Chacun sait que Bernard Arnault, première fortune de France, contrôle et dirige le géant du luxe LVMH, ses robes Dior et ses sacs Vuitton. Ce que très peu de gens savent, c’est que Bernard Arnault exerce, à ses heures perdues, le métier de consultant. Ou plutôt de consultant en chef. Sa holding familiale, Groupe Arnault, qui contrôle 46 % de LVMH, a facturé l’an dernier la bagatelle de 9,3 millions d’euros de prestations… au même groupe LVMH !
Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour comprendre qu’on nage en plein conflit d’intérêts : Bernard Arnault fait, à titre personnel, des affaires avec sa société, grâce à un contrat qu’il négocie en quelque sorte avec lui-même.
Alors que la saison des assemblées générales bat son plein, Mediapart a enquêté sur cette pratique méconnue, de plus en plus contestée par les actionnaires. « Ces conventions de conseil servent avant tout à aspirer de l’argent au profit des dirigeants », estime Pierre-Henri Leroy, président du cabinet de conseil aux actionnaires Proxinvest. Même les déontologues patronaux commencent à tiquer.
Car Bernard Arnault est loin d’être un cas isolé. Cette pratique est même très à la mode chez les fleurons du capitalisme familial français. En fouillant dans les rapports annuels des sociétés familiales cotées au SBF 120, Mediapart en a identifié une dizaine, et en a retenu dix, parmi les plus significatives. En voici la liste (cliquer ici pour agrandir le tableau) :
Ainsi, François-Henri Pinault, PDG de Kering, a facturé, via sa holding familiale Artemis, 2,6 millions d’euros de prestations à son groupe, en plus de son salaire. Pour Jean-Charles Naouri (Casino), c’est 3,9 millions. Le consultant Vincent Bolloré s’octroie 1,9 million d’euros.
Parfois, la rémunération du patron est comprise dans les honoraires. C'est le cas chez le groupe de restauration Sodexo (qui paie 5,8 millions à la holding du fondateur Pierre Bellon), chez Bouygues (2,5 millions), chez Fromageries Bel, fabricant de la célèbre Vache qui rit (6,5 millions d'honoraires versés à la holding de la famille Fiévet-Bel) ainsi que chez Lagardère. Avec 30,2 millions d’euros facturés par sa société personnelle, Arnaud Lagardère est, on le verra, le plus gourmand de notre échantillon.
Les dirigeants concernés n’évoquent jamais ces contrats spontanément. Car il s’agit d’une zone grise des rémunérations patronales, qui brasse des dizaines de millions d’euros par an rien que dans les grandes sociétés familiales cotées. Avec en toile de fond le risque que le patron abuse de son pouvoir pour obtenir un contrat privilégié. Une zone grise, parce que ces contrats de conseil ne sont, dans les faits, pratiquement pas contrôlés. Et restent largement opaques, même si le montant des honoraires est publié, en petits caractères, dans une annexe des rapports annuels. Certaines grandes familles préfèrent rester à l’écart. Les Peugeot n’éprouvent ainsi nul besoin de facturer leurs conseils au constructeur automobile PSA, tout comme les Bettencourt avec L’Oréal.
Alors même que la rémunération de certains patrons fait à nouveau polémique cette année, ces contrats de consultants permettent à la majorité des dirigeants de notre échantillon de s’attribuer de discrets compléments de salaires. Pour six d'entre eux, le montant n’est pas publié. Pour les autres, il varie entre 200 000 et 1 million d’euros brut par an.
Dans l’entourage de certains de ces dirigeants, on fait valoir que ces sommes sont très faibles comparées à leurs salaires (jusqu’à 2,8 millions d’euros dans notre échantillon), et surtout aux dividendes qu’ils touchent en tant qu’actionnaires – lesquels se chiffrent en dizaines, voire en centaines de millions d’euros. C'est vrai, et c’est justement ce qui pose problème : ils n’ont guère besoin de quelques centaines de milliers d’euros supplémentaires.
Cela peut paraître choquant pour les non-initiés, mais un patron a le droit de faire du business à titre personnel avec sa société. Il s’agit d’une pratique courante, encadrée par une procédure d'autorisation depuis les années 1960. Mais les prestations doivent être à la fois réelles, utiles, et facturées au prix du marché. Sinon, c’est de l’abus de biens sociaux, du pompage illégal des fonds de l'entreprise.
