux offres de Bruxelles, celle de l'automne à Samaras, et celle de lundi à Tsipras ?

Réponse de Pierre Moscovici lors de la conférence de presse : les Européens sont prêts, cette fois, à discuter pour modifier les 30 % de mesures du mémorandum de la Troïka que Varoufakis considère comme « toxiques » – tout en conservant les 70 % restants. « Il y a donc de la place pour faire de la politique », a conclu le commissaire européen, qui se dit soucieux de « trouver un équilibre entre l'inflexion des politiques (…) parce que quand un peuple s'exprime on ne peut pas y être sourd (…) et les principes et engagements qui fondent la communauté de l'euro ».

De son côté, Michel Sapin est sur la même ligne : « Nous avons, me semble-t-il, une voie, qui est une voie raisonnable, une voie qui tient compte du vote du peuple grec, que l'on appelle une extension technique, avec des flexibilités, et donc la possibilité de changer des éléments du programme précédent justement pour tenir compte du vote grec », a commenté le ministre français des finances à la sortie de la réunion.

Lundi soir, Yanis Varoufakis, le ministre des finances grec, ne s'est pas démonté. Il a regretté ce qu'il considère comme un retour en arrière des Européens dans les négociations. En marge d'un conseil européen jeudi dernier à Bruxelles, Alexis Tsipras et Jeroen Dijsselbloem, le patron de l'Eurogroupe, s'étaient entendus pour « explorer un terrain d'entente situé entre le programme actuel et les projets du gouvernement grec », ce qui avait été considéré par Athènes comme une avancée décisive.

Mais si l'on s'en tient à la proposition de communiqué rédigée par la présidence de l'Eurogroupe lundi, que Mediapart a pu lire (photo ci-contre), il est question de faire « un usage optimal des règles existantes de flexibilité au sein de l'actuel programme ». Il est même écrit explicitement : « Les autorités grecques ont exprimé leur intention de demander une extension technique de six mois du programme actuel. » D'où l'agacement des Grecs qui ont claqué la porte des négociations.

Selon la version de Varoufakis, cette affaire est d'autant plus pénible que Pierre Moscovici lui avait présenté, lundi en amont de la réunion, un autre projet d'accord, qui lui paraissait bien plus acceptable, sans qu'il ne dise clairement pourquoi. Mais cette version, toujours selon Varaoufakis, a été remaniée au début de l'Eurogroupe.

Interrogé, une nouvelle fois, par des journalistes soucieux de savoir jusqu'où est prêt à aller Varoufakis, le ministre, ex-universitaire spécialiste de la théorie des jeux, a répondu : « Ce n'est pas du bluff. C'est la seule option que l'on a sur la table. Il n'y a pas plus de plan B qu'un plan A. Donc, aucun bluff de ma part. »

Impossible de savoir comment le feuilleton grec va finir. Lors de sa conférence de presse jeudi soir à Bruxelles, François Hollande y était allé de son analyse, pas franchement réjouissante pour la suite. Il s'exprimait alors que Tsipras venait de participer à son premier sommet bruxellois : « Chaque fois qu'il y a un nouveau membre du conseil, on le regarde, on se demande s'il va changer les règles, les rites. Généralement, il n'y parvient pas, sur les rites. Sur les règles, il peut essayer d'y travailler quand même… À Alexis Tsipras d'engager le dialogue. À lui aussi de comprendre que des règles existent, et qu'elles doivent être respectées. »

Et le chef d'État français de poursuivre : « S'il n'y avait pas de changement lié à une alternance, pourquoi les électeurs continueraient à voter ? L'Europe ne peut pas être une contrainte, une obligation de faire une seule politique. Mais il y a une obligation et la France s'y soumet, parce que c'est la vie commune, parce qu'il faut respecter les règles. »

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