À en croire les groupes concernés, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Par exemple, les patrons de PME sont souvent payés par leur holding personnelle, sous forme d’honoraires facturés à la filiale, parce que c’est plus avantageux sur le plan fiscal. Parfois, il s’agit pour la famille d’être exonérée d’ISF sur les actions de son entreprise, en créant une holding « animatrice ». Pour obtenir ce statut fiscal, cette dernière doit être dotée d’un minimum de « consistance », c’est-à-dire abriter le patron et quelques-uns de ses cadres. Dont les salaires sont, là encore, refacturés à la filiale. C’est le cas chez Sodexo, Remy Cointreau ou les Fromageries Bel.
Il y a enfin les vieux fauves du capitalisme français, comme Bernard Arnault ou François Pinault – auquel a succédé son fils François-Henri. Eux sont payés en direct par LVMH ou Kering. Mais ils ont toujours eu dans leur holding un état-major personnel, une garde rapprochée de fidèles qui les a aidés à bâtir leur empire. Ils sont « plusieurs dizaines » chez Bernard Arnault, une vingtaine chez Jean-Charles Naouri (Casino), et une quarantaine chez les Pinault. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas rémunérés par la holding familiale. Chez Arnault, les salaires sont largement payés par les prestations facturées à LVMH. Chez Naouri, les Pinault ou les Mérieux, les « consultants » œuvrent pour l’ensemble des sociétés contrôlées par la famille.
Si la holding ne possède qu’une seule entreprise, le risque d’abus est limité : les deux sociétés se confondent presque, elles ont les mêmes intérêts. Par contre, bon nombre de patrons (Arnault, Pinault, Bolloré, Bouygues, Naouri) ont des activités diversifiées, qui ne se limitent pas à la gestion de leur plus grosse filiale. Dans ce cas, il y a un risque que, par exemple, Kering rémunère des salariés qui gèrent en fait les affaires personnelles des Pinault.
Tous les groupes interrogés par Mediapart jurent que ce n’est pas le cas, et que les honoraires correspondent strictement au travail réalisé pour les filiales. Sauf qu’il suffirait, pour lever toute ambiguïté, que ces collaborateurs descendent d’un étage et soient salariés du groupe coté…
Tout cela n'a guère posé problème pendant longtemps. Mais avec le durcissement des exigences de gouvernance, la pratique commence à faire froncer les sourcils des déontologues de l’Afep (le lobby des très grandes entreprises) et du Medef, auteurs en 2013 d’un code de bonne conduite sur la gouvernance et les rémunérations patronales. Dans son premier rapport d’activité, publié en octobre 2014, le Haut comité de suivi de ce code soulignait que payer le patron via un contrat de service n’est justifié que « dans des cas exceptionnels », à condition que les intérêts de la holding « soient suffisamment alignés avec ceux de la société cotée ».
Du côté des actionnaires minoritaires, la grogne commence à monter au sujet de certaines conventions, jugées trop opaques ou trop coûteuses. Selon un rapport de Proxinvest, près de 12 % des actionnaires ont voté contre chez Kering l'an dernier, près de 17 % chez LVMH et près de 18 % chez Bouygues. Un vrai signe de défiance, puisque ces conventions sont approuvées en moyenne à 95 %.
Lors de l’AG de 2014, le contrat de Pierre Bellon, fondateur et président non exécutif de Sodexo, a même été rejeté à 52,7 %. Il a tout de même été maintenu. Mais Sodexo a dû se fendre d’un exercice de pédagogie : les 5,8 millions d’honoraires versés à la holding Bellon SA correspondent pour l’essentiel (5,5 millions) au salaire du fondateur et de quatre dirigeants. Le groupe ajoute que le risque de dérive est faible, car la holding ne possède rien d’autre que ses actions Sodexo. Par ailleurs, la société du président encaisse, au bout du compte, une marge brute de 200 000 euros (1).
(1) Il s'agit d'une marge brute, de laquelle il faut déduire, entre autres, l'impôt sur les sociétés.
C’est l’autre sujet qui fâche : la plupart des contrats de conseil génèrent des profits. Lesquels représentent, de fait, un bonus versé au patron et/ou à sa famille. Or, les actionnaires doivent pouvoir vérifier que toutes les rémunérations des patrons sont raisonnables et justifiées par leurs performances.
Curieusement, cette transparence minimale est loin d’être toujours assurée. Toutes les sociétés doivent publier le montant des honoraires, c'est-à-dire du chiffre d'affaires. Mais dans notre échantillon, quatre sociétés seulement dévoilent aux actionnaires la marge réalisée par leur patron et/ou actionnaire sur ce contrat. Quatre autres, interrogées par Mediapart, ont accepté de donner ce chiffre, ainsi que des explications complémentaires. Certains, comme Bolloré, ont refusé de s'expliquer. Voici le tableau qui détaille ces bonus (cliquer ici pour l'agrandir).
Arnaud Lagardère est l'un des plus transparents vis-à-vis de ses actionnaires, mais c’est aussi le plus gourmand. Sa holding, Lagardère Capital & Management (LC&M), a facturé 30,2 millions au groupe Lagardère l’an dernier. Ce qui correspond au coût global du patron et des quatre membres de son comité exécutif : salaires (13,6 millions, dont 2,8 millions pour Arnaud Lagardère), retraites chapeaux, sans oublier les « frais d’environnement », qu’on imagine confortables.
LC&M s’octroie 1 million de marge brute sur ce contrat d’« assistance », soit un bonus de 700 000 euros après impôts pour Arnaud Lagardère. Lequel gonfle ainsi son salaire de 25 %, sans aucun lien avec ses performances. Et sans que les actionnaires aient leur mot à dire, puisque cette convention n’est même pas soumise au vote de l'assemblée générale…
En dehors du cas Lagardère, le recordman de notre classement s’appelle Bernard Arnault, dont le salaire, payé par LVMH, s’élève à 2,5 millions d’euros. Sa holding, Groupe Arnault, a facturé l’an dernier 5,38 millions d’euros à LVMH et 3,87 millions supplémentaires à sa maison mère Christian Dior. Soit un total de 9,25 millions d’euros. Surtout, ses honoraires ont plus que triplé en une dizaine d’années – ils ne s'élevaient qu'à 2,5 millions en 2001. Cela s’explique, selon LVMH, par la « croissance du groupe ».
Chez le géant du luxe, on explique qu’il s’agit d’une tradition, Bernard Arnault ayant toujours eu des collaborateurs personnels travaillant pour son groupe. Aujourd'hui, ils œuvrent dans le domaine des marques, de la finance ou du droit. Cet usage se serait avéré économique pour LVMH, la création d’un service juridique central dans la holding permettant par exemple d’éviter les doublons au sein du groupe. LVMH a assuré à Mediapart que les consultants sont facturés « à prix coûtant » et qu’il n’y a « pas de marge », donc pas de bonus pour Bernard Arnault. Mais LVMH ne publie pas officiellement cette information.
Le numéro trois des honoraires est la famille Fiévet-Bel, actionnaire majoritaire des Fromageries Bel, fabricant du Babybel et de la Vache qui rit. La « holding animatrice » de la famille, Unibel, a facturé 6,5 millions au groupe en 2014. Ce qui correspond à la rémunération de plusieurs dirigeants de Bel (dont 1,2 million pour le patron, Antoine Fiévet) et à la dizaine de salariés de la holding. Mais Bel ne publie pas le montant des profits. Interrogé par Mediapart, le groupe indique que la marge sur ce contrat de conseil est de 10 %, soit un joli bonus de 650 000 euros brut pour la famille.
La transparence est encore moindre chez Kering (Gucci, Puma, etc.), fondé par François Pinault et dirigé par son fils François-Henri, rémunéré 2,5 millions d’euros l’an dernier – 5,4 millions en comptant ses stock-options (2). La holding familiale, Artemis, a facturé 2,52 millions d’euros de prestations à l’industriel du luxe, en matière de communication, de relations publiques ou de stratégie. Chez Kering, on explique qu’il s’agit de mutualiser ces talents, qui travaillent également pour les autres entreprises de la famille (Château-Latour, maison de ventes Christies, etc.).
Kering ne publie pas la marge réalisée par Artemis, et n’a pas souhaité nous la communiquer. Il est donc impossible de savoir combien empochent en fin de compte le consultant François-Henri Pinault et sa famille. À leur décharge, les Pinault ont divisé par trois le montant de leurs honoraires en dix ans. Et le comité d’audit du conseil d’administration de Kering évalue chaque année la qualité et le « prix équitable » des prestations fournies par Artemis. Mais ces passionnants travaux sont malheureusement confidentiels.
Vincent Bolloré est, pour sa part, le champion de l’opacité. Il a refusé de répondre à Mediapart, et il ne communique pas le moindre indice sur la nature des « prestations de services » facturées à son groupe par sa holding Bolloré Participations. Rien non plus sur le profit qu’il en tire. Alors même que ses honoraires ont doublé en six ans. En ajoutant le contrat passé avec le groupe Bolloré et celui conclu avec la maison mère, la Financière de l'Odet, il y en a pour 1,9 million d’euros en 2014, en plus de son salaire de 2,8 millions d’euros.
Le cas de Jean-Charles Naouri, rémunéré 2 millions d'euros comme patron de Casino, est également fort intéressant. Sa société personnelle, Euris, contrôle le groupe de distribution via une cascade de holdings. Et Naouri facture à tous les étages, puisque Euris prodigue ses « conseils » non seulement au groupe Casino, mais aussi aux trois holdings intermédiaires de la cascade (Finatis, Foncière Euris et Rallye). Dans l’entourage de Naouri, on explique que les équipes de sa holding « préexistaient à l’acquisition de ces sociétés et en sont même à l’origine. Elles ne peuvent donc pas être logées dans la seule société Casino qui est l’une des sociétés du Groupe bénéficiant de leurs services ».
Il y en avait au total pour 3,9 millions d’euros de chiffre d’affaires brut l'an dernier (3). Curieusement, ces honoraires ont quadruplé entre 2007 et 2008. « Cela s’explique par le fait que les montants facturés étaient très inférieurs aux prestations réelles. Ce montant facturé n’a pas bougé depuis », répond-on chez Casino. Il n’empêche, la nature des prestations n’est pas très précise (« stratégie », « optimisation financière », conseils « juridiques et administratifs »). Et Casino ne publie pas le montant des profits réalisés. Interrogé par Mediapart, le groupe assure que conformément aux « préconisations de l'administration fiscale, la marge, s'il y a lieu, se situe entre 5 et 10 % ». Soit 195 000 à 390 000 euros de bonus pour Naouri.
Concernant le fabricant de cognac Remy Cointreau et le spécialiste du diagnostic médical BioMérieux, l’information sur les prestations facturées par les holdings est floue, voire inexistante (chez BioMérieux). Mais ces deux sociétés ont le mérite de publier la marge réalisée : 8 % pour la famille Mérieux (soit 420 000 euros), et 5 % pour les Hériard-Dubreuil (160 000 euros), actionnaire majoritaire de Remy Cointreau.
Reste enfin le cas de Bouygues. Le géant du BTP est cité en exemple par l’AMF pour sa transparence. C’est l’une des rares sociétés cotées (avec Sodexo) à décrire en détail les prestations réalisées par SCDM, la holding de Martin et Olivier Bouygues. Les 2,5 millions facturés correspondent à la rémunération des deux frères, et aux salaires des quatre collaborateurs de la holding, à hauteur d’environ 640 000 euros. Le groupe précise que SCDM ne réalise aucun profit sur ce contrat (4). Même si on peut se demander pourquoi ces quatre salariés ne sont pas directement rémunérés par Bouygues.
(2) Il s'agit en fait d'instruments financiers complexes, dont le mécanisme est proche de celui des stock-options.
(3) Jean-Charles Naouri est en partie payé par sa holding Euris, à hauteur de 1 million d'euros. Si on déduit ce montant, le chiffre d'affaires net des contrats passés par le patron de Casino était de 2,9 million d'euros en 2014.
(4) Bouygues le sous-entend dans son rapport annuel, sans l'écrire explicitement.
Tous ces groupes assurent que ces contrats de conseil sont réalisés selon la procédure légale, et validés par les commissaires aux comptes. « Mais les règles sont très accommodantes, parce qu’elles ont été largement rédigées par le lobby des entreprises », soupire Pierre-Henri Leroy, de Proxinvest.
Pour travailler avec son groupe, le patron doit conclure une « convention réglementée ». Il doit obtenir l’aval du conseil d’administration… dont il est le plus souvent le président. Quand on connaît le caractère consensuel de ces cénacles, l'obstacle n'est pas très difficile à franchir. Le contrat est ensuite transmis aux commissaires aux comptes. Mais comme le note l’AMF, ils n’apprécient « ni l’opportunité ni l’utilité de la conclusion de la convention » ! Ils se contentent de décrire le contrat de manière minimaliste dans un « rapport spécial » à destination des actionnaires. On n’y trouve en général que le montant des honoraires et une très brève description des prestations.
La convention est ensuite soumise au vote des actionnaires. Mais comme on l’a vu dans le cas de Sodexo, cet avis est purement consultatif. Et si jamais certains d’entre eux soupçonnent un abus de biens sociaux, ils n’ont aucun intérêt à engager des frais pour saisir la justice : en cas de victoire, c’est l’entreprise qui serait remboursée des éventuels abus du dirigeant…
La loi est « pernicieuse » et « inutile », notamment parce qu’elle ne permet pas « de sanctionner efficacement [les conventions] qui emportent des conséquences préjudiciables à la société », diagnostique Dominique Schmidt, avocat et professeur agrégé de droit. Dans une analyse pointue sur le sujet, il propose donc de supprimer la procédure d’autorisation… mais d’obliger en échange les entreprises à publier les conventions passées avec leurs dirigeants et leurs actionnaires, afin que les actionnaires puissent agir s'ils ont des soupçons.
Mais le Medef refuse au nom du « secret des affaires », car il y a dans ces contrats de conseil des informations « confidentielles » que les concurrents ne doivent pas connaître. « Il y a des informations confidentielles dans les prestations réalisées, mais pas dans les contrats eux-mêmes, réplique Dominique Schmidt. Ces contrats ne devraient pas être couverts par le secret, puisqu'il s’agit d’argent de la société employé dans des conditions qui ne sont pas claires. »
Il y a bien eu une réforme l’an dernier, mais elle est très timide. Elle a été concoctée par un groupe de travail sous l'égide de l'Autorité des marchés financiers, présidé par Olivier Poupart-Lafarge, membre du Collège de l’AMF et ancien directeur financier de Bouygues. Le rapport du groupe de travail, publié en 2012, a émis plusieurs recommandations, dont certaines ont été transposées dans la législation par le gouvernement en août 2014.
La principale nouveauté, c’est que le conseil d’administration devra, lorsqu’il approuve les contrats, motiver sa décision. On imagine l'embarras des administrateurs, qui vont devoir se fendre d’un texte expliquant pourquoi il est absolument indispensable de faire appel aux conseils de la société du patron. Mais la loi ne prévoit pas que ce rapport soit rendu public! Vu le fait que ces contrats posent, par leur objet même, un problème de conflit d'intérêts, on voit mal pourquoi le gouvernement n'a pas mis fin à l'opacité.
Dans son rapport de septembre 2014 sur la gouvernance, l’AMF a pour sa part publié une recommandation réclamant un minimum de transparence : l’autorité souhaite que les marges bénéficiaires réalisées sur les contrats de conseil soient publiées, et qu’il en soit fait mention dans la page du rapport annuel consacré à la rémunération des dirigeants (5). Mais ces recommandations sont, on l’a vu, loin d’être appliquées. L’AMF souligne aussi que dans certains cas, l’information donnée aux actionnaires « est très faible et ne permet pas de comprendre réellement la consistance des services rendus » au groupe par la holding du dirigeant-actionnaire.
Au Medef, on se dit pourtant « favorable à la transparence ». Mais à condition que cela ne soit pas obligatoire. Hostile à toute contrainte, le patronat mise sur l’autorégulation, citant en exemple le code Afep-Medef de 2013 qui recommande aux entreprises d’organiser un vote consultatif des actionnaires sur la rémunération des dirigeants (le « say on pay »).
Au sujet des contrats de conseil entre l’entreprise et son patron, le Medef est sur la même ligne. « Il y a des progrès à faire en terme de transparence sur ces prestations, car l’information donnée aux actionnaires n’est pas toujours suffisamment claire et précise, dit-on au siège de l’organisation. Mais cela va nécessairement progresser : il y a eu les récentes recommandations de l’AMF, et le Haut comité de suivi du code Afep-Medef a commencé à se positionner sur le sujet, en écrivant très clairement que la rémunération du dirigeant par une holding doit rester exceptionnelle. »
Reste que l’autorégulation risque de prendre du temps. Et qu’on peut se poser une question : si ces contrats ne posent aucun problème, il est étonnant que les entreprises concernées semblent si réticentes à donner une information détaillée à leurs actionnaires.
(5) Pour être précis, l'AMF préconise prudemment qu'il y ait un « renvoi » vers la page décrivant le contrat de conseil dans la description des rémunérations des dirigeants.
BOITE NOIRELes points de vue des sociétés citées dans cette enquête ont été recueillis par e-mail auprès de leurs responsables de communication, à qui nous avons envoyé un questionnaire détaillé sur les contrats passés entre le groupe et leurs dirigeants/actionnaires.
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